Le moins qu’on puisse dire c’est que Charles Caudrelier a le sens du timing. Le skipper du Maxi Edmond de Rothschild, qui fêtait hier ses 50 ans, a franchi ce matin la ligne d’arrivée de l’Arkea Ultim Challenge – première course autour du monde des géants de mers – à 8h 37min 42s, à l’issue de 50 jours de mer. Avec cette victoire, il entre dans l’histoire de la course au large. Une consécration pour ce navigateur discret, longtemps méconnu du public, souffrant à ses débuts du syndrome de l’imposteur.
Longtemps resté dans l’ombre de son ami et coéquipier Franck Cammas, Charles Caudrelier est reconnu depuis longtemps par ses pairs. Il aura fallu sa victoire en solitaire sur la Route du Rhum 2022 pour que le grand public découvre ce navigateur qui jamais n’a cherché la lumière, au contraire.
Un parisien qui trouve très tôt ses racines en Bretagne
Né à Paris le 26 février 1974, Charles Caudrelier va très jeune déménager à Fouesnant, en Bretagne Sud. Ses parents sont passionnés de voile, ils décident de quitter la capitale pour s’installer à deux pas du Pôle Finistère Course au large. Un centre dont sont sortis Desjoyeaux, Cammas, Jourdain, Gabart, ou encore Le Cléac’h… Des fenêtres de la demeure familiale de Beg-Meil, on embrasse toute la baie de La Forêt, de la pointe de Trévignon à la plage de cap Coz. C’est dans ce décor que rêve le jeune Charles Caudrelier… mais pas forcément de voile.
Pas vraiment fan de voile au départ
Son père et son oncle, tous deux marins confirmés, tentent bien de lui inculquer le virus de la voile, mais la passion de Charles Caudrelier, c’est plutôt la planche à voile. Pour la vitesse et les sensations de glisse. Contrairement à la majorité de ses actuels équipiers ou adversaires, on ne le verra donc pas passer par la classique filière Optimist, Laser, 470.
Il aurait pu être golfeur
La légende veut qu’enfant il ait promis à sa grand-mère de devenir prêtre. Las, Charles n’a pas la foi, et adolescent, il s’imagine golfeur, avant qu’une péritonite ne le prive de fairways pendant tout un été. « J’ai alors passé deux mois à naviguer et je n’ai plus jamais touché un club de golf », dit-il.
Tardivement, à 15 ans, il se passionne pour la voile. Ce sera sa voie
Charles a 15 ans quand son père décide d’acquérir un monotype Bénéteau Figaro qu’il loue à Marc Guillemot. Autodidacte et solitaire dans l’âme, il goûte aux côtés de ce brillant navigateur aux premières joies de la régate en équipage. L’appétit pour la mer et les bateaux conduit Caudrelier à rentrer dans la marine marchande, des études « qui m’ont attiré mais ne m’ont pas plu » dit-il. Une fois « rempli son contrat avec son père », Charles tirera un trait définitif sur ce métier d’officier. Il ne l’exercera jamais.
Déjà un goût prononcé pour le solitaire
Si le virus de la voile lui vient tardivement, plus jamais il ne le lâchera. Inlassablement, le week-end et durant les vacances scolaires, l’adolescent emprunte les voiliers des amis de la famille, et navigue, déjà, en solitaire. De jour, et même de nuit. Car quand ses parents le croient endormi au port, à bord du bateau familial, il navigue seul, au large des Glénans. « Quand je partais la nuit tout seul, tirer des bords, j’avais la sensation de faire un exploit », confie-t-il volontiers.
Des mentors qui ont tout changé
Si la rencontre avec Marc Guillemont est capitale pour Charles Caudrelier. D’autres grands noms de la voile vont marquer son parcours. Citons Michel Desjoyeaux, future légende de la course en solitaire, croisé au départ d’une épreuve en solitaire à deux pas de chez lui – la Solo Concarneau. Avec Laurent Bourgnon, il fait partie de ses « premiers héros ».
Mais son guide, ce sera Franck Cammas, son copain et colocataire d’alors. Son équipier aussi. De lui Charles Caudrelier apprendra beaucoup, et vite. .
Son surnom ? La machine
Quand on évoque Charles Caudrelier, invariablement les mêmes qualificatifs fusent : humble et discret. Au point que certains le comparent à Eric Tabarly. Costaud, dur au mal, excellent manœuvrier. « Il est capable d’aller très loin, d’être très hargneux, c’est un animal. Pendant la Route du Rhum, il fallait qu’on le freine ! Même en amont de la course, lorsqu’il gère son projet, il est insatiable. Il investit énormément d’énergie et en récolte les fruits », explique son co-équipier de la Route du Café, Erwan Israël, qui est aussi l’un de ses routeurs.
