L’histoire se répète. Deux ans après avoir provoqué une vive polémique, le Grand-Bornand récidive. La neige faisant toujours défaut en ce début de saison, la station des Aravis a préféré remettre les camions en service pour assurer l’enneigement de sa prochaine coupe du monde de biathlon, prévue du 16 au 22 décembre 2024. Mr le maire, président du comité organisateur, assure mettre tout en œuvre pour diminuer l’impact carbone de l’événement attirant plus de 60 000 spectateurs. Et d’affirmer que la neige issue du snowfarming représente « seulement 0,8% » du bilan carbone global de l’événement, contre « 80% qui tiennent du déplacement des spectateurs ». L’économie reste donc reine, peu importe l’absurdité de la situation. Un avant-goût des Jeux olympiques de 2030 ?
Du 16 au 22 décembre prochain, le Grand Bornand va accueillir la prochaine étape de la Coupe du monde de biathlon. Mais à 15 jours de l’événement, la neige se fait toujours attendre. Pas de quoi empêcher la préparation du stade, de la piste et du pas de tir. Puisque ce lundi, un ballet de camions a acheminé la neige sur place depuis les lieux de stockage.
« La neige naturelle n’est pas encore tombée, celle qui est étalée ces derniers jours provient du snowfarming, des trois tas de neige stockés l’hiver dernier » précise France Bleu Pays de Savoie. « Deux sont au centre de la station, le troisième sur le site d’altitude du Chinaillon, 500 mètres plus haut. […] Pour limiter à l’avenir les rotations de camions, une nouvelle carrière à neige de 12 000 m3 a été installée sur le site. Objectif ? Stocker et fabriquer assez de neige directement sur place pour supprimer à terme le transport de neige par camion depuis le Chinaillon et la vallée du Bouchet, où se trouvent les autres lieux de stockage ».
En 2022, 24 000 m3 de neige avaient été nécessaires
Une telle pratique avait déjà fait polémique il y a deux ans. En décembre 2022, à une semaine du lancement de la Coupe du monde, il n’y avait qu’une très fine couche de neige au sol. Pour couvrir les pistes de la compétition, 24 000 m3 de neige avaient été nécessaires. La moitié, 12 000 m3, avaient été amenée par camions depuis la réserve du Chinaillon. Douze véhicules sur trois jours avaient été utilisés pour l’acheminement.
Les 12 000 m3 autres étaient issus d’une réserve située au sein du stade, selon Yannick Aujouannet, coordinateur de l’évènement. Il nous expliquait alors qu’en l’état, la quantité de neige était suffisante pour les besoins de la compétition, mais n’excluait pas l’usage de canon à neige pour autant, notamment pour les zones spectateurs, « pour que ce soit plus facile de se mouvoir », avait-il dit. Résultat : une piste verte, damée, dans un décor parfaitement verdoyant. De quoi rappeler celui des Jeux très décriés de Sotchi (2014) et de Pékin (2022), organisés loin de toute station de ski et totalement artificiels.
Quel est l’impact environnemental du snowfarming ?
L’empreinte carbone du snowfarming reste dérisoire. Il n’y a qu’à voir les chiffres de l’impact d’une journée au ski : 52% de l’impact total provient du transport, tandis que seulement 3% de la production de neige artificielle. Ce n’est pourtant pas un point à prendre à la légère. Puisqu’au-delà de ses émissions, le snowfarming pose l’épineuse question de la ressource en eau.
Car si l’on pourrait être tentés de dire que la neige fondue retourne au sol, la réalité n’est pas aussi évidente. « La question du cycle de l’eau est bien plus complexe » soulignait Mountain Wilderness dans un communiqué. « Certes, la matière ne se crée pas, ne se perd pas, elle se transforme. Mais son mode et sa temporalité de transformation entrent dans l’équation. Les phénomènes observés localement dans le cas de l’enneigement artificiel ne peuvent être considérés dans une analyse globale du cycle de l’eau. Ainsi, à l’échelle d’un bassin versant, la quantité d’eau initiale n’est en réalité pas la même que la quantité d’eau finale. Les phénomènes de transformation de l’eau, plus précisément la sublimation’ et l’évaporation sont à prendre en compte. De plus, la règle du débit réservé ne laisse que 10 % d’eau disponible aux alentours des aménagements. Ce déficit d’eau liquide entraîne inévitablement une perturbation du cycle de l’eau ».
Pourquoi ne pas décaler la compétition à janvier ?
« Ce qui a choqué aussi c’est qu’on a vu ces camions redescendre de la neige alors qu’il n’y avait vraiment pas du tout de neige en bas» avançait en 2022 Corentin Mélé, chargé de mission chez France Nature Environnement. « Il y avait un côté un peu artificialisation maximale de la pratique […] Ce n’est peut-être pas très pertinent que le Grand-Bornand accueille la compétition mi-décembre, sachant qu’il y a rarement de la neige sur la zone de compétition à ce moment-là. Est-ce que ça ne vaudrait pas le coût de changer un peu ce calendrier ? ». Il semblerait que les organisateurs haut-savoyards en aient fait la demande cette année auprès de l’IBU, la Fédération internationale de biathlon.
Des trains, des navettes et des pas de tirs en bois
À savoir que 20 000 m3 sont nécessaires pour enneiger les 3,3 kilomètres de piste. Même si en fonction des conditions météorologiques des prochains jours, « une version réduite de la piste pourrait être envisagée, en ramenant les 3,3 km à 2,5 km, et le volume de neige nécessaire à 14.000 m3 » précise France Bleu Pays de Savoie. « Les organisateurs expérimentent également cette année un pas de tir en bois, et non en neige, avec l’installation de 30 modules en bois, correspondant au nombre de couloirs de tirs ». Des expérimentations indispensables puisque la commune du Grand-Bornand, a d’ores et déjà prévu d’accueillir une nouvelle étape de coupe du monde de biathlon l’hiver prochain.
Pour réduire l’impact de l’événement, les organisateurs comptent également sur un partenariat avec la région Auvergne Rhône-Alpes pour proposer des TER au départ de Lyon et Grenoble, et des navettes depuis la gare d’Annecy. 400 à 500 spectateurs par jours devraient être acheminés par ce biais, soit environ 3 500 sur les 60 000 spectateurs attendus sur toute la semaine… Tout azimut, le comité d’organisation travaille aussi sur une solution de covoiturage via l’application Togetzer, sur l’alimentation et l’hébergement, responsables respectivement de 5% et 12% des émissions carbones.
Les Jeux olympiques 2030 en ligne de mire
S’ajoute à cela le dépôt d’une nouvelle candidature pour la période 2026-2030… Sans parler des épreuves des mondiaux de biathlon en 2028. Et encore moins des Jeux Olympiques de 2030 qui ont fait de ce site le lieu d’accueil des épreuves de biathlon. Ce dernier étant en France à disposer de la licence A (décernée par la fédération internationale de la discipline), et à répondre à toutes les normes internationales (un pas de tir de trente cibles, un anneau de pénalité, des pistes de ski de fond ouvertes et compactes, une zone de départ et d’arrivée ainsi que des zones aménagées pour l’accueil du public).
Photo d'en-tête : Anonyme