Mieux que de grands discours, certains outils simples, ludiques même, permettent de mieux comprendre les enjeux du dérèglement climatique, les relations de cause à effet et surtout de voir où chacun peut intervenir, très concrètement. C’est le cas de la Fresque du climat, atelier collectif autour d’une sorte de « jeu de société », que vous allez forcément croiser un de ces jours, tant les séances se multiplient en France, entre potes ou collègues de bureau. A quoi ça sert, comment ça marche, qui peut y participer ? Explications de Xavier Thévenard, champion de trail, triple vainqueur de l’UTMB qui, après l’avoir découverte récemment, en est aujourd’hui l’un des ambassadeurs les plus actifs, totalement bénévole, précisons-le.
C’est le secret le moins bien gardé du monde. On croit être le seul à « avoir fait la fresque », et on se rend compte autour d’un dîner entre copains, que deux autres autour de la table y ont participé. L’un à son bureau – un collègue récemment initié était maître du jeu ce jour-là – l’autre, en version junior, via l’école de sa fille. La Fresque du climat, modeste jeu de cartes (44 dans la version standard) créé en 2018 à l’initiative de Cédric Ringenbach, président de l’association du même nom, fait chaque jour plus d’émules, en France mais aussi à l’étranger. Les chiffres sont éloquents : plus de 525 000 participants à ce jour, 25 000 bénévoles, dans 50 pays et 45 langues.
Initialement inspirée du parti pirate suédois, dont les grands principes sont la “do-ocratie”, le droit à l’erreur et la transparence, cette association, visant à s’approprier le sujet du changement climatique, a un fonctionnement décentralisé et participatif. Elle part du principe qu’« il est nécessaire de bien comprendre un problème pour y apporter des solutions et passer à l’action. En trois ans, la Fresque du Climat est ainsi devenue un outil de référence », apprend-on sur son site. Ses petites cartes thématiques synthétisant les chiffres-clefs sur le transport, l’alimentation, le logement … – que l’on assemble et commente en petits groupes afin de dégager les relations de cause à effet des actions humaines sur l’environnement – s’appuient sur « des données tirées d’une base scientifique de référence, celle qui oriente aujourd’hui les choix des décideurs politiques et économiques », précisent les organisateurs. »« Ces rapports spéciaux commandés par l’ONU et l’Organisation mondiale de météorologie sont rédigés par le GIEC, Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Parce qu’elle s’en tient aux données scientifiques solidement établies, la Fresque du climat est un outil neutre et objectif. »
Au final : un outil d’information collective ouvert à tous s’appuyant sur un réseau de bénévoles en constant développement. Parmi eux, l’athlète pro Xavier Thévenard, une des grandes figures du trail, déjà très connu pour son engagement personnel dans la lutte contre le dérèglement climatique qui, bien que plutôt bien informé sur le sujet se passionne aujourd’hui pour La fresque.
Comment t’es-tu initié à la Fresque du climat ?
Je l’ai découverte l’année dernière seulement. J’avais déjà de bonnes notions sur certains sujets environnementaux. Au cours de l’hiver 2018-2019, j’avais lu « Comment tout peut s’effondrer » de Pablo Sevigne. J’ai mis deux semaines à m’en remettre ! On vit dans un monde malade ! Puis j’ai enchainé sur « Le plus grand défi de l’histoire de l’humanité » d’Aurélien Barrau. Violent, mais je savais à quoi m’attendre, et ça m’a renforcé encore dans mes convictions. J’étais alors inscrit à l’Ultra trail mont Fuji, j’y suis allé, mais c’est la dernière fois où j’ai pris l’avion. Au printemps suivant, je décidai de limiter mes vols aux urgences seulement, si je devais aller voir mes parents malades en Corse par exemple. Sinon, j’y renonce. Si je me radicalise ? Non, j’ai plutôt l’impression de faire des choix qui sont dans l’air du temps et qui deviendront la norme dans quelques années, car on n’échappera pas à la décroissance. J’ai un cercle d’amis assez ouvert, et puis, franchement je ne vis pas dans l’inconfort ni sans bonheur, au contraire.
