« Devenir le doyen de l’Atlantique », c’était son rêve au départ du Portugal le 1e janvier 2022. Jean-Jaques Savin, connu de ses 23 000 followers pour sa traversée en tonneau en 2019, a péri en mer, apprend-on aujourd’hui. Ses proches, sans nouvelles de lui depuis mercredi, viennent de publier un communiqué annonçant que le corps sans vie de cet septuagénaire infatigable avait été retrouvé sans vie au large des Açores.
« Depuis 24 heures, nous étions dans une grande inquiétude. Nous espérions une lueur d’espoir, et même une bonne nouvelle. », écrit ce samedi en fin de journée le team Jean-Jacques Savin & Christian Beaudru. « Jean-Jacques avait activé dans la nuit de jeudi à vendredi ses deux balises de détresse. Malheureusement, l’océan a cette fois-ci été plus fort que notre ami, lui qui aimait tant la navigation et la mer. C’est avec une grande tristesse que nous venons d’apprendre le décès de notre ami Jean-Jacques. Le corps de Jean-Jacques a été retrouvé sans vie à l’intérieur de la cabine de son canot l’Audacieux, son « ami » comme il le disait si bien. La sécurité maritime portugaise avait localisé hier le bateau malheureusement retourné au large des Açores. Un plongeur a pu descendre et visiter l’embarcation ce samedi. Nous ne communiquerons pas plus d’éléments, ne connaissant pas encore les circonstances exactes du drame.Toutes nos pensées vont vers sa fille Manon et sa compagne. »
Lors de ses derniers contacts, Jean-Jacques Savin se trouvait au large, au nord de Madère et faisait route vers la petite île de Ponta Delgada, dans l’archipel des Açores où il escomptait procéder à quelques réparations. Car depuis son départ, le 1e janvier, à bord de son rafiot – huit mètres de long, 1,70 m de large, deux cabines, à l’avant et à l’arrière, un poste de rame, au milieu – depuis Sagres (au sud du Portugal) direction la Martinique, l’ancien parachutiste parti pour renouveler, à la rame cette fois, sa très médiatisée traversée de l’Atlantique dans un tonneau, avait rencontré de nombreuses difficultés. En raison de mauvais vents, il s’était vite vu dérouté, rajoutant ainsi 900 km à son parcours initial. Puis, quelques jours plus tard, il devait rencontrer de graves problèmes d’énergie et de communication, comme il l’expliquait mercredi 19 janvier, dans son dernier post sur Facebook, journal de bord qu’il tenait régulièrement.
Points infos + JOURNAL DE BORD n°6 : journées 10 à 19
Petit point info :
Je rencontre quelques problèmes depuis une dizaine de jour : le capteur solaire (qui doit recharger la batterie de mon desalinisateur d’eau) ne fonctionne plus. Je suis obligé d’utiliser mon désalinisateur manuel mais cela me coûte de l’énergie physique.
Rassurez-vous, je ne suis pas en danger !
Je fais désormais route vers les Açores vers le port de l’archipel de Ponta Delgada
Il y a une belle marina avec un aéroport à côté.
Si je souhaite réparer il y aura tout ce dont j’ai besoin sur place.
Coté météo, malgré les difficultés actuelles de forte houle et de force de vent, cela devient plus facile avec le vent qui me pousse vers l’archipel.
L’objectif est pour moi d’effectuer le plus de distance possible chaque jour tant que le vent est avec moi !
Les vents seront ensuite d’Est (ils diminueront en force en fin de semaine, début de semaine prochaine si les prévisions ne se trompent pas…) et je devrais ensuite ramer pour maintenir mon cap vers l’archipel de Ponta Delgada.
Une fois sur place et bien reposé, je repartirai pour finir mon défi. Il faudra peut-être attendre une nouvelle fenêtre météo favorable, avec pour objectif de descendre le plus sud possible….
Malgré tout cela, je ne baisse absolument pas les bras !
Voici mon journal de bord que j’ai rédigé hier le 18/01/2022 :
Temps couvert, mer forte, mais ça devient une habitude. J’ai effectué 60kms vers les Açores qui sont maintenant à 900 Kms
Après longue réflexion je continue cette aventure qui je pense sera exceptionnelle.
Je rationne mon eau au maximum puisque je me laisse transporter…
« Tout va bien, très bon moral » écrivait-il en conclusion avant de donner sa dernière position.
Depuis, c’était silence radio. Plutôt inhabituel pour cet homme affable, dont les aventures en tonneau avaient ému 23 000 fans en 2019. Et s’il écrivait le 7 janvier, après une semaine seulement de navigation, qu’il était un peu secoué et peu disponible, l’absence de toute communication depuis trois jours ne pouvait qu’inquiéter : « Pour mes proches éviter de m’envoyer des sms ou mail je n’ai pas le temps d’y répondre, c’est très gentil mais je ne suis plus dans le tonneau à me laisser transporter… Les quelques livres, ainsi que ma mandoline vont rester à leur place, car le nouveau programme c’est les 3 R : Ramer, Ravitailler, Ronfler ! » Son programme pour les 15 semaines d’effort qu’il avait planifiées.
« Une façon de narguer la vieillesse », disait volontiers cet aventurier qui aura fêté ses 75 ans le 14 janvier à bord de son canot, ouvrant pour l’occasion une bouteille de Sauterne, comme il l’avait imaginé avant son départ. « Je pars en vacances vers le grand large, je prends trois mois de vacances », indiquait-il peu avant de prendre la mer cette année. Des vacances dont il ne reviendra pas, mais une fin à l’image de cet aventurier qui, sur sa page Facebook, disait avoir « étudié à Ecole Buissonnière Supérieure ». Et pour lui, ce n’était pas qu’un bon mot.
Fervent admirateur d’Alain Bompart qui en 1952, à 28 ans, s’embarqua dans une navigation historique, la traversée de l’océan Atlantique dans un canot pneumatique, sans eau ni nourriture, à peine poussé par une voile d’Optimist, Jean-Jacques Savin s’est lui mis à l’eau à l’âge où d’autres enfilent définitivement les charentaises. A plus de 70 ans, le Girondin avait arrêté de compter les années, et même les vies. Car l’homme en avait vécu plusieurs après son diplôme de dessinateur industriel. D’abord l’armée et les parachutistes. Qui le mènent sur le continent noir, où il expérimente « la magie de l’Afrique » : pilote privé, chercheur d’or, conservateur de Parc National en Centrafrique… Un enfant arrive, il embarque la nouvelle famille pour une navigation de sept ans autour du monde. Rentréen France, il repart au Kosovo, enchaîne avec l’Algérie. Jusqu’au tonneau. Un véritable CV de baroudeur old school. « Je ne suis pas à plaindre ! » disait-il en rigolant. A l’arrivée de sa traversée de l’Atlantique en tonneau, le 2 mai 2019 – périple suivi par 23.000 personnes sur Facebook dont il tirera un livre « 127 jours à la dérive, l’Atlantique en tonneau », sa dernière ligne de sa vie était longue de 5 800 kilomètres, parcourus en 127 jours qu’il commentait en ces termes : « comparé à Bombard, qui a réalisé un exploit, ma traversée était à la cool ! Je voulais seulement réaliser un rêve de gosse.(…) J’ai été parachutiste dans des unités très spéciales. Quand on te dit d’aller à un endroit, tu subis les difficultés. Si tu choisis d’y être, ça change tout. » En reprenant la mer en solitaire près de trois ans plus tard, Jean-Jacques Savin avait choisi, une fois de plus, d’aller au bout de ses rêves.
Photo d'en-tête : @jeanjacquessavin2021- Thèmes :
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