Pour accroître ses performances sportives, il faut tenir compte de trois facteurs principaux : la spécificité du sport, l’adaptation de son régime en fonction des périodes et des objectifs, et l’adoption d’un programme personnalisé. Notre journaliste s’est plongé dans les subtilités de ce délicat cocktail.
Lors de la 19ème étape de la dernière édition du Giro, Chris Froome s’est lancé dans une échappée solitaire éprouvante de 80 kilomètres, rattrapant ainsi son retard de trois minutes au général et faisant un pas décisif vers sa sixième victoire. Sa chevauchée spectaculaire a soulevé toutefois des interrogations, notamment en raison des polémiques déjà existantes sur le contournement des règles antidopage par la Team Sky et le contrôle antidopage positif de Froome l’année précédente. La réponse de Team Sky?
La publication de centaines de données dévoilant l’extrême attention portée à la nutrition sportive par l’équipe britannique. Selon Team Sky, l’échappée de Froome a été rendue possible en partie grâce à une nouvelle boisson pour sportifs appelée “rocket fuel” (carburant de fusée, en français) et à un régime alimentaire très strict : 6 663 calories ingérés le jour de la 19ème étape, soit l’équivalent en glucides de 85 tranches de pain.
Une bonne alimentation suffit-elle à atteindre des sommets sportifs inaccessibles? Dans un article cinglant paru en 2012 à propos de l’état actuel des connaissances scientifiques sur les effets des boissons énergétiques, le British Medical Journal évoquait “quarante ans de recherche sur les performances sportives, pour peu de connaissances acquises”.
La vérité, comme souvent, se trouve quelque part entre les deux. Sur le marché des boissons énergétiques, on trouve toutes sortes de pseudo-produits faussement miraculeux mais on ne peut pas nier que des progrès aient été faits dans la compréhension des liens complexes entre alimentation et performance sportives, que ce soit lors des entraînements ou en compétition.
Dans un récent numéro de la revue Science, deux des grands spécialistes en matière de nutrition sportive ont proposé un état des lieux des connaissances dans ce domaine. Louise Burke est depuis de nombreuses années la directrice du Département de la nutrition du sport à l’Australian Institute of Sport. Son mari, John Hawley, dirige le Programme de recherche sur l’exercice physique et la nutrition à l’Australian Catholic University.
Leur article est disponible ici gratuitement, en anglais. En guise d’introduction, et surtout si vous ne parlez pas la langue de Shakespeare et de Chris Froome, voici trois des principes-clés de la nutrition sportive mis en avant par le couple, suivis en bonus de trois éléments intéressants qui ont retenu mon attention.
Que doivent consommer les athlètes ? Malgré la “croyance durable en un prétendu ‘régime du sportif’, unique et supérieur aux autres”, tout dépend en fait du sport pratiqué, selon Louise Burke et John Hawley. Les clichés du marathonien carburant aux pâtes et du footballeur mangeur de viande rouge ont la vie dure mais les auteurs préfèrent mettre en avant 11 types de problèmes physiques auxquels les sportifs sont confrontés et les solutions potentielles apportées via la nutrition.
Répondre à un problème en tenant compte de sa spécificité
Par exemple, quand on pratique un sport d’équipe comme le football et qu’on fait plusieurs séries de mouvements violents pour le corps, comme les sprints, les réserves de phosphocréatine stockées dans les muscles peuvent être difficiles à se reformer entre deux exercices. Mais il est possible d’y remédier en prenant de la créatine. Lorsqu’on court quelques minutes sur une moyenne distance, on peut être gêné par l’augmentation de l’acidité dans les muscles: le bicarbonate de soude ou la bêta-alanine permettent de résoudre le problème. Quel que soit le sport que l’on pratique, il faut trouver l’outil nutritionnel qui lui correspond.
Différencier les aliments en fonction des jours
L’une des avancées les plus importantes de ces dernières années en matière de nutrition sportive reste la prise en compte de la singularité des journées d’un athlète. Une journée d‘entraînement intensif peut nécessiter un plus fort apport en glucides et en calories qu’une journée d’entraînement plus léger, sans que le besoin en protéine change. Une compétition importante peut également amener à modifier son alimentation sur une certaine période pour perdre du poids. En résumé, il n’existe pas de régime unique idéal qui consisterait à manger tous les jours la même chose dans des proportions identiques. En fonction de l’athlète et de son programme d’entraînement, un régime alimentaire peut comprendre entre deux et douze grammes de glucides par kilo de poids de corps, ce qui constitue donc un éventail très large.
Au-delà de l’énergie apportée, la nourriture peut aussi amplifier – ou au contraire atténuer – les effets de l’entraînement. Une autre forme de “périodisation nutritionnelle” peut consister à s’entraîner en n’ayant délibérément que de faibles réserves énergétiques, de manière à solliciter nos cellules de façon plus importante que d’habitude. Le problème de cette méthode est qu’elle surmène le corps, augmentant le risque de maladie et d’épuisement. A utiliser avec modération donc, ou, pour le dire autrement, en la “périodisant”.
