Jamais l’écart en tête de course n’avait été aussi grand. Après « l’avarie majeure » de Tom Laperche, Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild), lauréat de la dernière Route du Rhum-Destination Guadeloupe, a pris le large jeudi à l’avant de la flotte de l’Arkea Ultim Challenge. Un tour du monde en solitaire d’Ouest en Est, véritable défi humain et technologique. Le skipper français vient de passer le cap de Bonne-Espérance, au large de l’Afrique du Sud, avec plus de 800 milles d’avance sur le 2e. Il entre ainsi dans les terribles mers du Sud.
Seul sur son bateau géant, le Maxi Edmond de Rothschild, Charles Caudrelier vient d’entrer, en passant le Cap de Bonne-Espérance, dans la zone froide. Il va bientôt arriver dans un nouveau monde : l’océan Indien (via le cap des Aiguilles, à moins de 200 kilomètres). Exit le paradis des îles. Car pour les marins, cette zone représente plutôt une certaine idée de l’enfer. « C’est toujours un moment délicat. [Le Cap de Bonne-Espérance, ndlr], c’est un peu la porte d’entrée dans la zone froide et hostile » confiait récemment le navigateur de 49 ans au micro d’Europe 1. « Les couleurs sont tristes. Et surtout, c’est l’isolement. On sait qu’on est seul, on ne peut pas compter sur les autres. On a une petite boule au ventre jusqu’au cap Horn ».
L’Arkea Ultim Challenge, le premier tour du globe en solitaire réservé aux plus gros trimarans
Au cours de l’Arkea Ultim Challenge, tour du monde en solitaire d’Ouest en Est, les plus grands trimarans volants du monde, véritables formule 1 des océans, s’affrontent depuis dimanche 7 janvier. Ils doivent notamment passer par trois caps mythiques – Bonne-Espérance, Leeuwin et Horn, pour un parcours de 22000 milles.
Seuls sur leurs multicoques géants – 32 mètres de long pour 23 mètres de large – pendant 40 à 50 jours, les six skippers ont entre les mains des bijoux technologiques. Leur valeur dépasse, pour certains, les 12 millions d’euros. De quoi assurer une course défiant les limites de la vitesse et de la technologie. Véritables géants des mers, on a déjà vu les Ultims décoller et voler au-dessus de l’eau lors de la Route du Rhum ou la Transat Jacques Vabre. Mais jamais ils ne sont affrontés dans une course autour du monde. Et personne ne sait comment ils vont réagir dans les grosses vagues des mers du sud. C’est une première, une odyssée marquante pour le monde de la voile, en gestation depuis près de vingt ans, qui justifie une couverture média exceptionnelle.
À savoir que le record du tour du monde à la voile en solitaire, couronné par le Trophée Antoine de Saint-Exupéry est détenu depuis décembre 2017 par François Gabart. Soit 42 jours, 16 heures, 40 minutes et 35 secondes.
Le cap de Bonne-Espérance, un lieu mythique
Situé tout au sud du continent africain, le cap de Bonne-Espérance, d’abord nommé Cap des Tempêtes par le navigateur Dias qui l’a rejoint pour la première fois, fait partie des grands caps à franchir par les skippers participant au Vendée Globe notamment. Si ce lieu fait tant rêver, c’est qu’au-delà de son caractère rocheux et sauvage, il incarne le voyage au bout du monde. Son franchissement ayant constitué une étape majeure de la conquête du monde par les Européens. Ces derniers espéraient que les Indes seraient accessibles par la mer.
Lieux de nombreux naufrages en raison de ses écueils et de ses vents violents, il reste redouté par les navigateurs. Près de 2 000 épaves résideraient au fond de ses eaux. C’est également dans ce secteur que ce serait échoué le légendaire Hollandais volant, le plus célèbre des vaisseaux fantômes…
Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, le cap de Bonne-Espérance n’est pas le point le plus au sud de l’Afrique ni le point de division entre les océans Atlantique et Indien. Ces caractéristiques reviennent au cap des Aiguilles, situé à 149 kilomètres plus loin (les skippers de l’Arkea Ultim Challenge vont également y passer). Le cap de Bonne-Espérance marque cependant le point où l’on commence à voyager plus vers l’est que vers le sud. Il est d’ailleurs situé à la jonction de deux courants maritimes très différents : un courant froid « Benguela » à l’ouest et un courant chaud, le courant des Aiguilles, à l’est.