Son calme et son sang-froid en font un équipier très apprécié par ses pairs. Il y gagne un surnom : « la machine ». D’autant que sous ses airs impassibles et son apparente timidité qui l’empêche parfois de finir ses phrases, il se montre capable d’une sacrée capacité à l’action, à la ténacité et à l’engagement. En témoigne aujourd’hui sa gestion de l’Arkea Ultim Challenge. Mais bien avant, en 2018, ses pairs ne s’y étaient pas trompés, le nommant marin de l’année.
Le syndrome de l’imposteur et la préparation mentale
« Quand je vois mon nom sur le trophée, je peine à croire qu’il s’agisse de moi. J’ai l’impression d’être un imposteur parmi les autres. Le fameux trophée dont il parlait est celui de la Volvo Ocean Race, le plus prestigieux des tours du monde en équipage, remporté par l’élite planétaire de la course au large depuis des décennies. », raconte Ouest France. Deux ans plus tard, Charles Caudrelier ne semble plus douter de lui. Il doit sans doute beaucoup au travail engagé avec Gilles Monier, son préparateur mental, mais aussi à des rencontres enrichissantes, notamment celle de l’apnéiste Arnaud Jerald.
Au sein du team Gitana, il devient une figure incontournable de la course au large
Ce marin discret doit sa popularité naissante à son aventure au sein de l’équipe Gitana, écurie de course au large d’Ariane et Benjamin de Rothschild, depuis 2019. Avec Franck Cammas notamment, il développe le Maxi Edmond de Rothschild. En 2022, son coéquipier lui en laisse les clefs pour la Route du Rhum. Bien vu : à 47 ans, Caudrelier remporte l’épreuve, en un temps record de surcroit, et devient le 11e lauréat de la mythique course au large. Cette victoire en solitaire l’impose définitivement.
Lors de son recrutement par le team Gitana, il se trouvait sur la short list des candidats avec son copain-mentor Franck Cammas. Finalement, le directeur de l’écurie de course de Benjamin et Ariane de Rothschild a embauché les deux. Beaucoup prédisaient alors que le premier, à la personnalité et au palmarès impressionnants, ne laisserait pas beaucoup de place au second, plus effacé et laborieux. L’histoire prouvera le contraire.
Les chiffres clés de Charles et du Maxi Edmond de Rothschild :
- Passage équateur retour : Equateur (Aller) :
- Charles Caudrelier a franchi l’équateur pour la 2ème fois de son tour du monde, le 16 février 2024 à 8h 44min 48 secondes, au terme de 39 jours, 19 heures, 14 min et 48 secondes de course.
- Temps équateur aller / équateur retour : 33 jour, 11h, 33 min
- Passage du cap Horn :
- Le skipper du Maxi Edmond de Rothschild a franchi la longitude du cap Horn mardi 6 février à 18h 08 min 40 secondes, après 30 jours 4 heures 38 minutes et 40 secondes de course – en 1ère position
- Record de l’océan Indien en solitaire :
- Le dimanche 28 janvier Charles Caudrelier a franchi la longitude du cap du Sud-Est à 1h03min et 10 secondes (heure française) après 20 jours 11 heures 33 minutes et 10 secondes de course. Il a parcouru 6 113 milles entre le Cap des Aiguilles (Afrique du Sud) et le Cap du Sud-Est en 8 jours 8 heures 20 minutes et 36 secondes, à la vitesse moyenne de 30,7 nœuds.
- Passage du cap Leeuwin :
- Le 25 janvier à 19h 14min et 05 secondes, en 18 jours 5 heures 44 minutes et 5 secondes de course – en 1ère position – Nouveau temps de référence en solitaire.
- Passage du cap de Bonne-Espérance :
- Le 19 janvier à 14h 32min 22 sec, en 12j 1h 2min et 22s – en 1ère position
Quelques moments forts de son parcours
- 1 x Route du Rhum – Destination Guadeloupe (2022)
- 3 x Transat Jacques Vabre (2009, 2013, 2021)
- 2 x Volvo Ocean Race (2011-2012 // 2017-2018)
- 1 x Solitaire du Figaro 2004
À bord du Maxi Edmond de Rothschild
- Route du Rhum – Destination Guadeloupe 2022
- 24H Ultim 2022
- Finistère Atlantique – Challenge – Action Enfance 2022
- Transat Jacques Vabre 2021
- Drheam Cup 2020
- Brest Atlantiques 2019
- Rolex Fastnet Race 2019 et 2021
Classement du lundi 26 février, au pointage de 16h :
1) Maxi Edmond de Rothschild – Charles Caudrelier
2) Sodebo Ultim 3 – Thomas Coville – à 1 460,1 milles du leader
3) Maxi Banque Populaire XI – Armel Le Cléac’h – à 2 106,3 milles du leader
4) Actual Ultim 3 – Anthony Marchand – à 4 446,4 milles du leader
5) Ultim Adagio – Eric Peron – à 5 057,6 milles du leader
Abandon : SVR Lazartigue – Tom Laperche
Pour suivre la course, en direct, c’est ici
Article publié le 26 février 2024 à 19h45, mis à jour le 27 février 2024 à 8h50
Photo d'en-tête : Yann Riou - polaRYSE / Gitana S.A