Mardi dernier, 6 février, à 18h08, heure française, le skipper du Maxi Edmond de Rothschild passait, le premier, le cap Horn à l’issue de 30 jours, 4 heures et 38 minutes de course. Ne lui reste aujourd’hui que 6351 milles pour boucler son tour du monde en solitaire et sans escale en classe Ultim. La victoire semble l’attendre. Mais rien n’est jamais joué. Tant pour lui, que pour Armel Le Cléac’h et Thomas Coville quasiment au coude à coude pour franchir à leur tour ce cap mythique.
La bataille Cléac’h – Coville
A l’heure où nous bouclons cet article, Armel Le Cléac’h est à 2333 milles de Charles Caudrelier qui mène la danse depuis le départ de Brest le 7 janvier. Mais dans le sillage du skipper du Maxi Banque Populaire XI, actuellement 2e, Thomas Coville (Sodebo Ultim 3), est à 2734 miles du leader. C’est donc un match passionnant que l’on assiste actuellement entre les deux marins qui devraient atteindre le cap Horn ce week-end. Vraisemblablement samedi après-midi pour le skipper du Maxi Banque Populaire XI et dimanche matin ou midi pour celui du Sodebo Ultim 3.
« Dernier empannage avant le Cap Horn, ça fait du bien parce que la mer était horrible en tribord. Il y avait 5, 6 mètres de mer et avec le vent qui tournait, j’étais de face », raconte Charles Caudrelier, leader de l’ArKea Ultime Challenge, dans une vidéo envoyée depuis le bord. Jouissant enfin de conditions plus clémentes, il poursuit : « Ça fait du bien parce que c’était quand même bien violent par moments. À chaque vague, tu entends du bruit et tu te demandes ce qui va casser. (…) Là, je revis de glisser. Ce ne sera pas un Cap Horn volé ! (…) « Je suis ravi d’avoir un moment de paix après ces trois jours ». Ce mardi 6 février, vers 9h00, il pointait à moins de 300 milles de son troisième et dernier cap, le cap Horn. On l’attendait donc une dizaine d’heures plus tard, vers 19 heures, heure française. Il aura tenu le chrono y arrivant aujourd’hui ce mardi 6 février à 18 h 08 (heure française). Pour lui, c’est le quatrième passage du cap Horn de sa carrière, mais le premier en solitaire. Et c’est la première fois de l’histoire qu’un maxi-trimaran volant double ce passage mythique.
Après une pause forcée de trois jours – il avait dû laisser passer de fortes dépressions – le skipper du Maxi Edmond de Rothschild avait repris sa marche en avant, hier, lundi 5 février, à un rythme élevé. Et ce matin, au pointage de 9h00, il affichait une avance de 2 798,7 milles sur Armel Le Cléac’h (Maxi Banque Populaire XI) et de 3 065,5 sur Thomas Coville (Sodebo Ultim . Alors qu’il progresse avec un vent de Nord-Ouest, le duo réalise une trajectoire un peu plus Nord afin d’éviter « le plus fort du système qui évolue dans leur Sud ». Quant à Anthony Marchand (4e) il a dépassé le cap Leeuwin à 21 h 10 min hier soir. Éric Péron (Ultim Adagi), fermant la marche, depuis l’abandon de Tom Laperche.
Le cap Horn est un passage symbolique et chargé d’histoire qui marque le retour « vers la maison ». Pourtant, la course est loin d’être terminée, rappelle Fred Le Peutrec à la direction de course. « Il restera encore 7 000 milles à parcourir. Charles devra traverser l’ensemble des latitudes, remonter le long de l’Argentine et passer les Malouines. Puis, il devra passer l’anticyclone de Sainte-Hélène, le pot-au-noir, sortir de l’alizé de Nord-Est en espérant une dépression qui le ramène jusqu’à Brest… Il aura une route complexe donc avec plusieurs systèmes météo à exploiter». Les concurrents devront en effet à nouveau composer avec l’anticyclone de Sainte-Hélène, les dépressions orageuses du Brésil, l’engluement du Pot-au-noir, les alizés de l’hémisphère nord, et de potentielles dépressions atlantiques nécessitant une concentration extrême des marins jusqu’à franchir la ligne d’arrivée tant attendue en rade de Brest.
