Non contente de faire partie des rares femmes dirigeantes dans l’industrie de l’outdoor, Antje von Dewitz, à la tête de l’Allemand Vaude depuis 2009, se paye le luxe d’avoir une approche bien à elle du business, radicalement environnementale et sociale, ce qui ne lui vaut pas que des amis. Pas de quoi freiner cette cheffe d’entreprise qui croule sous les distinctions couronnant son engagement mais aussi la réussite de sa société. Ni surtout lui ôter l’envie de prendre, parfois, le large : elle vient tout juste de rentrer d’un trek de 1100 km, du col du Griess dans le Valais suisse jusqu’à la côte ligurienne. Trois mois de marche en solo, équipée d’un sac de 8 kg. Sa manière à elle de fêter ses 50 ans.
Rencontrée en mai dernier à l’occasion du Change Now Summit, où elle donnait une conférence « how to drive business differently », Antje von Dewitz devait nous accorder 20 minutes. L’entretien durera 1h15. La pasionaria du business vert de l’outdoor était de passage à Paris, venue en train bien sûr – « aucun de mes quatre enfants, tous très engagés, ne tolèrerait que je prenne l’avion ! » dit-elle – c’était l’occasion pour nous de découvrir le visage de Vaude, spécialiste de l’équipement de montagne, l’un des plus exigeants de l’industrie textile en matière d’environnement. C’est d’ailleurs pour cela qu’elle est invitée ce jour-là à Paris à l’un des sommets sur l’environnement les plus intéressants du moment, car tous ici s’interrogent : comment concilier business et lutte contre le réchauffement climatique ? Une équation que la Directrice générale de Vaude, semble avoir résolue sur bien des points.
Qu’on en juge. « Cela fait maintenant 12 ans qu’Antje transforme Vaude en une entreprise totalement durable », explique le sommet dans sa bio express. « Elle plaide sans relâche pour une responsabilité écologique et sociale dans la chaîne d’approvisionnement, non seulement dans sa société, mais aussi au niveau national et international. Elle appelle les entreprises à assumer leurs responsabilités envers les personnes et la planète (..). Antje soutient l’approche de l’Économie pour le bien commun (Gemeinwohl-Ökonomie, ECG, mouvement initié par Christian Felber, activiste altermondialiste autrichien, ndlr) qui mesure le succès entrepreneurial non seulement en termes de bénéfices financiers mais aussi en termes de contribution au bien commun. En tant qu’ambassadrice de l’ECG, elle fait campagne pour que les entreprises reconsidèrent leur rôle dans la société » Pas mal pour une étudiante en économie et en culture qui ne se destinait pas vraiment à reprendre l’entreprise fondée en 1974 par son père, Albrecht von Dewitz, mais qui après un parcours très personnel, notamment au sein d’ONG et de l’université, conclut que, « c’était là qu’était ma place et que je pouvais le mieux agir, en conformité avec mes convictions ».
Bien vu : depuis qu’elle a repris les rênes de Vaude, entreprise basée dans le sud de l’Allemagne, près des rives idylliques du lac de Constance, en 2009, elle est parvenue à transformer fondamentalement sa société. Un parcours vers une entreprise plus vertueuse ponctué d’étapes majeures.
Dès le milieu des années 90, premiers essais pour recycler entièrement les vêtements techniques des sportifs outdoor, au sein du réseau Ecolog-Recycling. 2001 : Vaude est la première dans l’industrie outdoor à soutenir et utiliser le très rigoureux label « Bluesign ». Huit ans plus tard, en 2009, elle va plus loin encore et crée son propre label de qualité Green Shape certifiant non pas seulement la matière première textile, mais tous les éléments constituants d’une veste. En toute logique, en 2015, elle signe le Greenpeace Detox Commitment, s’engageant ainsi à éliminer d’ici fin 2020 toutes les substances polluantes de la totalité de sa chaîne d’approvisionnement et à fabriquer toutes ses collections sans avoir recours aux PFC.
A son actif aussi, de longues et tumultueuses batailles. Elle pourra alors compter sur le soutien sans faille de son compagnon, Wolfgang Ungelert qui, inversant les rôles traditionnels, n’hésitera pas à accepter un poste à mi-temps pour s’occuper de leurs quatre enfants. Un partenariat gagnant. En 2015, avec le militant politique Christian Felber, Antje von Dewitz obtient que le Comité économique et social européen se déclare en faveur de l’économie du bien commun et plaide pour son intégration dans les cadres juridiques européens et nationaux. Et en 2020, elle soutient l’adoption d’une loi allemande sur la chaîne d’approvisionnement afin de garantir des normes éthiques et écologiques plus élevées dans l’approvisionnement international de l’économie allemande.
