608 km et plus de 11 500 m de D+ en 8 jours, 2 heures et 24 minutes par -40° certains jours… Guillaume Grima, 26 ans, est encore sous le choc de son aventure dans le grand Nord canadien. Car non content de faire partie des 3 trailers finishers de l’épreuve, il s’est payé le plaisir dans la nuit de dimanche à lundi de décrocher une 2e place sur le podium, à 4 heures seulement du vainqueur, Mathieu Blanchard. Quasi inespéré pour ce Français de 26 ans, ex chasseur alpin, qui, au départ, se serait déjà estimé heureux de boucler l’épreuve, voire, espérait-il, d’être dans le peloton de tête, nous confie-t-il depuis le Canada où il réside.
Sur les trois traileurs finishers de cette redoutable épreuve organisée du 2 au 12 février entre Teslin et Faro, dans le grand nord canadien, deux sont Français. Et si l’on ne présente plus le vainqueur, Mathieu Blanchard (7 jours, 22 heures et 14 minutes ), courant cette fois sous dossard canadien, le discret Guillaume Grima est nettement moins connu. Au tout début de la Yukon Arctic Ultra, que tous décrivent plus comme une aventure que comme une course, nous en dressions un portrait qui laissait entendre que, oui, on allait devoir compter avec cet ex chasseur alpin originaire de l’Ubaye. Car, outre sa passion pour la restauration – il est aujourd’hui serveur-barman – il vouait une énergie folle à la course à pied. Essentiellement sur les sentiers, sans écarter la route et le marathon. Le suivi de son avancée au fil des jours, sa remontée sur les dernières heures, ont confirmé qu’on avait affaire à un athlète aussi discret que talentueux. D’autant plus remarquable, que c’est seul, sans coach ni aucun sponsor, qu’il s’y est lancé !
« J’ai tellement, tellement à raconter sur cette course », disais-tu sur ton Instagram à l’arrivée du Yukon Arctic Ultra. Si tu ne devais retenir qu’un moment fort de cette épreuve…
« Là, encore à chaud, me reste en tête le moment le plus difficile : l’avant-dernière nuit, de samedi à dimanche dernier. J’ai dormi dehors, dans mon ensemble sac de couchage/matelas gonflable/sac bivy. La température était tombée à – 40 °C, – 42°C, avec des « bulles de froid », où tu sens la température tomber plus encore. Et ça même en ayant toutes mes affaires sur moi, dont ma doudoune d’expédition. On sent que le froid entre partout. En huit jours, j’ai pu dormir deux fois seulement sous abri.
Le froid fonctionne un peu par palier, tous les 5 degrés, ça rajoute de la pression sur le corps. Jusqu’à – 15°C, tu es bien. J’espérais que la course se déroulerait autour des – 20°C. Mais en dessous des – 30°C, quand on s’arrête, ça pique. Quand tu montes ton bivouac ou ton réchaud, il faut être très minutieux, ne pas laisser les doigts à l’air libre. En course, par froid extrême, il faut gérer les vêtements. Ouvrir ta veste quand tu montes une côte pour éviter de transpirer. Puis penser à bien la refermer sur la descente, t’assurer que tu as bien gants, moufles et capuches. Tu es tout le temps dans l’ajustement, quand tu pars, quand tu t’arrêtes. Il faut beaucoup jouer avec le matos et l’équipement, suivant que tu longes une rivière où la sensation d’humidité sera plus grande ou en forêt, où tu es plus protégé. Sur ma luge, j’avais installé un thermomètre, pour me situer. Car par -40°C, comme l’autre nuit, il faut être très attentif aux signaux de ton corps. J’ai eu la chance de ne souffrir d’aucune engelure. J’ai bien ressenti le froid parfois quand, pendant deux minutes, j’ai dû enlever mes moufles pour trouver quelque chose dans mon sac, mais je n’ai jamais atteint le point de non-retour.
