Une aventure à la Jack London, au fin fond du Canada… Le Breton Yann Quenet en rêve « depuis tout gosse ». Alors, après avoir redonné un coup de neuf à son micro voilier – 4 m de long x 1,60 m de large – éprouvé par son tour du monde de 30 000 miles en solo bouclé en 360 jours, il s’apprête à prendre à nouveau le large pour deux ou trois ans, peut-être plus, qui sait… Le temps d’arpenter à nouveau la planète d’un océan à l’autre, sans autre quête que celle du plaisir. Avec, bien sûr une parenthèse hivernale du côté du Canada où il compte bien trouver une cabane où se poser un petit moment, nous confie-t-il dans une interview accordée à deux mois du départ.
En 2022 à la sortie de son merveilleux petit livre, « Le tour du monde avec mon Baluchon ». publié aux éditions du Cherche midi, il nous avait scotché. Car des aventuriers comme lui, on en voit peu. Qu’on en juge. A la veille de ses cinquante ans, Yann Quenet décrète : « Maintenant, je ne fais plus que des trucs rigolos ! ». Une fois son fils élevé, il quitte un emploi de bureau où il s’ennuyait ferme depuis 17 ans, et entreprend de prendre le large au départ de Lisbonne en mai 2019 sur Baluchon, un tout petit voilier de 4 m de long sur 1,60 m de large qu’il construit lui même pour 4000 euros avec des matériaux de récupération, histoire de vivre la passion qui l’anime depuis l’adolescence. Ce sera loin et pour longtemps : un tour du monde qui durera trois ans. Dont 360 jours en pleine mer, au large, et 77 jours non-stop sans voir âme qui vive lors de sa traversée entre la Nouvelle-Calédonie et La Réunion. Au total : 30 000 miles parcourus à sa façon, en musardant. Car ce marin-là, c’est l’anti Mike Horn. Un contemplatif. Un homme libre et léger, doté d’un sens de l’humour sans pareil. Minimaliste à l’extrême. Un esprit vif qui s’ignore.
Depuis qu’il a posé son sac, il y a presque deux ans, à Saint-Brieuc, où il a son atelier, nous avons croisé ce petit bonhomme à la dégaine de marin dans des festivals de films où, de Montpellier à Lons-le-Saunier en passant par La Rochelle, le petit doc qu’ont réalisé sur lui deux réalisateurs tombés, eux aussi, sous son charme, remporte prix sur prix. Pas de quoi déboussoler cette homme simple. A peine remis en état son voilier, sa tête est déjà ailleurs, nous explique-t-il aujourd’hui, à deux mois de prendre à nouveau la mer.
« Attends, j’attache mon vélo, et on se parle. » Installé sur un banc public à Saint-Brieuc, son port d’attache, Yann est disponible. Et cet homme modeste qui longtemps a été plutôt timide, se montre plutôt loquace, mais un peu étonné qu’on s’intéresse encore à lui.
Presque deux ans que tu as a remis pied à terre, comment s’est passé ton retour ?
Le temps a passé très vite. Je l’ai vécu comme une escale un peu longue. Avec un effet un peu bizarre quand même. A mon retour, j’étais dans un bar, avec deux amis, la serveuse était la même qu’à mon départ, tout était comme avant, j’ai eu un moment de flottement et comme l’impression que mon voyage n’avait pas existé. La notoriété ? Non, personne ne m’arrête dans la rue ! Il y a même des gens qui m’ont dit que mon aventure n’avait rien d’extraordinaire. Je trouve qu’ils exagèrent un peu quand même… Mais bon, j’ai mon petit atelier, j’ai une bonne petite vie. J’ai mon vélo, et le train parfois pour aller dans les festivals de films. On y rencontre de vrais aventuriers, des gens impressionnants. Moi, je ne suis qu’un gamin à côté. Mais ça m’a permis de m’ouvrir aux autres, ce que, sans m’en rendre compte, j’avais commencé à faire avec Baluchon. Au niveau communication, ça c’est la grosse différence entre le petit bonhomme qui est parti sur son voilier et maintenant.