Le cap Horn : une délivrance et l’espoir de jours meilleurs
Après le cap de Bonne-Espérance et le cap Leeuwin, étapes clés de la course, ce troisième cap marque la fin des 40e Rugissants et son cortège de dépressions. Route historique, elle a été déterminante pour le transport maritime. C’est un mythe, un symbole, riche en émotions, le passage le plus redouté par tous les marins. Pour les cinq skippers de l’Arkea Ultim Challenge, il signe la remontée vers Brest, avec environ 7 000 milles à parcourir pour rallier le port d’arrivée.
Le cap Horn est un mythe qui se fait désirer. Car sa falaise de 425 mètres se devine plus qu’elle ne se voit, noyée dans la bruine, le mauvais temps persistant et la furie de la mer. Un caillou au milieu du chaos. Un bloc noirâtre, lugubre et sinistre, battu par les éléments aux confins de terres inhospitalières. C’est la terre la plus australe de tous les continents, à 55°58’ Sud et 67°17’ Ouest, ce qui lui vaut sa légende, nourrie de drames et du récit des marins en revenant, miraculés.
« C’est un véritable défi pour tout marin qui s’engage dans un tour du monde digne de ce nom », explique, Pascal Scaviner, chef du service prévisions de Météo Consult. « Il marque la limite nord du passage de Drake, nom du détroit qui sépare l’Amérique du sud de l’Antarctique, continent distant seulement de 650 km du cap. En mer, c’est l’un des passages les plus dangereux du monde car les vents y sont fortement accélérés par un effet d’entonnoir crée par les Andes et la péninsule Antarctique, et par la hauteur de sa falaise de 425 m. Même si la limite des glaces commence plus au sud, les icebergs restent également un danger.
Ce passage est redouté par les marins car après la traversée de l’océan Indien et l’entrée dans le Pacifique sud, où le passage entre les terres australes et l’Antarctique est encore large de 1000 à 1200 km, les conditions deviennent rapidement dantesques dans une zone où les dépressions ont de moins en moins d’espace pour s’étendre. Leur vitesse de progression et leur intensité augmentent. La mer devient alors courte et très dangereuse à l’approche du cap, pouvant générer des vagues scélérates (vagues de plus de 30 m de haut) dont le franchissement est parfois d’une difficulté extrême. Ce sont donc ces différentes difficultés et dangers qui lui ont donné son caractère légendaire et la réputation d’être un cimetière maritime où de nombreuses victimes et de nombreux naufrages de navires marchands se sont produits. Le Cap Horn est d’ailleurs comparé dans le monde de la voile à l’ascension de l’Everest. Dompter les mers australes et passer ce cap est pour certains le Graal ».
Pourtant, c’est une aubaine pour le commerce mondial, une vraie révolution. Si certains l’ont peut-être doublé par accident, le premier franchissement reporté date de janvier 1616. Un navire hollandais, dirigé par Willem Schouten, financé par Isaac Lemaire, aspire à gagner du temps pour booster son commerce. L’itinéraire qui longe cette falaise austère, permet de s’épargner de longues semaines de mer et de doper les affaires. Son nom, « Kap Hoorn, il le doit à la ville d’origine de l’armateur et du commandant du bateau.
Dès lors, fini le détroit de Magellan ou le cap de Bonne-Espérance, il existe désormais une route entre l’Europe et l’Extrême-Orient et une autre qui permet de relier les deux côtes du Nouveau monde. Une aubaine au XIXe siècle saisie par la ruée vers l’or qui va fortement développer le trafic dans la zone malgré l’hostilité du rocher. Mais le prix à payer pour le passer est lourd. Entre sa découverte et le XXe siècle, des estimations font état de 10 000 morts parmi les marins qui s’y sont aventurés.
Pour les marins, le cap Horn était un obstacle. Pour les skippers, c’est une frontière, la certitude de jours meilleurs. Enfin, on laisse derrière soi des semaines à batailler dans les 40e Rugissants. Enfin, on met le cap vers le Nord, on retrouve l’Atlantique, une température plus heureuse, une accalmie si réconfortante. Enfin, on respire. C’est une libération.
Cap de Bonne Esperance – cap Horn, retour sur 15 jours de course très mouvementés
Depuis le passage du cap de Bonne Espérance de Charles Caudrelier, leader la course, le 19 janvier, les péripéties se sont enchaînées pour les six skippers en lice.
Lundi 22 janvier
Tom Laperche signifie son abandon après avoir constaté les dégâts sur son trimaran Lazartigue à Cape Town, suite à l’avarie subie dans la nuit du 19 janvier.
