C’est un grand coureur. Un habitué des podiums du skyrunning que les passionnés ont repéré depuis longtemps, mais que le grand public vient tout juste de découvrir suite à sa formidable 6e place à l’UTMB, ce week-end, à 24 secondes de l’icône américaine de l’ultra, Zach Miller. Il aura fallu toute la ténacité du leader mondial du running pour qu’émerge aujourd’hui Beñat Marmissolle, Basque discret mais redoutable sur les sentiers les plus engagés, plus porté sur la course en montagne que sur la chasse aux likes sur Instagram. Rencontre avec un homme vrai qu’on attend avec impatience de voir en octobre sur la Diagonale des fous. La dernière fois qu’on l’y a vu, il courait sous ses propres couleurs, sans aucun sponsor, avec pour seul soutien sa famille et ses proches. Il a terminé 3e, c’était sa première sur cet ultra considéré comme l’un des plus difficiles au monde où cette année il compte parmi les favoris.
« Ca me dépasse ! Tous ces appels… Ces gens qui me contactent tout à coup et que je ne connais pas. Mais comment ont-ils eu mon numéro ? ». Sur le répondeur de Beñat Marmissolle, 6e à l’UTMB quelques jours plus tôt, les messages tombent par centaines, au grand désespoir de ce Basque timide que ses proches et son sponsor, ASICS – son premier dans sa longue carrière de traileur – ont dû convaincre de courir l’UTMB, épreuve phare du sommet mondial du trail bouclée samedi 27 août. Il est vrai que le plateau était impressionnant : Kilian Jornet, Pau Capell, Jim Walmsley, Zach Miller, Mathieu Blanchard… pour ne citer qu’eux. De quoi lui donner des sueurs. Car si les distances et les déniv ne lui font pas peur, lui qui depuis 14 ans se forge un CV en béton – 6e place à la Coupe du monde en 2019 notamment – ce traileur hyper affuté au regard vif aime tout sauf la lumière. Alors aller se frotter aux plus grands sur l’UTMB !…
Surprenant de la part de cet homme modeste, ouvrier dans l’industrie aéronautique, vivant dans son petit village de Tardets-Sorholus, 558 habitants, qui depuis 2008 se consacre corps et âme, et budget aussi, au trail. Une passion qu’il a découverte sur le tard, à 28 ans, parce que, comme beaucoup, il voulait se remettre en forme et perdre du poids. 14 ans plus tard, Beñat est sur la ligne de départ de l’UTMB et court sous les couleurs de la marque japonaise, numéro un mondial du running, dont l’ambition sur le segment du trail – ASICS en contrôle déjà 17% du marché mondial, chiffre en augmentation constante – n’est plus un secret pour personne depuis que Laurent Ardito s’est vu confier en 2008 la mission de monter un team digne de ce nom. Ce dernier s’était donné cinq ans pour obtenir des résultats. Il en faudra quatre à cet ex athlète venu du cyclisme et du raid d’aventure pour imposer la marque sur le marché du trail en alignant les victoires de ses recrus.
À 24 secondes de Zach Miller !
Parmi ses poulains, un certain Xavier Thévenard, ami d’enfance de son propre fils Max. En 2013, à 21 ans, le Jurassien décroche sa première victoire à l’UTMB, passage obligé pour les grandes marques comme pour les coureurs désirant se faire un nom. Deux autres victoires suivront pour cet athlète, imposant définitivement la marque comme l’un des acteurs incontournables du trail. Un acteur avec lequel on doit désormais compter côté produits : en quelques années, les innovations sortent de l’ISS, le laboratoire de recherches de la marque, installé à Kobe. Notamment la toute dernière Fuji Lite 3, un modèle très polyvalent doté du même grip ASICS et de la même semelle que la Trabuco 10 que Beñat portera aussi sur l’UTMB. Mais si la marque s’impose, c’est aussi grâce à ses athlètes, le nerf de la guerre, ou plutôt son cœur.