Alors la Fresque, je l’ai découverte un peu par hasard. « J’accompagnais Nico Vandenelsken sur le GreeNico Tour ( Tour de France en courant pour sensibiliser au sport-santé et à l’écologie, ndlr) sur une opération de runplugging du côté de Besançon. On courait et ramassait les déchets le matin et l’après-midi il organisait des opérations de sensibilisation dans les écoles. Ce jour-là, toutes sortes de gens était réunies autour des cartes de la Fresque. Pour cette première expérience, j’étais là plutôt en observateur. Depuis j’en ai fait six, dont quatre en tant qu’animateur, en binôme avec Thomas Michaud (son agent, ndlr)- on se complète bien, il a plus de facilité que moi pour amener la discussion. Au fil du temps, ça m’a permis de voir comment nous sommes différents face aux conclusions qui soudain te sautent aux yeux, quand les notions sont plus claires, les chiffres plus précis et les relations de cause à effet évidentes entre nos actions quotidiennes et leurs conséquence sur l’environnement.
Quel sont les principaux bénéfices de ces ateliers ?
C’est un outil génial, car il n’est pas jugeant, pas moralisateur et accessible à tous. Il permet de prendre conscience des ordres de grandeur. C’est parlant, cela permet de voir dans quel domaine on doit, à titre personnel, s’orienter pour diminuer son empreinte carbone. Que ce soit au niveau du transport, du logement, ou de l’alimentation par exemple. Un seul vol en avion peut bousiller ton bilan carbone. Faire passer ce message au plus grand nombre est important. Car je suis convaincu que finalement, ceux qui sont en place au gouvernement sont le reflet de la population. Si Emmanuel Macron décide enfin de sortir la France du Traité sur la charte de l’énergie, c’est qu’il sent que le mouvement, l’électorat de la prochaine présidentielle y est sensible. Et si de plus en plus de monde y est sensible via la Fresque du climat, c’est top ! Ca va faire effet boule de neige et aller dans le sens de la décroissance.
La Fresque permet aussi de comprendre que si nous sommes le problème, nous sommes aussi la solution. De quoi être optimiste et de se dire qu’il faut au moins essayer d’enrayer les choses. Etre dans l’inaction n’est pas motivant. Il faut que nous puissions nous dire que même si nous n’y arrivons pas, au moins nous aurons essayé.
Devant les chiffres et les scenarios effrayants du dérèglement climatique, comment réagissent les participants ?
Ils passent souvent par plusieurs stades émotionnels. Le déni, la colère, ou l’abattement, selon les personnalités et la connaissance du sujet. Puis en fin de séance, ils remontent la pente et sont prêts à prendre le problème à deux mains. Mais ce qui est intéressant, c’est que sans culpabiliser les gens, ces séances collectives peuvent titiller sur des choses qui semblent impossibles à modifier. La consommation de viande de bœuf par exemple. Ca les touche beaucoup, sans doute parce que c’est ancrée dans notre culture, et qu’autour du repas on a cette notion de la convivialité si importante en France. On voit aussi des gens qui prennent des grosses claques lorsqu’ils comprennent l’ampleur de l’effondrement de la biodiversité et en distinguent les relations de cause à effet : guerre, famine, problèmes de santé… Ils se décomposent. Personne ne veut en arriver là. Et le moral en prend un coup. Personnellement, je n’ai pas vu de gens pleurer, mais Mathias Biguervamien, référent de l’association de la Fresque du climat dans le Doux ( il en a fait plus de 80 !), m’a raconté qu’il avait vu des gens pleurer.