Parfois aussi, je sens une sorte de pression : mon éditeur … on me demande la date de mon nouveau départ… alors ça demande un peu de travail pour revenir à mon état naturel, retrouver mon équilibre avant de repartir.
Quel est ton nouveau projet ?
Faire un autre tour du monde dont une boucle en hivernage au Canada. Pas grand-chose de différent par rapport à mon précédent. Se faire plaisir surtout et y intégrer une aventure à la Jack London. Je vais partir en juin, dans deux mois, vers le Antilles. Puis au printemps 2025 remonter la côte Est des Etat-Unis et atteindre le Canada, Saint-Pierre-et-Miquelon et le Saint-Laurent. Ca pourrait me prendre un an, peut-être deux, je ne sais pas. J’aimerais rentrer dans le Saint-Laurent et y jouer les Davy Crockett. Trouver une cabane en bois, dans la neige. C’est un rêve de gosse. Si je m’y suis préparé ? Non, ce sera l’inconnu, je vais m’adapter, selon mon inspiration. J’essaye d’aborder ça comme un gamin, pas trop sérieusement, sans plan rigide.
J’aimerais amener mon bateau côté Pacifique, par train ou voiture, je traverserais le Canada en vélo pour le retrouver de l’autre côté, c’est pour ça que je l’ai modifié. J’aimerais bien cette fois atteindre Australie, où je n’avais pas pu aller lors de mon premier tour du monde, à cause du Covid.
Justement, quelles modifications as-tu apportées à ton voilier ?
Au début je voulais construire un nouveau petit bateau, mais je n’en avais pas les moyens, alors j’ai décidé d’apporter quelques améliorations à Baluchon. Il a maintenant deux quilles latérales relevables, au lieu d’une quille centrale. C’est pour pouvoir m’échouer, et aussi le transporter plus facilement à terre. Je n’ai utilisé que des trucs de récup. Sauf pour la voile, neuve, qui m’a coûté 900 euros, c’était dans mon budget, et deux pots de peinture, rouge et blanche. J’ai aussi acheté un nouveau matelas.
Pendant ses longs mois de mer, comment vas-tu t’occuper ?
Cette fois encore, j’aurai ma liseuse. Elle contient 10 000 bouquins. Je ne les ai pas encore tous lus. Je lis beaucoup de récits d’aventure. Et puis je rêve, écoute de la musique. J’écrirai peut-être aussi, mais je ne pars pas dans l’idée de faire un livre ou un film. Mais pour me faire plaisir. On me parle d’un deuxième film… faire quelques images, pourquoi pas, mais je n’ai pas de GoPro ni rien et mon téléphone est cassé, il faut que je le fasse réparer.
Sur ton site, qui est quasi introuvable d’ailleurs, tu as fait un appel de fonds, cette fois
Oui, mais c’est symbolique. J’ai limité les dons à 5 euros maximum. De quoi acheter quelques boites de sardine, mon menu sur le bateau. On ne peut pas donner plus. Ca marche un peu. C’est juste pour faire participer les gens au voyage s’ils le veulent. Je n’ai pas besoin de de plus. Je n’ai pas de gros besoins. En mer, je vis avec 400 à 500 euros par mois, en comptant les frais de marina et d’internet, quand je dois acheter une carte SIM au port, ou aller dans un café pour avoir du réseau, car je n’ai aucun moyen de communication à bord.
Donc, j’ai tout ce qu’il me faut. Je dois juste peut-être acheter un nouveau couteau suisse, le mien est usé. Un petit investissement. Et aussi quelques petites bricoles, une batterie pour brancher les feux de navigation. Et surtout maintenant, commencer à me mettre en mode voyage. Rêvasser, prendre le temps. Evacuer toutes les pressions extérieures. Il parait que des gens ont du mal à le faire. Moi, j’y arrive très bien…
Photo d'en-tête : Yann Quenet- Thèmes :
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