Un engagement économique, politique et social qui lui vaut toute une flopée de distinctions au cours des dix dernières années. Notamment en novembre 2021, le titre de « EY Entrepreneur Of The Year Award 2021 », pour « sa gouvernance responsable et couronnée de succès dans la catégorie « Durabilité ». Ce qui fit dire à Roland Schubert, CEO, LGT Bank, un homme qui est tout sauf un écolo allumé, qu’« il faut une bonne dose de courage pour concrétiser une idée d’une manière aussi cohérente ». C’est bien le sentiment que nous avons eu à l’issue de notre entretien ce jour-là.
Vous venez d’intervenir sur l’une des conférences les plus attendues du Forum : « how to drive business differently », comment faire du business autrement. Quelles seraient donc les clefs pour y parvenir selon vous ?
Tout dépend de la façon dont vous définissez votre entreprise. En ce qui me concerne, à titre personnel, ainsi que Vaude, je considère que nous faisons partie du problème, car l’industrie de l’outdoor, l’une des plus polluantes, est une industrie mondiale, globale. Envisager notre rôle en termes de durabilité n’est pas une simple option, mais une responsabilité. Il est de notre devoir de faire du business de telle façon que nous dégradions pas la nature. Je pense que la clef est là, car dès lors que vous voyez les choses sous cet angle, vous ne vous retrouvez pas bloqué à la première difficulté. Tout simplement parce que vous êtes intimement convaincu qu’il est de votre devoir d’agir ainsi. C’est la clef, je pense. Et c’est ce dont manque la plupart la plupart des entreprises.
Et puis, il faut avoir une vision. Déterminer quel est votre impact et bien comprendre que vos objectifs au niveau environnemental et social sont à mettre au même plan que vos autres objectifs. Enfin, vous avez besoin de moyens, d’un budget et d’expertise pour assurer la mise en œuvre et le suivi de vos objectifs.
A quelle moment avez-vous eu cette prise de conscience ?
Je pense que je suis née comme ça ! (elle rit). Ma mère était une femme dotée d’un fort sens critique à l’égard du système. D’ailleurs, je ne me destinais pas initialement à reprendre l’entreprise familiale, je pensais qu’il fallait sauver le monde en étant de l’autre côté de la barrière.
Qu’est-ce que vous répondez à ceux qui vous disent qu’ils n’ont pas les moyens financiers d’investir dans cet objectif… pour l’instant ?
Je leur réponds que faire du « sustainable business », suppose aujourd’hui de développer une certaine discipline en matière de management. Vous avez besoin d’apprendre très vite afin de rester une marque qui compte sur le marché. Et vous avez besoin de comprendre que vous allez devoir investir sans avoir de retours sur investissements immédiats. Mais vous avez aussi besoin de garder en tête que prendre cette voie va vous rendre nettement plus efficace. C’est ce que nous avons constaté chez Vaude. Je vous donne un exemple, nous savions qu’à chaque saison, 20% de notre collection vieillissait et demandait à être revu. Cela réduisait forcément notre marge. Pire, si vous considérez bien les choses, ça n’a rien de durable. Aussi, nous avons investi beaucoup d’énergie pour faire tomber ces vieux stocks à 3%. Cela nous a permis d’augmenter notre marge bénéficiaire, alors même que nos coûts de fabrication augmentaient. Et ce, sans le répercuter sur le consommateur final.
Vous avez repris en 2009 la direction de l’entreprise familiale et adopté une approche nettement plus radicale du business, comment s’est passée la transition ?
Nous avons connu des années très dures, au tout début. En 2009, nos fonds propres étaient très bas. Or vous avez besoin de montrer de bons chiffres à votre banquier pour obtenir les prêts nécessaires aux investissements. Notre banque nous a suivis, mais elle nous a imposé des conditions très dures, ils ne nous ont rien laissé passer ! Aucun déficit ne nous a été accordé. C’était très dur, on était submergé de travail et les coût étaient plus importants. Sans parler des conflits au sein de Vaude. Nous lancions tant de chantiers différents, si nouveaux, que tout était beaucoup plus complexe à gérer. Et nous ne savions pas vraiment comment gérer cette nouvelle situation. A l’époque Vaude pesait 15 millions d’euros, (elle pèse 120 millions d’euros de chiffre d’affaires aujourd’hui, ndlr). A titre personnel, je contrôle 32% de la société, le reste est réparti entre mon frère et mes sœurs. Nous avons les mains libres, et nous n’avons pas l’intention d’ouvrir le capital à des investisseurs. Nous voulons garder le contrôle.
