Fin août, lorsque Kaboul tombe aux mains des Talibans, les membres de l’équipe nationale afghane de snowboard sont menacés de mort – leur sport est interdit par les fondamentalistes islamistes. Contacté par le directeur de la fédération afghane, Victor Daviet, snowboarder pro, réussit, après de longs mois d’acharnement, à faire extrader ces jeunes. Aujourd’hui, avec l’association « Snowboarders Of Solidarity », il collecte des fonds destinés à réinsérer les Afghans dans divers pays du monde.
Tout commence le 20 janvier. Avec l’association Zom Connection, Victor Daviet se rend au Pakistan pour enseigner aux enfants à skier – mais surtout à maîtriser les gestes de secours en cas d’avalanche. « Le but était d’apporter du matériel collecté en amont dans les Alpes et de former la population aux sports d’hiver (ski, snowboard, ski de fond, hockey sur glace, cascade de glace, ski de rando, splitboard). À différents endroits du pays, on a ouvert des magasins de locations de skis, gratuit, où les jeunes peuvent venir prendre du matériel quand ils en ont envie ». À Malam Jaba, l’une des deux stations du pays où se déroulait une compétition internationale de snowboard, il rencontre les membres de l’équipe afghane. « On était dans le même hôtel. Ils m’intriguaient – ce n’est pas tous les jours que l’on rencontre des snowboarders afghans. Tous les soirs, j’échangeais avec eux autour d’un thé. Ils étaient curieux de rencontrer un snowboarder pro. J’ai super accroché avec ces jeunes, ils avaient une sacrée histoire. Je suis dit : ‘ce serait génial que j’aille en Afghanistan pour les mettre en avant’. C’était prévu pour cet hiver, dans le cadre de ma websérie « Trip Roulette », mixant de l’aventure, du snowboard et de l’écologie. On avait commencé à organiser le voyage… jusqu’au moment où les Talibans sont arrivés au pouvoir à la mi-août. »
A cette époque, Victor est en vacances à Paris quand il reçoit un appel du directeur de la fédération afghane. « Il m’a dit que j’étais la personne la plus proche d’eux en Occident, qu’ils venaient de recevoir des menaces de mort de la part des Talibans. Ils me demandaient de les aider à sortir du pays. Je n’avais pas d’autre option que de soutenir ces jeunes avec qui j’avais fait du snowboard. Quand tu as quatorze personnes qui te disent : ‘Là, il faut que tu nous aides, c’est une question de vie ou de mort’ […] tu mets ta vie en suspens, tu te concentres sur cette mission qui t’a été donnée, même si tu n’as aucune expérience. Ça a quand-même été assez intense. Dans ta journée, le petit run ou le magnifique coucher de soleil n’ont plus aucun sens par rapport à la gravité de la situation. J’étais focalisé là-dessus, je n’arrivais plus à apprécier quoique ce soit d’autre ».
Rapidement, Victor décide d’aller à l’ambassade afghane pour essayer de trouver une solution. « Sur place, c’était la panique totale, avec plein de gens dans ma situation – les personnes qui avaient de la famille en Afghanistan essayaient d’avoir des nouvelles, de faire quelque chose pour leur famille. C’était le chaos ». Il tente alors par tous les moyens de faire sortir les jeunes snowboarders de leur pays, où ils sont menacés de mort. « J’ai essayé d’envoyer des tweets aux ambassadeurs de France à Kaboul, à différents ambassadeurs de différents pays, des mails à des sénateurs de trouver des solutions, des places dans des avions… comme des millions de personnes. La mission n°1 était de les faire sortir du pays, de leur sauver la vie ».
Son dernier espoir ? Demander de l’aide via les réseaux sociaux. « Ça m’a permis de constituer une petite équipe – deux Américaines, (une snowboardeuse très connectée ayant de très bons contacts et une avocate, les deux souhaitent rester anonymes), Laurent Pordié – un Français rattaché à la fédération française de snowboard, et Jérôme Tanon, photographe et réalisateur de film, un très bon ami à moi. Petit à petit, on a réussi à les faire sortir, notamment grâce à « nos deux anges américaines ».
Pour des raisons de sécurité, on n’a jamais trop dévoilé cette histoire. Mis à part quelques stories affichées sur les réseaux sociaux, on a vraiment essayé de faire les choses discrètement pour ne pas les mettre en danger. On s’est battu, surtout au début, avant que les Américains se retirent (le 30 août 2021, ndlr). Il y avait beaucoup d’avions, les places étaient très chères – tous ceux qui avaient agi contre le régime taliban à une certaine époque ou travaillé avec l’Occident étant menacés. Dans un premier temps, on a essayé par voie terrestre – en embauchant une milice privée pour les accompagner, pour qu’ils soient sûrs d’être en sécurité. Arrivés à la frontière pakistanaise, il nous manquait un papier. Ça a été des péripéties irréelles. J’avais l’impression de vivre dans un film. Au final, on a réussi à les faire sortir par voie aérienne. C’était très délicat de leur trouver des places, les amener à l’aéroport, passer les check-points. Malheureusement, aujourd’hui, ils sont éparpillés partout sur la planète, principalement au Canada, aux États-Unis, en Allemagne et en Suède ».
Une fois sauvés, rien n’est encore gagné pour les jeunes afghans – 5 femmes et 9 hommes exfiltrés. « Maintenant, il faut les aider à s’intégrer dans leur nouvelle vie. La plupart d’entre eux habitaient à Kaboul – ils avaient une vie assez moderne, à l’Occidentale, avec des téléphones, des réseaux sociaux, comme nous. Sauf que du jour au lendemain, ils ont reçu des menaces de mort les obligeant à tout quitter – leur passé, leur famille. Le tout, sans argent – leurs comptes en banque sont toujours bloqués par les Talibans. De plus, on ne sait pas quelle est la valeur de leurs diplômes à l’étranger. À l’âge de 20 ans, c’est vraiment dur ».
C’est pourquoi, avec deux membres du groupe d’action, Jérôme Tanon et Laurent Pordié, nous avons créé une association, Snowboarders Of Solidarity. L’idée ? Leur offrir un petit peu de bonheur et trouver des moyens de faciliter leurs vies – les intégrer dans des communautés de snowboard, les connecter avec des stations et des universités, sur place leur offrir de l’équipement mais aussi des cours d’anglais. Pour ça, on a lancé un crowdfunding. On a besoin de fonds mais aussi de personnes s’y connaissant politiquement, en visas ou en demande d’asile. Huit jeunes n’ont pas réussi à atteindre le Canada et sont dans un pays à proximité de l’Afghanistan, avec un visa de tourisme légal. On leur cherche encore une demande d’asile définitive. Ils sont tous membres de la Fédération internationale de ski et tous continuent de s’entraîner en vue des compétitions.
Même si des communautés de certains pays d’accueil – le Canada et les Etats-Unis notamment – ont pris en charge les frais de ces snowboarders afghans, d’autres ont besoin de financement. Il y a des mois où, de ma poche, je donne environ 400€ par mois à ces jeunes pour qu’ils puissent se nourrir et s’héberger ».
Pour venir en aide au snowboarders afghans, un appel aux dons a été lancé, ici, visant à faciliter leur intégration dans leurs pays d’accueil respectifs.
Photo d'en-tête : Afghanistan snowboarding Federation