« Je m’estime débranché de la douleur » nous confie Aurélien Cirotte. Une véritable victoire pour ce grimpeur de 42 ans né avec un pied bot qui l’a longtemps fait souffrir. Il nous raconte son parcours, des falaises de sa Chartreuse natale aux championnats de France para, catégorie RP3 (déficient physique et neurologique 3), en passant par ses premières séances d’hypnose qui l’ont « libéré de trente ans de douleurs ».
Aurélien Cirotte n’aurait pas dû marcher. « Je suis né avec une jambe un peu tordue, un pied bot très mal géré, bricolé avec une grosse opération chirurgicale. Un rallongement du tendon d’Achille, visant à modifier les insertions des muscles, pour maintenir les os dans le bon axe pour libérer la cheville » nous explique-t-il lors d’un entretien.
L’escalade ? Un moyen de repousser ses limites
« Enfant, ça me dérangeait dans le sens où je savais que j’étais un peu différent. Mais je ne savais pas trop pourquoi. J’avais l’impression de vivre avec une sorte de validité aménagée, avec des limites assez faciles à comprendre » détaille le grimpeur. « Et comme, à cette période-là, je ne cherchais pas trop à m’en sortir, ça m’allait bien… jusqu’au moment où je me suis intéressé à la montagne, où j’ai réalisé qu’il y avait des choses chouettes à y vivre. C’est comme ça que je suis venu au sport. J’ai donc commencé à me frotter, et à me cogner, à ce que je pensais être des limites ».
Le jeune Aurélien n’a que six ans quand il débute l’escalade. En falaise bien-sûr, une évidence pour ce Chambérien. « Aucune idée de compétition ne me traversait l’esprit. Je cherchais plutôt à avoir un niveau. 6a, 6b… etc. Cette démarche m’a longtemps tenu en haleine » raconte-t-il.
« Mais, il y a une dizaine d’année, ma perception des choses a changé. J’ai passé mon initiateur falaise [brevet fédéral permettant d’encadrer bénévolement, ndlr]. À l’issue du stage, en 2011, on a refusé de me donner mon diplôme au vu de mon handicap. Et ce même si j’avais tout validé, que j’avais le niveau et que j’avais réussi le stage » poursuit Aurélien. « J’ai alors interpellé la fédération, dans le but de savoir si ce que j’avais vécu était normal ou non, si on pouvait y remédier. Ça a duré onze mois, le temps que tout le monde se mette d’accord. J’ai alors eu mon diplôme, avec une seule limite : encadrer uniquement là où je me sentais d’aller. Sur des falaises archi simples d’accès que je connais par cœur ».
La compétition, une quête personnelle avant tout
Six mois plus tard, en 2012, les premières compétition paraescalade voient le jour. Aurélien se dit qu’il y a peut-être un truc à faire. « C’était la période idéale pour vivre des moments phénoménaux dans mon sport, que je ne devrais pas vivre normalement, à savoir les championnats de France ou les sélections en équipe de France » explique le grimpeur.
La compétition, c’est pour Aurélien une quête individuelle avant tout. « Ce qui est important pour moi, c’est cette dimension de développement personnel. L’idée, c’est de tout aligner pour que tout se passe bien » détaille-t-il. « J’ai la jambe gauche bricolée, une mobilité réduite de la cheville, une atrophie musculaire. Pendant des années, j’avais beau contracter le mollet, rien ne se passait. Et à force, j’ai compensé par le côté droit. J’ai longtemps grimpé en poussant principalement sur la jambe droite, la jambe gauche ne faisant que suivre, jusqu’à ce qu’elle soit assez musclée pour pouvoir pousser, et même plus encore, assez réveillée. […] À travers tout un processus, la chiropraxie, l’acupuncture, et maintenant l’hypnose, je peux pousser dessus, mais elle ne sera jamais aussi musclée que la jambe droite, et n’aura jamais le même rendement ». Alors pour compenser, Aurélien fait beaucoup de changements de pieds. Il va aussi prendre quelques prises à l’envers. Conséquence : un gainage et une force dans le haut du corps très développés pour un grimpeur de son niveau.
« Les championnats de France ne sont que la concrétisation d’un travail. Ce qui compte pour moi dans l’escalade, c’est la dimension spirituelle » poursuit Aurélien. « Avant, en compétition, les gars devant moi me collaient, pour faire une analogie automobile, un tour ou deux. Maintenant, je suis dans le paquet de tête. À la fin du paquet de tête, mais quand-même ».
