Après « Roots », sublime film de freeski, voici le nouveau long métrage de The Faction Collective. Très attendu, ce 40 minutes coproduit avec Red Bull Media House met en scène cette fois 23 riders de classe mondiale réunis pour montrer comment le ski frôle parfois les frontières de l’art. Du Japon à la Suisse, en passant par les Etats-Unis, le Canada et l’Italie, ils sont partis en quête de la ligne parfaite, sans crainte de mélanger les genres, du Big mountain au ski « urbain ». Au scénario, et derrière la caméra, on retrouve le Français Etienne Merel, l’un des meilleurs réalisateurs du moment, auquel on doit déjà les trois opus précédents de la marque suisse. A quelques jours de la projection dans la salle mythique du Grand Rex, à Paris, le 17 octobre dernier, il nous avait accordé une longue interview. Ses souvenirs du tournage, ses sources d’inspiration, comment il travaille son scénario, réalise les repérages et gère le risque à l’heure où la montagne est plus imprévisible que jamais, réchauffement climatique oblige, son regard sur le film de ski et sur les riders montants est éclairant.
La saison de ski ne serait pas vraiment la même si chaque année Faction Collective ne concoctait pas un de ces films dont la marque suisse a le secret. Cette année, c’est « Abstract : A Freeski Exhibition » qui va fait l’ouverture de la saison. Un 40 minutes intense, réalisé par un maître du film de ski, le Grenoblois Etienne Merel. Excellent skieur lui-même, bien que snowboarder à l’origine, c’est à lui que l’on doit le succès de la web-série « THE FACTION collective » pour la marque qu’il connait bien de l’intérieur (il y a débuté comme rider). Outre cette série, il compte aujourd’hui à son actif des métrages et une pléthore de montages et de courts métrages époustouflants.
En 2017, il impose son style chez The FACTION avec « This Home », son premier long métrage. En 2019, il nous surprend avec les rideuses de The collective, une invitation au voyage cherchant surtout à mettre en valeur le ski dans sa diversité. L’année suivante, c’est « Zermatt to Verbier, » sur les traces de la Patrouille des Glaciers. Et en 2021, « Roots » : sublime film de freeski. Avec « Abstract : A Freeski Exhibition », Etienne Merel, poursuit sa recherche, comme il nous l’a expliqué au cours de l’entretien qu’il nous accordé.
En huit ans dans l’univers de FACTION, comment s’est affiné ton regard de réalisateur ?
J’ai évolué grâce aux expéditions que j’ai pu faire durant le tournage des trois premiers films, et de mes autres productions. J’apprends beaucoup aussi en regardant d’autres films. On essaye toujours de faire un peu différent et toujours un peu mieux. Avec du recul, je ne changerais pas grand-chose à un film tel que « This is home » par exemple qui se regarde encore bien. Il est toujours dans l’air du temps je pense. Seul le storytelling est un peu différent aujourd’hui ainsi que la qualité d’image, vu l’évolution des moyens techniques. A l’époque on utilisait l’hélico, aujourd’hui, avec les drones, on arrive heureusement à se passer de ça.
Comment définirais-tu l’esprit de tes films ?
J’ai toujours vu le ski comme une manière de s’amuser entre potes. C’est un sport de plaisir, c’est ça que j’ai voulu transcrire : skier les meilleures lignes, entre potes. Quand on voit on film FACTION, on ressent ce côté groupe, ski et plaisir entre amis.
Avec « Abstract : A Freeski Exhibition », qu’elle était ton intention ?
Cette année, on a décidé de travailler un peu différemment et on a embauché un écrivain américain pour collaborer à la conception du script, toujours bon de multiplier les énergies. L’Idée de base : à sa façon, le skieur est aussi un artiste, il peut composer avec son choix de figures suivant l’endroit où il est, comme un peintre peut choisir son pinceau, sa palette et son sujet. A travers le sport, le skieur s’exprime, il crée. Mais bon, sans faire dans le pompeux, plutôt avec une touche humoristique.
Quelles sont les séquences qui, spontanément, te viennent à l’esprit pour illustrer cette idée ?
C’est dur comme question, il y a plein de moments où les athlètes sont créatifs, où l’on sent que leur lecture de terrain est bonne. Je pense par exemple à celle shootée au Japon avec Mac Forehand. Où celle, aux Etats-Unis où Duncan Adams choisit une ligne assez audacieuse et où il donne l’impression qu’il la fait facilement. Et aussi à un séquence tournée en Italie, vers la fin, où Matej Svancer nous régale de figures pour la plupart jamais faites. Il réinvente la gravité, crée de nouveaux axes dont peu gens sont capables.
