« La Diag, c’est technique, très cassant. Tout ce que j’adore ! » nous confiait il y a quelques jours Aurélien Dunand-Pallaz, traileur français qui vient de remporter la Diagonale des Fous (165 km ; 10 000 D+) en 23:21:23, à moins de 20 minutes du record de l’épreuve (23:02). On le savait en forme, mais en ultra, on le sait, rien n’est jamais écrit d’avance, en témoigne la performance de François D’Haene, actuellement 7e, donné favori qui subit plus que jamais la chaleur. Un paramètre qu’a bien su gérer Aurélien qui signe au passage un superbe doublé Hardrock/Diagonale.
Il en rêvait depuis 2018. Voilà qui a fait. « Ça fait deux semaines que je me sens bien » nous confiait Aurélien Dunand-Pallaz sur le point d’achever ses derniers repérages quelques jours avant la course. « J’ai fait tout ce que je voulais depuis la Hardrock. Tout s’est bien goupillé, les phases de récupération, les blocs d’entraînement… Je suis en confiance. Mais on verra le jour J comment ce sera. En tout cas, je me sens prêt ».
Un superbe état de forme que l’on a pu admirer hier dès l’entrée dans la nuit réunionnaise. Car dès les premiers kilomètres de la course, Aurélien a mené la danse, talonné par le Suisse Jean-Philippe Tschumi, 2e de l’édition 2022, qui a tout de même lancé quelques attaques. Sans succès. Ce dernier a fini 3e de cette édition en 24:28:36 et a donc dû laisser sa place au Français Germain Grangier, 2e en 24:00:54. Il signe ainsi cette année un superbe enchaînement UTMB/Diagonale.
« Sur ces formats de course, tout peut arriver »
C’est en 2021 que le monde du trail a découvert Aurélien Dunand-Pallaz. Cette année-là, le kiné savoyard s’est imposé par surprise sur la Transgrancanaria (129 km et 6 300 m de D +) alors tous les regards étant braqués sur le favori, l’Espagnol Pablo Villa González (qui finira par abandonner). De quoi accumuler suffisamment de confiance pour s’élancer sur l’un de ses plus gros défis : l’UTMB. Novice sur cette distance, il est annoncé comme un outsider. Mais à Chamonix, il éblouira le monde du trail avec une inattendue 2e place, à seulement douze minutes du vainqueur François D’Haene. Pas si mal pour un premier 100 miles !
Après une saison 2022 difficile, blessure oblige, c’est vers un tout autre objectif que s’est tourné Aurélien cette année : l’enchaînement de la Hardrock (161 km ; 10 000 D+) en juillet et de la Diagonale des Fous (165 km ; 10 000 D+) en octobre. Et cet été, outre-Atlantique, il a d’emblée pris les commandes de la course californienne, véritable monument du circuit international d’ultra-trail, en imposant son rythme. Ce qui lui a permis de creuser peu à peu l’écart sur ses rivaux et s’assurer d’une confortable avance (il s’est imposé en 23 heures et 7 secondes, devançant de 50 minutes son plus proche poursuivant, Beñat Marmissolle). « Sur ces formats de course-là, c’est très, très long, il peut arriver tant soucis, de problèmes » confiait-il à son arrivée. « Il faut déjà se battre contre soi avant de se battre contre les adversaires. La victoire, c’était le meilleur des scénarios ». Au regard de ces performances, on comprend que le Français était attendu à La Réunion. Depuis l’île, il avait pris le temps de répondre à nos questions entre deux sorties sur les sentiers.
Aurélien Dunand-Pallaz : après La Réunion, l’UTMB 2024 en ligne de mire
Pourquoi as-tu décidé de t’engager sur la Diagonale cette année ?
La Diagonale des Fous, c’est la course qui me fait le plus envie. Au-delà de l’UTMB, qui est ultra connu, le parcours est mieux adapté pour moi, ici, à La Réunion. C’est technique, c’est très cassant. Tout ce que j’adore. Cette année, j’ai eu la chance d’être pris au tirage au sort à la Hardrock. Et comme il me semblait très ambitieux d’enchaîner Hardrock et UTMB, faire la Diagonale m’est venu naturellement. […] Ce n’est pas une course de rattrapage ou de fin de saison, je me suis vraiment concentré dessus. Pour moi, c’est vraiment un second objectif. […] Ce sera la première année où je vais courir deux 100 miles. J’ai déjà voulu le faire plusieurs fois, mais j’ai eu des blessures. L’année passée, j’aurais dû faire l’UTMB et la Diagonale. J’ai été blessé juste avant l’UTMB, donc je n’en ai fait aucune. La Diagonale, ce sera mon troisième 100 miles – je n’ai fait que l’UTMB en 2021 et la Hardrock cette année.
Comment se sont passés les mois ayant suivis la Hardrock ?
