Certaines performances forcent vraiment le respect : le défi de Jacky Hunt-Broersma parvenue ce jeudi au bout de son défi – battre le record du monde féminin de marathons quotidiens – en fait partie. Equipée d’une prothèse en carbone à la jambe gauche, la Sud-Africaine de 46 ans, mère de deux enfants, ne court que depuis 6 ans. Mais elle enchaîne les records, pour le plaisir de courir et encourager les personnes amputées à se mettre à la course. Une incroyable leçon de vie de la part d’une athlète à laquelle certains ont osé demandé… si sa prothèse ne lui donnait pas un avantage. Sa réponse détaillée, publiée sur son blog, est plus qu’émouvante.
Enfant, Jacky Hunt-Broersma détestait le sport et faisait partie de celles qui se cachent pour échapper aux cours de gym. Il faudra un cancer rare – le sarcome d’Ewing, une tumeur touchant les tissus et les os – pour que la Sud-Africaine, alors âgée de 25 ans, soit amputée de sa jambe gauche, en 2001 et, contre les conseils de ses médecins, commence la course. « Ils craignaient que je me blesse », explique-t-elle sur son site. Ca, c’était il y a six ans. Mais en voyant son mari Edwin faire quelques marathons, elle décide de se lancer dans la course, elle qui n’avait jamais couru auparavant.
Très vite elle se prend au jeu, et enchaîne les compétitions, et les records, avec une facilité déconcertante. A son actif, entre autres, le record du monde des 100 milles pour une amputée, avec un chrono en dessous des 24h (23 h 38), en 2020. Ses nombreux followers n’ont donc certainement pas été surpris de la voir se fixer un nouvel objectif en janvier dernier : 100 marathons en 100 jours, histoire de battre de cinq unités le record du monde de l’époque alors détenu par Alyssa Clark (95 marathons en 95 jours). Objectif atteint mais vite repoussé, quand, début avril 22, la Britannique Kate Jayden passe la barre des 101 marathons en autant de jours. Qu’à cela ne tienne, Jacky rajoute deux marathons à son compteur et boucle son pari de 102 courses en 102 jours, à raison de 5 heures en moyenne, courus dans son quartier, sur route ou tapis, chez elle dans l’Arizona. Pour son 92e marathon de suite, le 19 avril, elle monte même sur la 3e marche du podium du marathon de Boston dans la nouvelle catégorie de para-athlétisme pour les athlètes souffrant de handicaps des membres inférieurs, en terminant en 5:05:13. En soit son record mondial est déjà un énorme exploit. Mais il est plus impressionnant encore quand on sait que Alyssa et kate sont deux athlètes valides.
Pour tous les amputés, c’est donc un encouragement très fort que la Sud-Africaine a envoyé tout au long de son aventure. Elle qui rappelle volontiers que : « la course à pied a vraiment changé la façon dont je me vois en tant qu’amputée, et elle m’a donné le courage d’être qui je suis et de montrer à quel point je peux être forte. J’aimerais voir plus d’amputés courir. Il n’est pas nécessaire de faire des marathons, mais je veux juste les voir se sentir libres et physiquement actifs. Vous pouvez faire tout ce que vous voulez. » D’ailleurs, au fil de sa course l’athlète est parvenue à collecter 24 000 dollars au profit de « Amputee Blade Runners », une association qui aide les personnes amputées d’un ou plusieurs membres à pratiquer du sport. Son objectif initial était de 20 000. Preuve que son message est passé. Ce qui était loin d’être évident quand on lit son témoignage que nous publions ci-dessous.
Une lame de course vous donne-t-elle un avantage ?
C’est la question à laquelle répondait Jacky Hunt-Broersma en décembre 2020 sur son blog. Une réflexion murie suite à une expérience douloureuse, comme elle l’explique dans son texte que nous reproduisons ici intégralement.
Je suis amputé depuis 18 ans, je cours depuis 4 ans et je pratique l’ultra/trail depuis 2 ans. Je n’ai jamais pensé que courir avec une lame susciterait autant de controverse au fil des ans. Je n’avais jamais pensé que j’avais un avantage à l’heure de courir, jusqu’à ce qu’un couple m’arrête un jour alors que je courais et que l’homme pointe du doigt ma prothèse et me dise : « J’ai lu que vous n’êtiez pas autorisée à concourir avec cette chose, car elle vous donne un avantage ». J’étais sous le choc et je ne savais pas quoi dire.
Aujourd’hui, voici mon point de vue sur la question :
1 Il me manque une jambe et la seule chose que la prothèse m’a apportée est la capacité de courir. Sans elle, je ne serais pas capable de courir.
2 Elle m’a donné la possibilité de courir avec mes enfants, ce que je ne pouvais pas faire auparavant parce que ma prothèse de marche était trop lourde.
3 Une lame de course coûte cher, celle avec laquelle je cours coûte 20 000 $ et elle ne dure pas longtemps parce que le moignon change et qu’il faut une nouvelle douille tous les deux ans. Avec la quantité de course que je fais, j’ai besoin d’une nouvelle douille tous les ans.
4 Ensuite, il y a tous les problèmes liés à la course avec une lame. J’ai mal pendant le premier kilomètre de chaque course parce que mon moignon doit s’adapter à ma prothèse de course. La rupture de la peau peut être douloureuse. Des ampoules sur le moignon à cause de la friction causée par le chausson, des poils incarnés à nouveau causés par la friction du chausson. La transpiration est un problème majeur et peut faire glisser votre jambe pendant la course.
5 La technologie s’est nettement améliorée au fil des ans, mais je n’ai toujours qu’une jambe normale, et ma prothèse de course doit donc correspondre à ma jambe normale.
6. Les amputés sont plus enclins à se blesser et je vais voir mon physiothérapeute toutes les deux semaines pour m’assurer que je ne me blesse pas.
7. Mon moignon est tout en os, donc mes os se meurtrissent en courant et l’os de mon genou se déplace, ce qui est extrêmement douloureux.
8. Lorsque je cours 100 miles, je dois m’arrêter beaucoup plus souvent qu’un athlète ordinaire pour changer de chaussettes sur mon moignon.
9. Les valves se cassent, les chaussettes se déchirent et tout cela augmente le coût de la course avec une prothèse.
10 Il faut beaucoup de courage à un amputé pour se tenir sur la ligne de départ de n’importe quelle course. On nous regarde, on nous montre du doigt et on parle de nous tout le temps, et en plus de cela, les gens se demandent si nous devrions avoir le droit de concourir. Je suis reconnaissante pour ma prothèse de course. Car sans elle, je n’aurais pas découvert la joie de courir.
Photo d'en-tête : @NCrunnerjacky