Le point sur la tête de course
Dans la nuit de jeudi à vendredi, Charles Caudrelier, lauréat de la dernière Route du Rhum-Destination Guadeloupe, a creusé son avance naviguant à 530 milles du continent africain à plus de 34 nœuds (environ 62 km/h). Il vient de passer le cap de Bonne-Espérance ce vendredi matin.
Tom Laperche est actuellement 2e. Victime d’une « avarie majeure » jeudi, il gère prudemment l’avancée de son bateau à plus 800 milles de distance du premier. Le Français avait fait une descente de l’Atlantique (Nord et Sud) aux avant-postes livrant un duel intense avec Charles Caudrelier. Une collision avec un OFNI (Objet Flottant Non Identifié) lui a coupé les ailes, jeudi matin.
« En fin de nuit, j’ai ressenti un énorme choc dans un fracas énorme. Le fait d’avoir tapé la dérive, a endommagé le fond de coque en une fraction de seconde. De l’eau est rentrée dans la portion centrale. J’ai fait le tour du bateau et me suis rendu compte que le bateau restait maitrisable », raconte Tom Laperche. Il tente actuellement de rejoindre le Cap (Afrique du Sud) pour réparer son bateau… avant de reprendre le large, au prix d’une perte de terrain importante sur ses cinq concurrents.
Quant à Thomas Coville, Anthony Marchand, et Armel Le Cléac’h, respectivement 3e, 4e et 5e, ils rencontrent des variations de vitesses en tentant de contourner une zone anticyclonique.
Journal de bord des 12 premiers jours de course
7 janvier. Les skippers prennent le large.
À 13h30, les 6 ULTIM passent la ligne de départ de l’Arkea Ultim Challenge sous un sublime ciel bleu. Après les bains de foule des derniers jours, les marins sont désormais seuls à bord de leur maxi-trimarans. Pour 40 jours. Peut-être plus. Vent, embruns, iode… Le défi des premiers jours est de ne faire qu’un avec son bateau. Se pose également la question de la stratégie. Faut-il modérer ses efforts pour préserver l’homme ? Ou bien partir vite et creuser l’écart ?
« C’est plus facile de partir dans ces conditions-là que dans des conditions musclées. C’est une grande première, même si j’ai quelques repères avec mes Vendée Globe, mais ce sont des bateaux plus exigeants. Je ne me projette pas trop sur le long terme », expliquait Armel Le Cléac’h, quelques heures avant de prendre le large.
Après une succession d’empannages pour se dégager de la pointe bretonne, les six concurrents se regroupent pour tracer un bord droit vers le cap Finisterre. Résultat ? Au lever du jour, ils sont déjà cinq marins à avoir doublé la pointe Nord-Ouest de l’Espagne.
8 janvier. Le golfe de Gascogne avalé pendant la nuit.
« Ils sont allés très vite cette nuit avec une force et un angle de vent favorables. On a enregistré des pointes à 45 nœuds », souligne Guillaume Rottée, le directeur de course. « Il y a eu des petits changements qui sont liés aux différentes intensités entre l’Est et l’Ouest. Ça profite depuis quelques heures à Charles Caudrelier ».
Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild) mène la danse, trois petits milles devant Tom Laperche (SVR – Lazartigue) et cinq milles devant Thomas Coville (Sodebo Ultim 3).
9 janvier. Le rythme s’installe à bord.
Le vent a faibli. L’occasion parfaite pour nos skippers de trouver leurs marques et le sommeil avant de devoir contourner une bulle anticyclonique dans les prochaines heures. Ils s’acclimatent, s’amarinent, mais pas doucement… Car l’Arkea Ultim Challenge commence fort. Très fort. En mer, la bataille fait rage. C’est bien simple, les concurrents ne se laissent aucun répit, en mode « régate au contact », mais au milieu de l’Atlantique.
10 janvier. Les alizés aux abonnés absents.
Un peu plus de 48 heures après le départ de Brest, les skippers sont déjà au niveau de l’archipel portugais de Madère. Les alizés, vents portants et chauds qui permettent de descendre facilement vers l’équateur, ne sont pas présents. Devant eux se profile une belle dépression : un passage de front qui va générer des vents jusqu’à 40 nœuds avec des creux de 4 à 6 mètres. Le genre de conditions que, en solitaire sur un Ultime, on redoute. « Il faudra faire attention car il y a beaucoup de mer dedans », souligne Anthony Marchand (Actual).