Mardi 23 janvier
Thomas Coville qui annonce faire une escale technique à Hobart pour sécuriser son bateau avant la traversée du Pacifique.
Ce même jour : avarie majeure pour Actual Ultim 3 d’Anthony Marchand au Sud du Cap de Bonne-Espérance. Alors qu’il naviguait en 4è position a été victime d’une collision à vitesse élevée.
Mercredi 24 janvier
Les conditions d’entrée dans le Pacifique obligent Armel Le Cléac’h à emprunter le Détroit de Bass : entre l’Australie et la Tasmanie.
Jeudi 25 janvier
Dans la matinée, Charles Caudrelier atteint la longitude du point Nemo, le point de l’océan le plus éloigné de toute terre émergée sur la planète Terre. En début de soirée ce jour-là, le skipper aura été le premier à franchir le Cap Leeuwin, battant ainsi de plus d’une journée le record de François Gabart, datant de 2017.
Vendredi 26 janvier
Thomas Coville quitte Hobart après son escale technique et s’élance sur le Pacifique.
Ce jour-là également, à 5h13, heure de Paris, Eric Péron prévient son équipe technique et la direction de course que son safran tribord est endommagé. À 450 milles du cap de Bonne Espérance, il réempanne pour faire route vers Cape Town, en Afrique du Sud. Toute l’équipe technique se mobilise pour trouver des solutions afin de réparer le plus rapidement possible et permettre à l’ULTIM ADAGIO de reprendre le large.
Samedi 27 janvier
Improbable rencontre pour Armel Le Cleac’h, qui croise un navire de la compagnie du Ponant, en plein océan, au large de la Nouvelle Zélande.
Dimanche 28 janvier
Eric Péron, pénalisé par le schéma météo depuis son départ de Cape Town ne se laisse pas pour autant abattre et cherche la meilleure façon de profiter d’une dépression qui vient de son nord et qui pourrait lui permettre de maintenir un tempo efficace dans sa traversée de l’océan Indien.
Lundi 29 janvier
Les difficultés se sont multipliées. Tom Laperche (SVR-Lazartigue) a décidé de renoncer, quatre escales ont déjà eu lieu, Thomas Coville (Sodebo Ultim 3) et Armel Le Cléac’h (Maxi Banque Populaire XI) doivent composer avec une sacrée dépression dans leur Sud, Charles Caudrelier (Maxi Edmond de Rothschild) n’est pas plus tranquille dans le Pacifique et Anthony Marchand (Actual Ultim 3) fait face à un anticyclone…
Jeudi 1e février
Par un pur hasard, Charles Caudrelier croise un concurrent de l’Ocean Globe Race, course autour du monde fondée sur le modèle de la légendaire Whitbread, et courue à l’ancienne, avec le strict minimum en termes d’outillage électronique de navigation.
Vendredi 2 février
Toujours leader à bord du Maxi Edmond de Rothschild, Charles Caudrelier prend la décision vendredi de mettre sa course en pause pour « une durée indéterminée » du fait de la météo. « C’est la première fois de ma vie qu’une telle situation m’arrive en course », confie-t-il. Il en profite pour réaliser «quelques travaux et des vérifications demandées par son équipe technique». Les conditions météorologiques attendues ce week-end-là aux alentours du cap Horn, s’avèrent «absolument incompatibles avec le passage du célèbre rocher», dit-il. «J’ai un bateau et un bonhomme en pleine forme. Je garde le sourire et je reste positif même si je vais surement ronger mon frein en voyant les milles diminuer. » ajoute-t-il. « Une semaine d’avance c’était peut-être beaucoup et pourtant c’est ce qui m’attendait là, mais le cap Horn avec plus d’une journée d’avance n’importe quel tourdumondiste en rêve et je pense que j’aurai plus que ça ».
Derrière, ils sont deux à se battre pour la deuxième place : Coville est contraint de s’arrêter pour une escale technique à Hobart, en Tasmanie, et Le Cléac’h doit changer de trajectoire.
Lundi 5 février
Après trois jours de pause forcée, Charles Caudrelier reprend sa course à un rythme soutenu. Direction, le Cap Horn.
Article initialement publié le 6 février 2024, mis à jour le 8 février à 19h
Photo d'en-tête : Yann Riou - polaRYSE / Gitana S.A.- Thèmes :
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