A l’époque, quand nous avons mis le cap à 100% sur une autre approche, la société comptait environ 350 personnes. Contre 550 maintenant. Au sein de Vaude, les gens pensaient que c’était une très bonne idée cette nouvelle approche, mais nous avions déjà de bons projets sur le plan environnemental. Dès 1994, nous avions notamment mis en place un système de recyclage, un gros investissement, mais ça ne marchait pas vraiment, parce que ce n’était pas assez connu. Donc j’ai dû faire face à beaucoup de scepticisme au sein de mon équipe, mais aussi à beaucoup de questions : « ok, très bien, me disait-on, mais quid des coûts ? »
Quel est l’obstacle qu’on vous renvoie le plus souvent ?
Précisément la question des coût. J’y réponds que ca ne coûte pas cher d’être durable, car les coûts sont déjà là : la nature est impactée si nous n’agissons pas et quelqu’un d’autre, sur cette planète, va en payer le prix, tôt ou tard. C’est pourquoi je suis convaincue que la durabilité ne coûte pas cher. Pire, si vous ne faites rien, cela vous coûte encore plus cher plus tard. On doit cesser d’envisager le business sous un angle unidimensionnel. A l’heure actuelle, les résultats des entreprises ne sont mesurés que sous l’angle financier. Or dès lors qu’on prend en compte l’angle social et environnemental, on observe un changement de système. C’est toute notre culture que l’on change. Du coup on découvre de nouvelles opportunités et obtient quantité de retours positifs. Pas seulement sur un projet précis, mais globalement. Cela vous apporte de nouveau clients, motive votre équipe, vous ouvre de nouveaux marchés, et cela vous conduit à réfléchir à comment réduire d’autres coûts. Mais c’est vrai seulement et seulement si vous avez un projet « systématique », global. Je sais que c’est compliqué, mais je pense que c’est le plus grand challenge que nous ayons aujourd’hui dans le monde économique. Il faut que les gens commencent à avoir une approche systémique. Procéder ainsi vous rend tellement plus créatif mais aussi plus solide face aux crises qu’une entreprise peut rencontrer. C’est plus de travail, c’est plus d’investissement au départ, mais cela vous ouvre tant de perspectives !
Au fil de la dernière décennie vous avez engrangé les distinctions les plus prestigieuses, tant au niveau environnemental qu’économique, notamment le Vanity Fair Changing Your Mind Award (2020), le prix TRIGOS pour l’entreprise durable (2019) et l’ordre du mérite du Land de Bade-Wurtemberg (2017), Top Business Women dans la catégorie Top Entrepreneur du Financial Times Allemagne (2011)… Quelle est celle dont vous êtes la plus fière ?
C’est le prix de l’entreprise la plus « sustainable d’ Allemagne », obtenu en 2015. Toute notre équipe en a été tellement fière ! C’était notre but, depuis le début. D’autant que l’Allemagne est le marché le plus important de l’outdoor en Europe. Mais il reste tant à faire ! Depuis 2022, nous sommes une entreprise climatiquement neutre dans le monde entier via la compensation et selon les Science Based Target, qui reposent sur des connaissances scientifiques. Et d’ici 2024, nous souhaitons fabriquer nos matériaux principalement à partir de fibres recyclées et naturelles afin de réduire les émissions de CO2. Par ailleurs, nous savons que la majorité de nos émissions de gaz à effet de serre sont produites par nos fournisseurs lors de la fabrication des matériaux de nos produits. D’ici 2030, c’est une réduction de 50 % des émissions de la chaîne d’approvisionnement que nous visons en aidant nos partenaires à passer à des sources d’énergie renouvelables.
Justement, quel est le plus grand challenge que vous rencontrez actuellement ?
Comme je le disais, nous voulons, entre autres, faire en sorte que d’ici 2024, tous nos matériaux soient recyclables, comme c’est déjà le cas par exemple de nos sacoches de vélo. Mais aussi répondre aux nouvelles exigences du label Green Shape. Nous y répondions déjà à hauteur de 96%, mais le label vient de remonter la barre, c’est notre nouvel objectif, on progresse donc en étant encore plus exigeants.
Dans cette perspective, certaines marques ont déjà commencé à offrir des gammes de produits plus limitée, est-ce une option que vous envisagez ?