Alors quand, à quelques mois de l’UTMB, Laurent Ardito doit compléter sa team de 35 traileurs issus de 12 pays comptant déjà des grands noms tels que le Français Benoit Girondel ou le Suisse Mathieu Clément, il n’hésitera pas à contacter Beñat Marmissolle. On est en 2021 et le Basque a 40 ans. La liste de ses podiums est aussi longue que les ultras qu’il enchaine, mais il n’a aucun sponsor. « Personne ne me voulait », m’explique-t-il au soir de sa victoire à l’UTMB, encore sous le choc et l’enchantement de son éblouissante course réalisée en 21 :28 :14. À 24 secondes de Zach Miller (21 :27 :50). « Monsieur Zach Miller ! Tu te rends compte ! ». Lui qui visait de se classer dans le top 25-30, sans trop savoir où il allait se retrouver sur ce 100 miles, son deuxième seulement, est propulsé derrière l’icône américaine en un temps qu’il y a six ans seulement, l’aurait juché tout en haut podium. On se souvient en effet qu’en 2016, Ludovic Pommeret faisait 1er en 22:00:02.
Sa force ? La famille, les amis
Cette 6e place, il n’y croit pas encore, lundi dernier, alors que nous poursuivons au téléphone notre conversation entamée la veille au dîner réunissant tous les athlètes du team. Ce soir-là on fête les podiums d’Hortense Mermillon (YCC, 1er), Núria Gil (OCC, 2e), Claudia Tremps (TDS, 2e), Andreas Reiterer (CCC, 3e), Maximilien Drion (ETC, 3e). Mais la star du jour c’est Beñat Marmissolle, 6e au scratch et premier de l’UTMB dans la catégorie des 40-44. Discrètement installé à une table au fond de la salle, il est entouré de sa famille : sa femme Cendrine, son frère, son neveux, handballeur prometteur, comme Beñat en ses jeunes années, et surtout Natan, son fils de 13 ans, qui, silencieux, dévore son père du regard. Ce petit clan très uni, c’est toute la force du traileur qui, il le rappelle volontiers, ne serait rien sans eux. Discours classique chez tous ceux qui se retrouvent un jour propulsé sous les sunlights, mais qui, dans sa bouche, sonne étonnamment vrai.
Car si Beñat se retrouve aujourd’hui dans l’écurie d’ASICS, c’est grâce à eux. Eux qui, au fil des années l’ont soutenu financièrement pour qu’il puisse atteindre, puis poursuivre une carrière internationale. « C’est un budget », explique-t-il alors qu’il roule vers le Pays Basque. 11 heures de route depuis Chamonix, après avoir avalé 170 km et 10 000 m de D+. Issu d’une famille de paysans modestes, il a dû très tôt apprendre à compter. Avec un salaire d’ouvrier chez Safran – à mi-temps pour s’occuper de son fils puis pour assurer son entrainement – les fins de mois ne sont pas toujours faciles, même si on y ajoute les revenus de Cendrine, son épouse, coiffeuse à domicile. « Remplir le caddie, payer les emprunts, la pension alimentaire pour mon fils, ça file vite ». Alors quand aux dépenses quotidiennes on ajoute encore les frais liés à la compétition internationale, les montants deviennent vite vertigineux. « Rien que pour les chaussures, 12 à 15 paires par an, à 180€ en moyenne, tu fais les comptes », détaille-t-il. « Ajoute encore les déplacements : 2000€ en moyenne en sachant que j’en fais 5 à 7 par an depuis six ans ».