Le rythme est soutenu, chacun semble déjà avoir trouvé ses marques. Les cinq premiers naviguent toujours dans un mouchoir de poche. Tous ont peur qu’un s’échappe, et arrive à prendre de l’avance avec ces conditions météo compliquées. « C’est important de ne pas se faire décrocher », dit Armel Le Cléac’h (Maxi Banque Populaire XI). « Ce n’est pas impossible que ça parte par-devant et c’est là qu’il faudra être bien placé pour en profiter ».
Derrière, Éric Péron (Adagio) peine à suivre la cadence. Difficile avec sa machine de rivaliser avec les Ultimes volants. « Je suis un peu détaché, je ne peux pas rivaliser sur ces allures » déplore le skipper. « Mais je m’attache à bien faire ce que j’ai à faire ».
13 janvier. Les premières difficultés en approche.
Tom Laperche et Charles Caudrelier se sont échappés du club des cinq. Ils ont quelque 250 milles d’avance sur le troisième, Armel Le Cléac’h, et 290 sur Thomas Coville. Au programme du jour : l’entrée dans le Pot-au-Noir, zone complexe avant l’équateur. Nuages, orages, vents extrêmement instables… L’objectif ? Y rester le moins longtemps possible.
Si ça se passe sans trop d’accroche, Tom Laperche et Charles Caudrelier devraient le franchir la nuit prochaine.
14 janvier. Bascule dans l’hémisphère Sud.
« Ça fait déjà une semaine qu’on est parti de Brest. C’était une semaine très dense. C’était une descente de l’Atlantique très atypique, très engagée physiquement » raconte Thomas Coville, le troisième à franchir l’équateur 12h53’ derrière Tom Laperche. Il est vrai que la grande descente vers le cap de Bonne Espérance a démarré tambour battant : 30 voire 35 nœuds en permanence au compteur. Et les conditions à venir seront encore propices à de belles moyennes.
15 janvier. Le cap de Bonne-Espérance se rapproche.
Les deux leaders, toujours Tom Laperche et Charles Caudrelier, mettent dès le matin le clignotant vers le sud-est pour épouser au mieux la courbe de l’anticyclone de Sainte-Hélène. Un moyen pour eux de profiter de la bordure d’une dépression. À Recife (Brésil), Armel Le Cléac’h retrouve son équipe pour réparer les bobos de son « Banque Populaire XI » (un balcon avant, une amure de gennaker et un foil). L’équipe a pour objectif de tout remettre en état dans les 24 heures d’arrêt obligatoire. Le skipper pourra repartir mardi matin, le 16 janvier.
Il ne reste plus qu’Eric Péron, toujours dans l’Atlantique Nord. Le skipper a enfin trouvé le régime d’alizés. De quoi allonger la foulée pour plonger vers l’équateur qu’il pourrait franchir, si le Pot-au-Noir reste conciliant, d’ici deux ou trois jours.
16 janvier. « Ça vole là ! »
Le duo de tête poursuit sa descente à grande vitesse. En résulte une bataille toujours aussi intense. Ce mercredi, ils évoluent dans un flux de nord-ouest soutenu en bordure d’un front. « Tout se passe bien. On n’est toujours pas très loin de Gitana, il y a du match. La route est tellement longue, tellement belle, tellement intense… Ça vole là ! » détaille Tom Laperche. Et ça devrait continuer de voler pendant un bon moment.
18 janvier. Retournement de situation.
Après un choc jeudi matin au niveau de la dérive suivi d’une fuite d’eau importante, Tom Laperche a passé la journée, avec son équipe à terre, à faire un état des lieux des dégâts. « En fin de nuit, j’ai ressenti un énorme choc dans un fracas énorme » raconte le skipper. « Le fait d’avoir tapé la dérive, a endommagé le fond de coque et en une fraction de seconde, il y a de l’eau qui est rentrée dans la portion centrale. J’ai fait le tour du bateau et me suis rendu compte que le bateau restait maitrisable ».
Conséquence : Charles Caudrelier s’envole seul vers le cap de Bonne-Espérance.
Classement vendredi à 12h00
1. Maxi Edmond de Rothschild (Charles Caudrelier)
2. SVR-Lazartigue (Tom Laperche)
3. Sodebo Ultim 3 (Thomas Coville)
4. Actual Ultim 3 (Anthony Marchand)
5. Maxi Banque Populaire XI (Armel Le Cléac’h)
6. Adagio (Eric Péron)
Suivez en direct l’Arkea Ultim Challenge, le premier tour du globe en solitaire réservé aux plus gros trimarans.
Article initialement publié le 19 janvier à 13h, mis à jour à 15h08.
Photo d'en-tête : Vincent Olivaud- Thèmes :
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