Oui, depuis des années déjà. En commençant par réduire les familles de produits, comme nous l’avons déjà fait en éliminant des collections entières, le nautisme ou le sous-vêtement par exemple, pour nous concentrer sur nos produits actuels et bien les faire.
Vous continuez de penser que les consommateurs sont toujours en demande de nouveaux produits ?
C’est l’un des paradoxes de notre activité auquel nous devons faire face. Bien sûr nous pourrions nous concentrer sur nos produits actuels et faire en sorte, en parallèle, que nos clients les réparent si besoin pour prolonger leur durée de vie – option que nous leur offrons – mais nous sommes et resterons une entreprise qui doit garder sa place sur un marché très concurrentiel. Nous devons y rester présents, notamment en offrant des nouveautés. Sachant que nous faisons le maximum pour réduire notre empreinte carbone, nous considérons que notre offre fait sens et a sa place.
Certains de nos lecteurs nous demandent pourquoi nous ne leur donnons pas une liste des produits qui ont fait leur preuve depuis des années, qu’on a tous envie d’avoir parce qu’on sait qu’ils vont durer, qu’en pensez-vous ?
Nous en tenons compte et gardons dans notre fond de collection des basiques. Cela représente chaque saison 15 à 20% de nos produits. Des produits que nous considérons très aboutis et que nous changerons peut-être qu’un niveau de menu détails, comme les coloris par exemple. Par ailleurs, nos recherches en matière de bio produits nous conduisent à changer notre offre et donc à introduire de nouvelles références dans nos collections, moins impactantes au niveau environnemental.
Patagonia semble aller plus loin encore dans son approche en matière d’environnement, et va jusqu’à investir dans l’agriculture biologique par exemple, qu’en pensez-vous ?
Nous y avons réfléchi au cours des quinze dernières années, mais nous n’avions pas un euro de reste pour le faire, car tout, absolument tous nos moyens allaient à la transformation de notre approche.
Disposez-vous de plus de ressources aujourd’hui ?
Oui, mais nous restons très, très, focalisés sur notre approche initiale : investir dans un futur durable et transformer notre propre entreprise. Je ne l’écarterais pas – mon père depuis la création de notre entreprise s’est déjà impliqué dans des actions en faveur de l’environnement qui ne relevaient pas de notre activité de base – et nous pourrions l’envisager dans le futur. Mais certainement pas à court terme. Pas avant 5 à 10 ans peut-être.
On sait que l’éco-anxiété affecte de plus en plus de gens aujourd’hui, comment parvenez-vous à parler d’environnement à vos clients sans les plonger dans l’angoisse ?
A titre personnel, j’ai une grande conscience politique, je suis de près l’évolution de notre société, pas seulement au niveau environnemental, mais aussi économique et sociétal. Vaude communique sur les sujets sur lesquels elle détient une certaine expertise, avec des prises de position qui suscitent parfois de vives réactions. Par exemple, en 2015-2016, nous avions tant de réfugiés arrivant en Allemagne que notre équipe s’est demandée ce qu’elle pouvait faire pour eux. Au départ nous avons pensé leur offrir des stages par exemple, mais très vite, nous avons compris que ce qu’ils voulaient, c’était travailler, tout simplement. Alors, comme nous avions des postes disponibles dans nos usines, nous avons embauché des réfugiés dans le cadre d’un vaste programme d’intégration qui au final a permis à seize d’entre eux de nous rejoindre. Mais à cette époque, il y avait tant de tensions, tant de haine à l’égard de cette immigration dans les médias, sur les réseaux, que nous avons partagé notre expérience sur les réseaux pour montrer un exemple positif. Cela a généré tant de messages de haine ! C’était horrible. Des messages avec des têtes coupées, des menaces. Au point que j’en suis venue à me demander si je ne mettais pas en péril mon équipe et ma famille. Mais nous considérons que cela fait partie de notre entreprise, de notre histoire, que nous sommes et devons continuer d’être des pionniers sur ce terrain comme en matière d’environnement. Aussi je crois que la clef, c’est vraiment de parler de sujets que nous connaissons, d’expériences que nous avons vécues, et donc en connaissance de cause, ce qui nous donne une certaine légitimité. Dès lors, il ne s’agit pas juste d’une prise de position abstraite, d’une opinion dans fondements.
