A 10 jours de la compétition, faute d’enneigement suffisant, la station savoyarde – hôte de l’événement pour la 5e fois – a mis en œuvre un processus d’acheminement de neige depuis sa réserve de snowfarming jusqu’au stade Sylvie Becaert qui l’accueille. Un choix qui a un fort coût environnemental, dont nous parle Valérie Paumier de l’association Résilience Montagne, co-signataire d’un communiqué dénonçant ces pratiques.
Pouvez-vous nous expliquer ce qui se passe au Grand Bornand en ce moment ?
On assiste à un ballet de camions ces jours-ci, qui transportent de la neige issue du « snow farming », [pratique qui consiste à stocker de la neige naturelle et/ou artificielle ndlr] afin que la coupe du monde de biathlon ait bien lieu du 12 au 18 décembre, un événement organisé dans une station située à 930 m d’altitude ![…] En ce qui concerne le Grand Bornand, le stock de neige se situe au Chinaillon [à 1400m d’altitude ndlr]. Un trou gigantesque y a été creusé pour y conserver de la neige en masse produite l’année dernière lorsque les températures le permettaient. Puis ce stock a été recouvert de sciure et de bâches afin de le protéger de la chaleur. Il est vrai qu’on arrive bien à garder la neige, la perte est d’environ 20% à 30%. Mais ensuite il faut la transporter. Sur place, un habitant a pu compter à sa fenêtre : « en un quart d’heure, « 17 camions montant et descendant la neige ». Ce qui ferait donc 68 camions par heure. S’ils travaillent sur 8 heures, cela pourrait faire jusqu’à 544 trajets Grand-Bornand-Chinaillon par jour.
Il y a donc deux problèmes, celui du snowfarming, et celui de son transport.
Normalement, le principe du snowfarming c’est de recycler de l’ancienne neige, la pousser en quelque sorte, dans un trou. Mais il faut en avoir ! Le snowfarming du Grand Bornand est majoritairement de la neige artificielle. J’appelle ça une usine à neige dont l’eau est pompée de la retenue du Maroly. En sachant qu’il faut 24 000 m3 de neige pour le stade de biathlon. Après, il faut encore la descendre pour fabriquer les pistes.
Quels sont les véhicules utilisés pour le transport ?
On voit sur les photos que ce sont des camions bennes, de chantier, des huit-roues, du huit-essieux. Ca fonctionne de toute évidence au diesel, un camion, c’est ce qu’il y a de plus carboné.
La neige est déjà en train d’être déposée, va-t-il y avoir des pertes entre maintenant et le début de la coupe du monde ?
Il faut voir quelle va être la météo, il fait froid la nuit et plutôt doux la journée. Le stade est bien à l’abri, il est quand même situé dans une zone ombragée, donc les températures ne vont pas monter comme sur une façade sud. Mais alors imaginez s’il pleut… L’année dernière on a eu exactement la même problématique. Il y a eu le même ballet de camions, mais quelques jours avant le début de la coupe du monde, il a neigé presque un mètre. Il y a quand même eu de la neige amenée par camion en amont et l’intervention des dameuses pour l’étaler (qui est aussi un travail gigantesque, il n’y a pas que les camions), comme ils sont en train de le faire maintenant. Et puis, la chance ! Il a neigé, c’était plus joli pour les images. Cette année, on va voir ce que nous prévoit la météo.
Est-ce que la situation climatique pourrait remettre en question le choix de certaines stations pour héberger un tel évènement ?
Oui, aujourd’hui la météo est tellement bouleversée par un climat lui-même complètement en dérive qu’on ne peut plus prévoir aussi tôt dans la saison de disposer d’un stock de neige suffisant pour une coupe du monde. J’imagine que le Grand Bornand est victime de la fédération qui lui impose un cahier des charges afin d’absolument accueillir la coupe du monde. J’imagine qu’il est hyper rigoureux et qu’ils doivent faire tout ça pour le respecter. Mais alors il faut le dénoncer.
Vous voyez des alternatives ?
Oui, on ne doit plus prévoir de compétitions liées au sport d’hiver aussi tôt dans l’année et à des altitudes aussi basses. Les élus doivent refuser ou alors dénoncer les conditions des cahiers des charges.
Avez-vous des chiffres précis sur l’impact environnemental de ces pratiques ?
On peut calculer l’impact carbone de ces rotations de camions. Mais même sans calcul, l’impact est clair. En termes de consommation d’eau, de consommation énergétique pour fabriquer la neige et en termes de consommation carbonée des allers-retours des camions. On sait qu’il faut 4000 m3 d’eau consommée par les canons à neige pour une couche produite sur un hectare. [Entre 20 et 25 millions de m3 sont transformés en neige chaque année dans les Alpes françaises, selon France Nature Environnement Rhône Alpes ndlr]. Et c’est faux de dire que l’on emprunte l’eau pour la restituer à la nature. Lors de la captation, on utilise des sources d’eau probablement très propres, donc il y a de l’eau potable qui croupit dans les retenues. Cet été il y a eu 40% d’évaporation. Ensuite il y a toute la perte due au trajet des canons, c’est ce qu’on appelle la sublimation, soit encore 20% à 30%. Et on parle d’eau ! Et il faut encore voir la consommation d’énergie […] Les stations ne peuvent plus payer leurs factures énergétiques aujourd’hui.
Enfin, dans le dossier de l’évènement, il est stipulé que les organisateurs sont conscients de la cause environnementale. Il est écrit que tous les massifs, dont le Grand Bornand, sont engagés avec une réelle perspective de transition des domaines de ski et de vie en montagne. Ce n’est pas en faisant croire devant des millions de téléspectateurs qu’il y a de la neige qu’on fait la transition, ce n’est pas possible !
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