Tu es aussi un excellent skieur, ce n’est pas trop frustrant de te trouver sur les meilleurs spots du monde, mais derrière la caméra ?
Non, pas du tout, c’est super plaisant, car tu es le premier témoin de ce qui vient de se passer, d’une performance créative assez forte. Et de savoir que tu as réussi à la capturer d’une belle manière, en trouvant le bon angle pour la partager, c’est doublement gratifiant. J’y trouve beaucoup de plaisir.
Ce n’est pas toujours sans risques sur les faces très engagées où tu tournes, tu as d’ailleurs eu un accident assez grave en 2017 non ?
Oui, dû à un manque d’attention et la fatigue. C’était le dernier jour de tournage de mon premier film pour Faction, je shootais en fait la dernière image ! On était sur le glacier de Zermatt avec Sam Anthamatten et John Collinson, à 200 mètres des pistes où ils devaient skier, j’ai voulu me décaler en bas pour mieux les shooter et je suis sorti de la piste et j’ai slalomé entre les crevasses. La veille il y avait eu pas mal de neige et de vent, j’aurais dû me douter qu’il fallait se méfier des ponts de neige. Seul, pas encordé… ce n’était pas intelligent, mais j’étais focalisé sur mon tournage. J’ai fait une chute de 10 mètres dans une crevasse. C’est un miracle que j’aie eu qu’un fémur des cotes cassés et que Sam, qui est guide, et John soient là. C’est ma plus grande frayeur à ce jour. Mais elle m’a fait prendre conscience des dangers en montagne, notamment sur les glaciers où j’avoue que j’ai beaucoup skié plus jeune sans en mesurer le risque.
Comment se déroule la production d’un film de ski ?
Tourner un film avec autant d’athlètes est un vrai challenge. On dépend des emplois du temps de chacun, de leurs engagements en coupe du monde, de leurs tournages de vidéos et…. de leurs blessures. Il faut aussi s’assurer de la disponibilité des cameramen (on est au moins deux, moi y compris, et jusqu’à cinq à certains moments du dernier tournage ). Sans parler de la météo. Parfois il fait beau, mais la neige n’est pas bonne. Donc au final, qu’un tournage se passe bien, c’est presque un miracle ! Alors on essaie toujours d’avoir des fenêtres de travail plus ou moins grandes. Et cette année, ça a été plus dur que les autres années. Pour la séquence avec les filles tout particulièrement. On avait deux semaines : il a plu durant la première et pendant la deuxième ça a été un mix de pluie, vent soleil. Résultat nous n’avons eu qu’un jour où il a neigé jusqu’à 6h du matin et on n’a pas eu le temps de damer tous les spots, ça n’a pas été évident pour les filles. Même problème en Suisse, où à la base on devait tourner un segment de freeride : impossible ! Après un mois d’attente, on a eu deux jours où la neige était à chier, limite dangereuse. On était un peu déçus, forcément.
Un film de ski, ça se travaille sur une année. En général, on commence à penser au concept en octobre, on réfléchit à ce qu’on veut mettre en avant, au choix des athlètes etc. Les premiers tournages commencent en décembre ou janvier, et finissent au mois de mai. Puis c’est le montage, que, le plus souvent, j’assure aussi, et enfin la post production à partir de juin pour livraison à la rentrée avec les avant-premières, les festivals.
Comment fais-tu les repérages ?
A distance, on n’a pas le temps de le faire autrement. D’autant que faire un repérage un mois à l’avance ne veut plus dire grand-chose malheureusement. On check via les webcams, les locaux, on réserve un snowpark, on détermine là où on va tourner. Puis on affine au jour le jour. Aux US, on voulait tourner dans l’Utah, le Wyoming et le Montana et grosso modo on a pu le faire. Au Japon, ça a été un peu plus compliqué parfois car on était dans des vallées qui se réchauffaient plus vite que prévu, donc on a dû pas mal bouger.
L’idée, bien sûr, c’est d’aller dans des endroits où personne n’a filmé avant ou au moins de créer quelque chose de nouveau. J’ai envie par exemple de tourner en Russie, mais depuis deux ans, bien sûr, c’est compliqué. J’y ferais bien du street, dans une ville comme Moscou par exemple. Le Chili me tente, j’y suis déjà allé mais j’irais bien plus profond en Patagonie. En Alaska aussi, c’est la « Mecque », mais sans hélico ou avion, c’est compliqué et il faut des gens sur place, c’est tellement grand. Il y a beaucoup d’endroits aussi dans l’Himalaya, bien sûr.
Quelles sont tes sources d’inspiration ?
