La plateforme communautaire de location entre particuliers vient de lancer un concours pour participer à une mission de recherche scientifique sur le continent abritant le pôle Sud. Aucune qualification n’est requise, la motivation sera l’unique critère. Si l’offre sera sans conteste une aubaine pour les heureux élus, que penser de ce genre d’opération scientifico-marketing ?
Mardi 24 septembre, au lendemain du sommet sur « l’urgence climatique » à l’ONU, le géant de la location entre particuliers Airbnb a annoncé, via un communiqué de presse, être à la recherche de « 5 volontaires pour une mission scientifique en Antarctique ». Baptisé « Antarctic Sabbatical » et monté en collaboration avec l’ONG Ocean Conservancy, le projet verra ces cinq « scientifiques citoyens recueillir des échantillons de neige et étudier l’ampleur de la présence de microplastiques à l’intérieur de l’Antarctique », écrit Airbnb.
Les heureux élus rejoindront sur place Kirstie Jones-Williams, scientifique spécialisée dans l’étude de l’impact des microplastiques sur le zooplancton marin polaire. « Ce sera un travail difficile qui demande de la rigueur scientifique, face à des conditions hivernales intransigeantes. Nous recherchons des citoyens du monde, passionnés et enthousiastes à l’idée de rejoindre l’équipe et de faire connaître nos découvertes au monde entier », explique cette dernière.
L’aventure se déroulera entre novembre et décembre 2019. Après une formation en immersion à Punta Arenas, au Chili, où ils se prépareront avec des cours sur la glaciologie, l’échantillonnage sur le terrain, le travail en laboratoire et l’utilisation de l’équipement, les volontaires s’envoleront pour l’Antarctique. Ils y « atterriront sur une piste naturelle de glace bleue située en plein cœur du continent, là où les recherches seront menées », décrit Airbnb. Au-delà de recueillir et d’étudier des échantillons, les invités auront également droit à une visite du pôle Sud, et à la découverte de sites comme la cascade de glace de Drake, le Charles Peak Windscoop et Elephant’s Head, afin « d’en apprendre davantage sur la géographie du continent ».
Mais pourquoi inviter cinq personnes non scientifiques dans cette expédition, et quel rapport avec Airbnb ? « Ce projet a pour objectif de sensibiliser l’opinion sur l’impact de l’être humain sur le climat, dans l’un des écosystèmes les moins connus et les plus isolés au monde. En comprenant l’ampleur de la pollution plastique générée dans d’autres régions du monde, ces scientifiques citoyens fourniront des informations au monde entier pour aider à préserver à la fois l’Antarctique et le reste de la planète », justifie la plateforme dans son communiqué.
Sans faire un procès en greenwashing à Airbnb, on peut se demander quelles seront les conséquences de cette expédition très médiatisée – même si bien intentionnée – sur le grand public. Verra-t-on des citoyens horrifiés se lancer à corps perdu dans la lutte contre la production et l’usage du plastique ou des voyageurs emballés par la beauté et la fragilité d’un continent en péril réserver leur ticket pour un tourisme de la dernière chance ?
Ces vingt dernières années, l’Antarctique est devenu très fréquenté. Environ 98 % des visiteurs se rendent sur place par bateau, qu’il s’agisse d’un petit voilier ou d’une croisière de plusieurs milliers de personnes, au départ d’Ushuaia, en Argentine. L’immense majorité des embarcations se dirigent vers la pointe de la péninsule, où se concentrent une merveilleuse faune polaire ainsi que des glaciers, icebergs et autres baies. Le protocole de Madrid, ratifié en 1991, a décrété l’Antarctique « terre de science, réserve naturelle, patrimoine de l’humanité, interdite à toute activité économique […] sauf le tourisme et la recherche scientifique ». Donc tourisme il y a, et de plus en plus.
Compenser, est-ce assez ?
L’International Association of Antarctica Tour Operators (Iaato), un organisme qui regroupe aujourd’hui 110 opérateurs internationaux, est en charge des opérations. Elle soumet ses membres à un cahier des charges très strict (sur la plupart des sites, il est par exemple interdit de laisser descendre plus de cent passagers en même temps). Mais même organisé et contrôlé, le nombre de visiteurs ne cesse de croître : 6 700 touristes en 1992 contre 46 395 pour la saison 2017-2018.
Les opérateurs affirment avoir à cœur l’impact écologique de leur activité et expliquent que leurs clients deviennent à leur retour des ambassadeurs de la défense des pôles, un discours également tenu par Airbnb dans le cadre de son opération du moment, qui écrit que les 5 volontaires « travailleront avec Ocean Conservancy pour devenir ambassadeurs de la protection des océans ».
Alors faut-il y aller ? Ne pas y aller ? Chacun tranchera selon ses convictions. En 2017, la journaliste Dawn Kelly, qui dirige le service vidéo du Huffington Post britannique, écrivait un article intitulé « Je suis allée au Pôle Sud. Voilà pourquoi vous ne devez pas m’imiter ». Elle y expliquait s’y être rendue après avoir été invitée à « joindre à une expédition environnementale pour témoigner en direct des effets du changement climatique ». Elle précise y avoir vu les plus beaux paysages de sa vie et être consciente du privilège d’avoir eu cette opportunité. Elle ajoute ensuite : « Comme beaucoup de participants à cette expédition, j’ai ressenti la ‘culpabilité du pôle Sud’. Nous savions que nous étions en mission, pour délivrer un message, mais nous étions également conscients de l’hypocrisie de notre présence. Un voyageur qui se rend en Antarctique émet 12 tonnes de CO2, l’équivalent de ce qu’émet en un an une famille moyenne de quatre personnes au Royaume-Uni. D’où la question : aurais-je dû y aller ? Suis-je aussi nuisible que les 44.000 personnes qui ont fait le voyage cette année ? C’est possible. Ma seule défense, c’est que j’étais là-bas en mission et que j’ai compensé mon empreinte carbone. »
Nous avons demandé à Airbnb plus de précisions concernant le volet environnemental de l’opération « Antarctic Sabbatical », et nous avons reçu ceci : « Nous avons pensé ce voyage dans le cadre du développement durable. Sous l’égide de l’International Association of Antarctica Tourism Operators (IAATO) et de notre partenaire Antarctic Logistics & Expeditions (ALE), nous avons rédigé une liste de principes afin de réduire au maximum notre empreinte environnementale. Cela inclut la prise en compte du logement, du transport, de la protection de la biodiversité et d’un marketing responsable. Nous ferons également une analyse des émissions carbone entraînées par cette opération et nous compenserons doublement ces dernières via Golden Standard (un label qui valide du début à la fin la mise en place d’un projet de compensation carbone volontaire, ndlr), afin de nous assurer que « Antarctic Sabbatical » ait un bilan carbone 100% neutre ».
Photo d'en-tête : Airbnb- Thèmes :
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