Six ans de sacrifices
Alors pour poursuivre sa passion, et l’on parle ici d’une véritable passion, « ça fait presque peur » confie d’ailleurs Laurent Ardito, Beñat puise dans ses réserves, avec le soutien de ses proches. Et économise sur tout pendant six ans. « Pour nous, pas de restau, ni de veste de marque, mais s’il y a un poste qu’on ne sacrifie pas, c’est la nourriture. Saine, naturelle et de qualité. Et ça, c’est un budget. Heureusement il y a la ferme de la maman et du papa, ses bons poulets, agneaux et lapins, beaucoup de légumes aussi, mais forcément, tu dois faire des choix pour y arriver. »
Sacrifices financiers, mais aussi physiques. « A l’usine je suis à mi-temps, j’en suis reconnaissant à mon employeur, mais je travaille en 2/8, sans statut particulier d’athlète, malgré mes performances, le trail n’étant pas reconnu par la Fédération comme un sport ouvrant des avantages en entreprise. Les horaires sont durs, mais ils me permettent de faires mes 30 heures d’entrainement hebdomadaire dans les montagnes, près de chez moi. Parfois la nuit, il m’arrive d’avoir le cœur qui palpite, et je me demande si ça va aller. Et pour moi, pas d’alcool, pas de charcuterie, alors que j’adore ça, et je m’abstiens à un régime strict, mais j’aime courir ! »
« Les réseaux sociaux, ce n’est pas pour moi »
« Cet UTMB, je n’arrive pas encore à en réaliser l’impact », poursuit-il. « il va me falloir un peu de temps. 48 heures après, je n’ai pas encore eu le temps de le savourer. Et tu vois, après une course comme ça, on devrait aller au restau, avec Cendrine, mon frère, le petit, la famille, mais on va fêter ça à la maison avec un repas préparé par la maman, je ne voudrais pas que les gens pensent que je me crois plus que les autres. Ce n’est pas moi. Je suis quelqu’un de humble. Je n’attends aucune gloire de la course, sinon je perds ce pourquoi je me lève tous les matins : être dans la nature et être en liberté avec moi-même. Les réseaux sociaux, tout ça, ce n’est pas pour moi. Je ne sais pas faire, et je n’en ai pas envie. Quand j’ai signé avec ASICS en janvier dernier – une immense marque, un honneur et une fierté pour moi – j’ai vu comment les autres athlètes étaient présents sur Instagram. Ca m’a complexé, pendant plus de six mois ça m’a rongé, jusqu’au 7 juillet dernier, lors de la Restonica (trail de 110km et 7200m D+ où il triomphe, ndlr). Là je me suis dit : je suis comme je suis, je ne pourrais pas me changer. J’ai eu peur un moment qu’ils (ASICS, ndlr) croient que je faisais exprès de ne pas m’y mettre (aux réseaux sociaux, ndlr), mais non, ce n’est pas moi. Il faut me prendre comme je suis, je ne sais pas faire, c’est trop de pression. Moi, mes valeurs, c’est humilité, respect et travail. Il faut juste me laisser donner le meilleur de moi-même. Je crois qu’ASICS l’a compris. D’ailleurs il n’y a qu’à voir comment ils sont arrivés jusqu’à moi.
« Je fonctionne à l’affectif »
J’accumulais les performances, mais aucun sponsor ne semblait le voir. Alors Pierre Blanco, mon meilleur ami, a écrit une lettre aux marques qu’on voit sur les courses. Une trentaine de lettres. Moi je n’aurais jamais osé, mais lui, qui n’y connait rien au trail, il s’est présenté comme mon meilleur ami et a listé mon palmarès en expliquant que financièrement ce n’était plus possible. Quelques marques m’ont contacté. Je suis quelqu’un qui fonctionne à l’affectif. J’ai eu un bon feeling avec Laurent (Ardito, ndlr). J’avais alors 40 ans, j’en ai 41 aujourd’hui, plus très jeune pour une carrière, mais quand on voit un Ludovic Pommeret, 47 ans, 1e à la TDS cette année…
Chez ASICS, on pense que je peux faire mieux encore, gagner une heure sur l’UTMB. Moi, je ne sais pas. Mais des copains ont analysé mes résultats, et à partir du Km 80 je suis le 4e meilleur temps. J’aime pas parler comme ça, et d’habitude on me dit « arrête de faire ton Calimero », mais au fond, j’ai des qualités que d’autres n’ont pas. Et c’est mon premier UTMB, je peux encore m’améliorer. Quand je réalise que je suis arrivé à 24 secondes de Zach Miller, Monsieur Zach Miller !… Je suis le petit paysan qui a fait trembler la star mondiale. C’est fabuleux ! ».
Pour en savoir plus sur la Fuji Lite 3, visitez www.asics.com
Photo d'en-tête : Asics