C’est un peu dur de te répondre, car des fois on ne s’en rend même pas compte, Je passe beaucoup de temps sur internet, pour voir des clips de 15 secondes comme des films de 30 minutes, là ou sur Netflix. Je pourrai être aussi inspiré par un film sur Instagram que par un long métrage racontant une histoire poignante. Je suis de plus en plus inspiré par les pubs, notamment celles de sports, c’est chouette ce qu’ils font maintenant. Dans un autre genre, un Jérôme Tanon (le réalisateur de Zabardast, ndlr) sait raconter une histoire et trouver ce qui va unir le core et le grand public. Il m’inspire, j’aimerais bien bosser avec lui.
Qu’est ce qui est le plus difficile dans un film de ski ?
Le vrai challenge, c’est ça justement : d’unifier le core et le gd public. Si tu fais du ski porn, le core va aimer, enfin dans la mesure où c’est bien filmé et où la musique est bonne, bien sûr, mais pas le grand public. Le but, c’est d’arriver à marier ces deux univers. Pour le premier, la recette est plus connue, alors que pour l’autre, c’est vachement plus difficile.
Comment as-tu vu évoluer ce genre au fil des ans ?
Je regarde des films de ski depuis que j’ai douze ans ! Et l’évolution je l’ai bien sentie. Il n’y a pratiquement plus de boites de production qui fassent de longs métrages comme avant. Aujourd’hui, tu en as quatre en moyenne par an, contre une dizaine auparavant. La manière de consommer la vidéo a évolué sous l’influence des réseaux sociaux. Les gens du long se tournent vers le documentaire, car le public est plus ouvert à ça, et pour l’action pure le court métrage est plus adapté, notamment pour le format internet. FACTION est entre les deux et ça marche très bien, et je ne sais pas très bien pourquoi. On essaye de faire un mix entre les deux, mais l’action reste le sujet principal du film et j’adore filmer ça. Reste que dans le futur, j’aimerais aller un peu plus vers le docu, être plus tourné sur les athlètes et montrer qu’ils ne sont pas que des skieurs.
Les spots aussi ont changé dans le monde sous l’effet du climat et, dans une certaine mesure, de la surfréquentation non ?
Oui c’est global, mais en Europe ça fait quand même cinq ans déjà, voire plus, qu’on a de plus en plus de mal à avoir des journées froides. Le manteau neigeux peut être instable, c’est normal, mais dans la journée ça peut se réchauffer assez vite. Au point que tu peux te retrouver avec seulement une bonne journée de neige fraiche. Ca pousse les gens à vouloir la consommer très vite sans attendre qu’elle se stabilise. Il faut vraiment réfléchir à notre façon de consommer la neige. On sait que pour les stations en dessous de 2000 mètres c’est fini. Les bonnes conditions y sont tellement rares qu’on ne peut pas s’y fier pour tourner. La pratique ski change et va continuer de changer. Skier en poudreuse va devenir de plus en plus rare. Il faut l’avoir en tête.
Côté fréquentation c’est compliqué aussi. Tu vois j’aimerais tourner à Chamonix, mais c’est quasiment devenu impossible comme j’en ai envie, sans avoir de traces. Il faudrait passer une saison entière sur place pour y réaliser un segment de ski. La pratique des skieurs a changé. Maintenant on en voit de plus en plus capables de faire des lignes plus engagées. Faire une première trace fait toujours rêver les gens qui en plus peuvent se filmer tout seul et poster leurs images sur les réseaux.
Quels sont les riders qui montent d’après toi ?
Je dirais Mac Forehand, skieur américain, il était déjà très fort en snowpark, c’est un des meilleurs au monde, mais il a beaucoup progressé cette année en street, comme on l’a vu au Japon, et en backcountry aux Etats-Unis. Il faut suivre aussi Matej Svancer, un Tchèque qui vit en Autriche, plus jeune encore que Mac.
Quels sont tes films de ski favoris ?
Je pense surtout à deux qui m’ont donné envie de commencer dans le ski, à 17 ans, alors qu’avant j’était snowboarder. Le Year book, de Matchstick Productions et à “Wars”, de Poor boyz productions. A l’époque on avait les film en DVD, ou on les piratait et on les regardait en boucle. Je suis un grand fan de Level One. Je n’en ai pas manqué un seul ! J’ai toujours autant de plaisir à regarder des fims que j’ai déjà vus, car les émotions ressenties il y a des années remontent. C’est fort !
Notre sélection des meilleurs films d’aventure disponibles en streaming et libre accès.
SKI & SNOW ∙ ALPINISME ∙ ESCALADE ∙ VOILE ∙ RUNNING ∙ SURF ∙ VÉLO ∙ AVENTURE ∙ ENVIRONNEMENT