Certaines générations semblent plus sensibles que d’autres. Selon mon expérience, encore modeste, les jeunes de ma génération, les 30-35 ans, ont déjà souvent des références, Jean-Marc Jancovici et son Shift project, ou Arthur keller. Ils ont déjà entendu leurs conférences ou lu leurs livres, et cela nourrit la discussion. On voit aussi des gens de 70 ans, conscients, faisant déjà beaucoup de choses au quotidien depuis des années, pensant faire au mieux pour limiter leur impact, se rendre soudain compte que tout ce qu’ils faisaient jusqu’à présent n’était pas suffisant. J’ai un copain de 70 ans, son vrai plaisir c’est l’outdoor. Ex prof d’éducation physique, il s’était dit qu’à la retraite il allait pouvoir faire du sport partout dans le monde. En étant sobre au quotidien, mais en prenant l’avion. Depuis qu’il a réalisé l’impact de ses vols, il reconsidère ses projets.
Concrètement comment se déroule une séance de Fresque ?
C’est gratuit et ouvert à tous, il suffit de s’y inscrire sur le site de l’association. On en trouve un peu partout en France. Et une fois formé, on peut en organiser avec des amis, des collègues. Je vais en faire une avec des athlètes cette semaine par exemple. Une séance dure environ trois heures. Il s’agit d’un atelier collectif autour de cinq lots de cartes. Tu peux faire des Fresques plus ou moins poussées, selon le public et son niveau d’information, son temps, ou son âge (deux jeux spécifiques destinés aux 9-14 ans, et une simplifiée pour les 14-18 ans sont également disponibles, ndlr). L’important, c’est de comprendre l’impact de nos actions individuelles. La moitié de chaque séance est consacrée à la mise en perspective des problèmes, via la relation entre les cartes, posées sur une table. On a alors une notion des grandeurs plus précise. L’autre aux solutions qu’on peut mettre ensemble, collectivement. On finit par le solutions envisageable dans chaque catégorie, puis chacun réfléchit sur quoi il peut s’engager au niveau individuel pour diminuer son empreinte carbone. C’est un engagement personnel et moral, aucune obligation, ça ne regarde que toi. Mais plein de gens passent à l’action !
Moi après ma deuxième Fresque, j’ai décidé, avec ma compagne, Amélie, de nous limiter à deux voitures. On en avait deux, on a vendu l’autre. Et puis ça m’a conforté dans notre projet de rénover une veille ferme de 1663, dans le Jura, tout près de chez moi avec les matériaux les moins impactant possibles, très peu de béton, des murs isolés avec de la paille, peu de déperdition d’énergie. On a planté des fruitiers. On va essayer de tendre vers l’autonomie énergétique et alimentaire. J’y travaille beaucoup, on espère pouvoir y habiter d’ici un an environ. Le cadre me plait, pas besoin de courir le monde pour être heureux. Les enfants ? On est en pleine discussion par rapport à ça. C’est sûr que dans le contexte actuel, est-ce que ça encore du sens… mais au fond si ceux qui sont sensibilisés à l’urgence de faire face au dérèglement climatique y renoncent, ne restera qu’une génération indifférente et ce sera pire. Il me semble donc important de transmettre cette conscience aux plus jeunes si nous voulons arriver à un changement de nos modes de vie. Ce qui nous amène à reconsidérer beaucoup de choses. Dans un monde à +2°C, parce qu’on y est maintenant, quelle place pourront nous accorder au sport ? Plutôt que de courir dehors pendant des heures, on va peut-être consacrer notre temps à planter des patates ! Pas sûr alors qu’on est le temps libre pour s’entraîner et faire des courses. Le sport, c’est un loisir, parce qu’on a du temps libre, mais si le dérèglement évolue encore, on devra peut-être mettre notre énergie à faire nos jardins et nos baraques…
Pour en savoir plus sur la Fresque, participer à un atelier, devenir animateur ou acheter un jeu de carte ou télécharger gratuitement le jeu, c’est ici.
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Photo d'en-tête : Fresque du climat / Xavier Thévenard- Thèmes :
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- Xavier Thévenard