Personnaliser son programme
L’article du British Medical Journal de 2012 qui critiquait l’état de la recherche dans le domaine de la nutrition sportive a été écrit par des “scientifiques formés en épidémiologie”, qui utilisent des méthodes pouvant être généralisées à l’ensemble de la population. Mais la nutrition du sport, en particulier au plus haut niveau, ne pourra jamais atteindre ce niveau. “Les personnes qui font partie des panels sont au mieux bien entraînées, ce sont souvent des hommes, et elles ne font presque jamais partie de l’élite mondiale”, notent Burke et Hawley. Il est impossible de faire une étude avec un panel de 1 000 finalistes olympiques pour la simple et bonne raison qu’il n’en existe pas autant.
Il ne suffit pas non plus de se demander par exemple si les boissons riches en glucides améliorent les performances. Il faut s’interroger sur la manière dont l’apport en glucides interagit avec l’apport de boissons et de substances comme la caféine et le bicarbonate de soude, et si les conditions générales (chaleur, altitude, moment de la journée) jouent également un rôle. La conséquence étant que les études scientifiques les plus sérieuses (avec des essais cliniques réalisés à un moment donné sur un grand nombre de personnes) peuvent finir par donner aux athlètes “des informations générales peu appropriées à leurs besoins spécifiques”.
Burke et Hawley préconisent plutôt des “solutions sur-mesure” adaptées à un contexte sportif et compétitif particulier et aux besoins spécifiques de l’athlète. Paradoxalement, les critiques émises par le British Medical Journal vont dans le même sens: “Nos analyses de l’état actuel de la recherche amènent à une conclusion : chacun doit mettre en place son propre régime d’apport en glucides à travers sa propre expérience et ses propres erreurs et tâtonnements.” La différence, c’est que Burke et Hawley estiment que chacun en sait suffisamment dès le départ pour suivre son intuition.
Au-delà des thématiques générales abordées plus haut, les éléments suivants me semblent pertinents :
Utiliser ses papilles
Ces dernières années, des études ont montré qu’il était possible d’améliorer ses performances en gardant en bouche une boisson énergétique sans l’avaler puis en la recrachant, pour faire croire à son cerveau qu’il va recevoir de l’énergie supplémentaire. C’est une technique désormais utilisée par des athlètes à la fin d’un marathon, d’un triathlon et de courses cycliques (et même lors de la Coupe du Monde de foot).
En fait, il ne s’agit là que de la partie émergée de l’iceberg. Burke et Hawley remarquent que des études similaires autour des “sensations buccales” commencent à faire surface concernant l’eau (pour tromper la soif) et la caféine. Les auteurs évoquent également entre autres les bains de bouche au menthol pour rafraîchir le corps quand il fait chaud, la quinine pour stimuler le système nerveux avant un sprint, ainsi que d’autres substances chimiques comme la capsaïcine pour empêcher l’apparition de crampes musculaires.
La victoire en buvant
Le marché des compléments alimentaires pour les sportifs a explosé ces dernières années. Quelles conséquences pour les athlètes ? Dans certains cas, des résultats positifs lors des contrôles antidopage, à cause d’un complément alimentaire soit-disant autorisé par la législation, pris de façon accidentelle ou délibérée.
Parmi la liste interminable de compléments censés améliorer les performances sportives soit directement, soit indirectement (grâce à une meilleure récupération par exemple), Burke et Hawley ne mentionnent que cinq compléments ayant “prouvé de façon tangible leur efficacité” : la caféine ; la créatine ; le bicarbonate de soude et la bêta-alanine, qui réduisent l’accumulation d’acidité dans les muscles pendant un exercice intense, et le nitrate (présent dans le jus de betterave), efficace pour la stimulation musculaire.
L’énigme kenyane
Le régime méticuleux suivi par Chris Froome lors de la 19ème étape du Giro peut sembler être ce qu’on fait de plus pointu de nos jours dans le domaine de la nutrition sportive. Mais il est également intéressant de regarder ce qui se passe à l’exact opposé de cette tendance : les habitudes des coureurs d’Afrique de l’Est, qui ont entièrement dominé la course de fond ces dernières décennies. Burke et Hawley évoquent les débats qui font rage entre les tenants d’une orthodoxie de la nutrition sportive et le régime alimentaire classique des coureurs d’Afrique orientale : “dépendance aux légumes (80 à 90 % de l’alimentation) plutôt qu’aux aliments d’origine animale, faible variété alimentaire, nombre limité de repas dans la journée et périodes régulières de faible apport en énergie”.
Se pose alors la question suivante : les coureurs kenyans et éthiopiens réussissent-ils grâce ou malgré leurs habitudes nutritionnelles ? Il est tout simplement impossible de le savoir en raison de nos connaissances encore très limitées sur le sujet.
En réalité, comme Burke et Hawley le reconnaissent volontiers, les athlètes en savent parfois beaucoup plus que les chercheurs. Pendant des années, les scientifiques ont ainsi recommandé la prise, une heure avant la compétition, de six à neuf milligrammes de caféine par kilo de poids de corps. Louise Burke et ses collègues ne comprenaient donc pas pourquoi tant de cyclistes prenaient un coca dégazéifié vers la fin d’une course, alors que la teneur en caféine était supposée trop faible (de 1 à 2 mg/kg) pour booster leur performance. Pour tenter de convaincre les cyclistes de changer leurs habitudes, ils ont alors mené une étude scientifique et ont constaté qu’une dose plus faible, prise pendant la course, améliorait vraiment leur performance. Ils ont dû alors mettre à jour leurs recommandations. Des recommandations provisoires bien sûr…
Photo d'en-tête : Brooke Lark/Unsplash