Comme il y a trois mois entre les deux courses, ça laisse pas mal de temps. Ce qui m’a permis de vraiment couper pendant deux semaines après la course. Je n’ai rien fait. On était de mariage en Bretagne, j’ai profité avec ma copine et notre bébé. Je n’ai pas fait de sport, j’ai repris tranquillement dans le mois d’août, en m’entraînant progressivement. Et c’est plutôt à partir de fin août/début septembre que j’ai repris le long. J’ai fait un bon bloc d’entraînement en Corse, à la suite duquel j’ai fait une course en Suisse, la Wildstrubel by UTMB. L’idée, c’était de me qualifier pour l’UTMB l’année prochaine et de faire une course de préparation. Ça s’est bien passé, j’ai gagné. Ensuite, je me suis reposé, avant d’enchaîner par un stage avec l’équipe de France dans le Cantal. Ce qui m’a permis de bien m’entraîner aussi. Là, j’arrive à La Réunion, c’est un peu les derniers préparatifs.
Tu as prévu une stratégie de course particulière ?
En général, je m’écoute vraiment. Si je me sens très bien, je vais prendre mon rythme, c’est ce que j’ai fait à la Hardrock par exemple. Et naturellement, je suis parti devant. Mais la Diagonale, c’est particulier. Tout le monde dit qu’il faut partir doucement parce que le début de course est rapide, par rapport à la suite qui très technique, très cassante. Donc je pense qu’il faut être encore plus prudent à La Réunion. Mais je vais toujours faire au fil de mes sensations.
En ce qui concerne la stratégie nutritionnelle, là aussi tu fais aux sensations ?
J’ai toujours un plan. Mais ça reste de la théorie. Le jour J, on peut avoir des problèmes. Par exemple, on peut avoir moins envie de manger du solide. Donc il faut s’adapter avec des choses un peu plus liquides, ou des gels. J’ai quand-même mes habitudes, avec mes produits énergétiques et ma boisson énergétique. Sur les longues distances, je tourne entre 50 et 70 grammes de glucides par heure en moyenne. Après, ça reste une moyenne. Parfois, je peux avoir beaucoup envie de sucre, et vais boire beaucoup de Coca d’un coup. Sinon, j’utilise aussi de l’alimentation semi-liquide, des compotes, ça passe mieux au niveau gastrique. Et de temps en temps, je fais des apports de sources salées, ça peut être du riz, un peu de jambon ou du bouillon salé. Là, [sur la Diagonale, ndlr], je vais essayer de bien combler les pertes de minéraux parce que s’il fait très chaud, on va perdre beaucoup de sel. Comme je transpire beaucoup, j’essaie d’apporter des eaux riches en minéraux. Je le travaille de plus en plus à l’entraînement. J’ai l’impression de gérer ça de mieux en mieux.
Sur la Hardrock cette année, Ludovic Pommeret était ton pacer. Quelle est ta relation avec lui ?
Avec Ludo, on se connaît très bien. Surtout l’hiver en ski de rando. On se croise beaucoup sur les courses, sur la Pierra Menta notamment. Il était donc naturel de lui demander de faire mon pacer – et puis il était déjà aux États-Unis pour la Western States. C’était super sympa de partager ça avec lui. Et le jour J, c’est tout bête, mais il m’a rappelé de manger, m’a conseillé de prendre les bâtons en descente, ce que je n’avais jamais fait… Des petits trucs comme ça que j’ai appliqué et qui ont payé.
Quel va être le programme après la Diag’ ?
Ce sera la fin de saison, donc je fais faire au moins deux semaines sans sport. Et après, je vais attendre l’hiver pour faire du ski de randonnée, la saison sera vraiment finie au niveau de la course à pied, j’en aurais assez fait. Ensuite, je vais enchaîner par une saison de ski, avec en point d’orgue, comme chaque année, la Pierra Menta. […] L’hiver, je cours une fois ou deux dans la semaine, sans entraînement spécifique, juste pour entretenir la course à pied. Je fais la majorité de mon entraînement sur les skis parce que ça apporte énormément d’endurance de force, une qualité indispensable en montée, pour les longues distances. Et puis, ça permet au corps de se régénérer plusieurs mois, pendant l’hiver. C’est un sport de glisse, il y a moins d’impact, on se fait moins mal aux articulations.
Et ta saison 2024, elle va ressembler à quoi ?
L’UTMB, ce sera l’un des deux objectifs de l’année prochaine. Le rêve, c’est de le gagner. Mais j’aimerais surtout faire mieux en termes de chrono – j’avais mis un peu moins de 21 heures en 2021, je pense que je peux faire mieux. Et comme cette année, je pense que je partirais sur deux ultras dans l’année. Je ne sais pas encore quelle autre course faire. Parce qu’en gagnant la Hardrock, j’ai le droit d’y retourner, mais j’hésite.
Photo d'en-tête : Justin Galant