« La douleur, c’était mon sac à dos, mon boulet à la cheville »
Pendant des années, Aurélien a dû apprendre à vivre avec la douleur. Apparue en 1989, sans raisons, elle est devenue récurrente en 1993. Et permanente dans les années 2000. « Ça pouvait aussi bien être comme un petit caillou dans la chaussure. Ou, à des niveaux phénoménaux, à avoir la sensation de perdre le toucher. De perdre le tonus musculaire. À être flou au niveau des sensations. J’ai même demandé à être amputé de la jambe » se remémore le grimpeur.
La douleur, « c’était le bagage que j’avais toujours avec moi. C’était mon sac à dos, mon boulet à la cheville » explique Aurélien. Au départ, je mettais ça sur des changements de temps, sur de la fatigue. Des déboires professionnels m’ont aussi emmené à me dire ‘Tiens, c’est peut-être le mental’. Il faut imaginer que la douleur fait partie de mes vêtements, de mon armure, de moi. Et malgré tout, je prenais plaisir à grimper, à contrebalancer cette idée de la douleur, cette présence. La joie de réaliser la voie, de grimper comme je le voulais malgré la douleur. Il y avait toujours ce côté ‘malgré la douleur’ ».
« Vers l’âge de 30 ans, je me suis retrouvé sous anti-inflammatoires » poursuit-il. « Et quand tu lis les petites choses qu’il y a dedans, de l’opium par exemple (dans certains médicaments combinés, ndlr), tu te fais un peu peur. C’est ce processus qui m’a amené à me tourner vers des médecines douces. Les médecins qui me suivent ne m’en ont jamais parlé ». Une démarche qui conduit le grimpeur vers l’hypnose.
« Avec l’hypnose, je m’estime débranché de la douleur »
« Je suis allé en hypnose, en me disant : ‘Qu’est-ce que ça peut me faire ? Rien. Ou tout. Qu’est-ce que je crains ? Rien. Ou tout’ » se souvient-il. « Et je suis tombé sur quelqu’un de génial. La première séance, c’était, rétrospectivement, une forme d’échauffement. Je me suis vu grimper en Chartreuse, façon un peu drone. Est ensuite venue la séance la plus impactante pour moi, vraiment liée à la douleur. Je me suis senti dans le noir complet. Parce que t’es tout le temps conscient, tu as plein d’images dans la tête. Je ne peux pas le décrire autrement, et pourtant je suis graphiste, donc normalement les images et les couleurs, je connais ça. Et peu à peu, le noir s’est transformé en gris très foncé ».
« La douleur a renvoyé à des côtés psychologiques, à mon histoire familiale – ma mère n’a jamais admis que je sois né comme ça, elle s’en veut toujours. Alors que j’ai 42 ans. Ça m’a un peu retourné la tête » poursuit le grimpeur. « J’ai fait deux ou trois séances, avant que de me rendre compte que la douleur disparaissait ».
Aujourd’hui, le grimpeur « a la sensation d’être sur deux jambes ». « En un an et demi d’hypnose, la douleur a disparu. Mais je m’estime juste ‘débranché’ pour le moment » explique Aurélien. « Avant, quand je regardais la météo, je me disais : ‘Tiens ce jour-là, je vais peut-être avoir mal’. Aujourd’hui, je ne fais plus attention à tout ça, j’ai juste la sensation de vivre ». Une sacrée amélioration qui n’impacte pourtant en rien sa catégorie en compétition (RP3, déficient physique et neurologique 3) puisqu’elle est définie par l’amplitude des articulations, la douleur n’étant pas reconnue, parce que non mesurable.
L’entrée de l’escalade para aux Jeux Olympiques ? « Un processus à plusieurs vitesses »
Depuis, Aurélien pratique l’hypnose tous les six mois pour consolider ses acquis. Et préparer les compétitions. « La thérapeute prend l’image d’un petit ruisseau où tout doit bien aller, où tu entends le clapotis de l’eau » indique le grimpeur. Et quand on lui parle d’une éventuelle entrée de l’escalade para aux Jeux Olympiques, il est catégorique. « Depuis le temps que je tourne dans les compétitions, j’ai pu remarquer que l’on va vers du spectaculaire. Une Solenne Piret à qui il manque un avant-bras, un Thierry Delarue qui grimpe avec sa prothèse, un Julien Gasc à qui il manque un pied… C’est spectaculaire » détaille-t-il. « Je pense que l’on ira [aux Jeux Olympiques, ndlr]. Mais au détriment de gars déjà installés à qui on risque de dire ‘vous n’êtes pas assez handicapés’. Sous-entendu : ce n’est pas assez spectaculaire, donc on ne veut plus de vous. Je m’attends à un processus à plusieurs vitesses ».
Encore loin d’envisager les Jeux Olympiques donc, le grimpeur se concentre sur son prochain objectif : les championnats de France à Tarbes, le 24 mars prochain.
Photo d'en-tête : Scott Osborn- Thèmes :
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