Mais, pour revenir à votre question sur « comment parler d’environnement aujourd’hui », je dirais qu’il est largement partagé aujourd’hui que l’heure est grave, la situation vraiment sérieuse, je pense que nous (Vaude, ndlr) sommes devenus, au fil des années, comme une sorte de « phare », et qu’aujourd’hui nous parvenons à faire passer un message d’espoir, alors que partout autour de nous on n’entend que des cris d’angoisse et que rares sont ceux qui proposent des solutions. Nous, nous essayons de proposer des solutions au niveau du business. Je pense que cela donne de l’espoir et de l’énergie aux gens pour eux aussi faire leur possible, à leur niveau. Alors oui, on sait que la situation est dramatique, mais dans notre secteur, dans notre industrie, nous essayons de faire des changements de fond. Nous pouvons faire changer les choses. Chacun d’entre nous peut le faire changer.
Vous êtes très convaincante, mais au fond, en étant très réaliste, y croyez-vous vraiment ?
Je pense qu’à notre niveau, notre petit niveau, parce que nous sommes encore un acteur relativement mineur de l’industrie, nous avons démontré qu’on pouvait se transformer et faire des changements. Nous avons réussi, à notre échelle. Je ne veux pas tomber dans les clichés mais je crois sincèrement, profondément, que chacun d’entre nous peut faire quelque chose. Je sais qu’en parlant comme ça, j’ai l’air d’une missionnaire, mais dans notre entreprise nous sommes des gens comme les autres, or nous sommes parvenus à composer une équipe et à décupler notre énergie. Aujourd’hui à nous tous, nous sommes bien plus forts que les 550 personnes de Vaude. C’est pour cela que je garde l’espoir. D’autant que franchement quand nous avons commencé notre transition, jamais je n’ai imaginé que nous pourrions répondre aux exigences de Green Shape à hauteur de 96%. Si vous ne pensez que de manière linéaire, vous ne voyez que les obstacles, mais dès que vous commencez à adopter une vision systémique, tout change, vous voyez les choses autrement.
Vous êtes très investie dans le milieu de l’industrie outdoor au niveau européen, notamment en tant que vice-présidente de l’Association européenne de l’industrie de l’outdoor, partagez-vous votre expérience en matière d’environnement ?
Oui, nous avons même créé une académie du business durable. Depuis deux ans, nous soutenons d’autres sociétés ou organisations. Dans tous les domaines, et même certains de nos concurrents, opérant dans divers secteurs, notamment dans la chaussure. Je préfère ne pas les citer. Je ne partage pas tous mes secrets, mais agir en faveur de l’environnement, c’est un travail d’équipe. Plus nous travaillerons dans ce sens, mieux ce sera pour la planète mais aussi pour le business, car nous changerons d’échelle et les prix baisseront. Nous échangeons aussi avec une trentaine de partenaires, marques, universités, centres de recherches. Nous sommes inspirés par d’autres et apprenons de leurs expériences. Ensemble, nous avons ainsi pu créer un nouveau matériau, à partir de vieux pneus, utilisé notamment dans nos sacs à dos.
Qui vous a inspiré dans votre approche systémique ?
Une de mes profs de lycée je crois, j’avais 13-14 ans à l’époque. Elle nous a parlé de la déforestation en Amazonie, du changement climatique, elle faisait le lien entre ces phénomènes. C’est à ce moment là que j’ai compris que tout était lié. Chaque chose à un impact sur une autre. C’est angoissant… et en même temps réconfortant, parce qu’on peut aussi agir dans l’autre sens sur cette planète !
Vous cumulez les fonctions, multipliez les combats, parvenez-vous à décrocher parfois ?
Oui, je m’accorde toujours 3 semaines par an, pour profiter de ma famille et de mes quatre enfants, mais cette année, pour fêter mes 50 ans, je prends trois mois. Trois mois pour faire une traversée à pied des Alpes, seule : 1100 km, du col du Griess dans le Valais suisse jusqu’à la côte ligurienne. Je ne toucherai pas à mes mails professionnels. Retour prévu fin septembre.
Sans angoisse ?
Non, j’ai une bonne équipe, je peux compter sur elle. Je ne peux pas tout savoir, mon rôle, c’est de trouver les bonnes personnes et de leur assurer le cadre dans lequel elles peuvent donner le meilleur d’elles-mêmes.
Lundi dernier le 26 septembre, son long trek achevé, Antje von Dewitz retrouvait comme prévu son équipe et nombre de chantiers en cours, et non des moindres. En son absence, le statut des travailleurs réfugiés qu’elle a accueillis au sein de Vaude semble être à nouveau sur la sellette. Un combat parmi tant d’autres relatés dans son autobiographie « Mut Steht Uns Gut! » (« Le courage nous va bien ! « , publié en mai 2020 et disponible en allemand seulement)
Photo d'en-tête : VAUDE