Mère célibataire de trois enfants, cette humble Népalaise de 48 ans était encore il y a quelques mois femme de ménage dans une grande surface américaine. Aujourd’hui elle vient pourtant de réussir sa 10e ascension du Toit du monde, 8 849 mètres, battant ainsi son propre record. Son prochain objectif ? Le K2.
Son nom ne vous dira sans doute rien, pourtant Lhakpa Sherpa est la femme qui a gravi le plus grand nombre de fois le plus haut sommet du monde : dix fois. Un record mondial. La femme la plus proche de cette performance est l’Américaine Melissa Arnot Reid, six ascensions à son actif. Une aventure qui pour la Népalaise a débuté le le 18 mai 2000, jour où elle y parvint via la face sud. Elle avait alors 26 ans et devenait la première femme népalaise à gravir l’Everest et à en redescendre vivante ; Pasang Lhamu Sherpa qui avait atteint le sommet en 1993, étant morte au cours de la descente.
Après cette expédition, la Népalaise changera de versant et se spécialisera dans la voie normale du versant nord du Tibet. 22 ans plus tard, le 12 mai 2022 à 6h30 heure locale (00h45 mercredi GMT), elle renoue pourtant avec la face sud et célèbre sa 10e expédition réussie, avec oxygène supplémentaire. Un moment qu’elle attendait depuis longtemps mais que le Covid comme l’absence de sponsor ont retardé. Car Lhakpa Sherpa a beau accumuler les records, elle ne peut pratiquement compter que sur ses propres ressources pour financer ses couteuses expéditions. Pour sa 9e ascension, elle a certes bénéficié de quelques subsides de Black Diamond, mais pour cette 10e, pas d’autre sponsor que Grape-Nuts, une marque de céréales et… sa propre entreprise Cloudscapeclimbing, une petite agence de guides, qu’elle vient tout juste créer. Un vrai pari, pour cette mère célibataire en charge de trois enfants, dont la vie n’a pas été un long fleuve tranquille.
Dix ans sans ascension, faute de moyens
Née dans la région de Makalu, au Népal, elle grandit dans le village de Balakharka, sa famille compte onze enfants, cinq d’entre eux graviront l’Everest à plusieurs reprises. Son père est marchand ambulant et elle l’accompagne souvent dans ses tournées en montagne. Avec lui aussi, elle fait parfois des randonnées d’un mois en terrain montagneux. Cest l’un de ses quatre frères qui lui apprend à organiser des randonnées avec des groupes. A 15 ans, elle travaille comme porteur et livre du matériel aux camps de base. « Les gens m’ont dit que c’était un travail d’homme, que personne ne voudrait m’épouser », raconte-t-elle volontiers. Mais Lhakpa Sherpa entend gagner son propre argent et persiste. En montagne, elle apprend à survivre, à marcher en toute sécurité et à passer de longues périodes sans manger.
Sur l’Everest, elle rencontre son premier mari. En quête d’un avenir meilleur, le couple déménage aux États-Unis en 2002. Ils grimpent souvent ensemble, jusqu’à ce que leur relation devienne violente. En 2004, son mari la frappe au cours d’une expédition. Les abus ne feront que s’enchaîner par la suite. Leur situation économique se dégrade, la famille vit de « food stamps », des aides sociales. Les violences et les hospitalisations s’enchaînent pour la Népalaise. Elle est conduite au divorce et se retrouve avec deux enfants à charge. Un autre enfant naîtra plus tard d’une autre relation. Elle maîtrise mal l’anglais, n’a pas de diplôme, pour elle se sera les petits boulots. Plongeuse dans une grande surface américaine, Whole Food, caissière dans un supermarché et heures de ménage pour boucler son mois. Pour s’y rendre, elle prend le bus, n’ayant pas les moyens d’acheter une voiture. Rien qui facilite une carrière d’alpiniste. Aussi, pendant une dizaine d’années ne la verra-t-on pas beaucoup dans l’Himalaya. Pourtant sa passion pour l’alpinisme n’est pas éteinte. Au contraire.
L’ancienne femme de ménage lance son agence de guides
Année après année, la Népalaise, poursuit son rêve et enchaîne les ascensions, grâce notamment à Seven Summits Club, l’agence de guides de son frère, Mingma Gelu Sherpa, basé à Katmandou. En 2020, elle se lance, démissionne de son job chez Whole Food et crée sa propre agence d’expédition, Cloudscape Climbing. Mauvais timing : arrive le Covid, les portes du Népal et de la Chine se ferment. Retour aux petits boulots, et… nouveau départ cette année. Il y a trois mois, sur Instagram, elle postait une photo d’elle avec ses collègues de Whole Food, cette fois elle démissionne pour de bon et se lance dans sa 10e ascension : un succès qu’elle célèbre aujourd’hui et qui, on l’espère, donnera un peu de notoriété à sa toute jeune agence qu’elle promeut avec ses faibles moyens.
Elle mise donc gros aujourd’hui et poursuit en parallèle d’autres rêves, raconter son histoire via un livre et un documentaire – elle a d’ailleurs lancé un crowdfunding pour les produire – et trouver des fonds pour envoyer ses deux filles à l’université. Sa plus grande ambition pour elle qui n’a reçu aucune éducation. Elle aurait aimé devenir médecin ou pilote dans une autre vie, confie-t-elle, mais reconnait qu’un vrai talent lui a été donné : gravir les plus hauts sommets. D’ailleurs, à peine bouclé son 10e Everest, ses yeux sont déjà tournés vers un autre objectif : le K2. Histoire de montrer qu’elle est à la hauteur d’une ascension notoirement très technique et que les femmes sont capables de tout. Au vue de la ténacité dont elle a fait preuve, on peut lui faire confiance pour y arriver.
De mai 2000 à mai 2022 : les dix ascensions de l’Everest de Lhakpa Sherpa
- 1. 18/05/2000, face sud
- 2. 23/05/2001, face nord
- 3. 22/05/2003, face nord
- 4. 20/05/2004, face nord
- 5. 02/06/2005, face nord
- 6. 11/05/2006, face nord
- 7. 20/05/2016, face nord
- 8. 13/05/2017, face nord
- 9. 16/05/2018, face nord
- 10. 12/05/2022, face sud
Loin derrière Lhakpa Sherpa, trois autres femmes comptent cinq ascensions de l’Everest ou plus :
-Melissa Arnot (USA) : 6 sommets (5 face sud en 2008, 2009, 2010, 2012 et 2013, 1 face nord 2016), dont un sans oxygène.
-Lydia Bradey (Nouvelle-Zélande) : 6 sommets (5 face sud en 1988, 2008, 2013, 2016 et 2018, 1 face nord 2019), dont un sans oxygène.
-Anshu Jamsenpa (Inde) : 5 sommets de la face sud (deux en neuf jours en 2011, 2013 et deux en cinq jours en 2017).
Aidez à financer le documentaire sur l’incroyable histoire de la Népalaise
Pour financer la production d’un film sur sa vie, la Népalaise a lancé une opération de crowdfunding sur Indiegogo. A ce jour cette alpiniste peu connue, maîtrisant mal l’anglais et les réseaux sociaux, n’a recueilli que 20% de la somme requise. Tous les coups de pouce sont les bienvenus.
Photo d'en-tête : Lhakpa Sherpa