Tu es arrivé 2e sur cette épreuve dont seulement 3% des participants sont finishers…
Oui, c’est fou ! Surtout quand tu vois le niveau des concurrents. Quand j’ai vu qu’il y avait Mathieu Blanchard, un athlète exceptionnel !… Et d’autres encore comme Matt Weighman qui a gagné la course il y a deux ans, ou Daniel Benhamou. J’espérais pouvoir évoluer dans le groupe de tête et puis à la fin tenter quelque chose. Mais 2e, oui, c’est fou !
Comment as-tu réussi à fondre sur Mathieu sur les dernières 24 heures ?
Sur l’avant-dernière nuit, où on a eu si froid, on s’est croisé avec Mathieu, au check-point de Ross river. J’en suis reparti 8 heures après lui, qui s’y était arrêté plusieurs heures. Il a avancé, mais moi je ne savais pas où il se trouvait. Sur la Yukon, on n’a pas de moyens de savoir où sont les autres. En fait, je ne savais pas qu’il était juste devant moi. Je suis arrivé à une cabine (cabane ndlr) il y avait encore de la chaleur. Quelqu’un avait allumé la cheminée. C’était lui ! J’ai fait une micro sieste de 30 minutes et je suis reparti !
En février 2023, tu as testé la Yukon dans son format 150 km. Tu as fini 2e en 28 h 12 et tu as connu toute une série d’hallucinations, suite à la privation de sommeil. Dans quelle mesure cette épreuve t’a aidé pour aborder le grand format, de plus de 600 km ?
Je suis installé au Canada depuis fin 2022. En 2023, en discutant avec des gens, j’ai découvert ces courses par froid extrême. Je ne savais pas que ça existait, courir avec une pulka. J’ai été surpris, et très intéressé. Curieux, je me suis renseigné, je me suis inscrit sur la 150 km. Pour voir, auparavant je n’avais fait qu’un 100 miles. Mais là, il y avait la gestion du froid, et du sommeil, sans parler de tirer la pulka. Mais ça m’a beaucoup plu. Alors l’hiver dernier, je l’ai passé dans le Yukon, chez des amis, tout près de là où se déroule la course pour préparer le grand format. J’y ai appris énormément encore. Car je n’avais jamais fait plus de 200 km. J’ai dû apprendre la gestion du froid extrême et du sommeil. Le sommeil, je ne me suis pas trop renseigné là-dessus, mais j’ai écouté le podcast de Thierry Corbarieu, et gardé en tête en référence de Kilian, et son parcours dans les Alpes où il a dormi je crois une moyenne de 5 h 17 par nuit. Moi j’ai dormi entre deux heures et six heures par nuit, plus quelques micro siestes.
Il semble qu’il y ait eu un début de polémique au sujet du nouveau parcours de la YuKon Arctic, cette année, à commencer par sa longueur finale, estimée initialement à 640-645 km puis à 608 km. Qu’en est-il exactement ?
En fait, le parcours a été un petit peu raccourci sur le tronçon d’aller-retour (rajouté pour assurer la distance requise pour le format 600 km, ndlr). L’organisateur a fait le repérage à moto neige un peu tard cette année et, à cause de la neige fraiche, il n’a pas pu aller jusqu’au bout choisi initialement. Mais moi, au final, sur ma montre, j’ai 626 km et 11 600 m de dénivelé positif. C’est un parcours inédit, tous ceux qui connaissaient l’ancien ont dit que celui-ci était beaucoup plus dur, à cause du dénivelé. Plus de 11 500 m affichés, contre 7000 m l’année dernière. Les montées étaient nettement plus raides. On avait très peu de plats. Beaucoup d’endurance, mais aussi de force était nécessaires, notamment à cause des pulkas [plus de 30 kg, ndlr]. L’organisation allait un peu à l’inconnu. Elle s’aligne sur la Yukon Quest [course de chiens à traîneaux ndlr], qui a changé de parcours cette année, et je crois que les organisateurs n’étaient pas vraiment préparés à ce changement. Ils n’ont pas vraiment vu le parcours, ni intégré les conditions d’enneigement. Sur certaines parties, on a dû avancer à raquettes.
Est-il vrai, comme le disent beaucoup de fans qui t’ont soutenu dans cette épreuve, que tu n’as ni sponsor, ni coach, et que tu fais tout sur tes propres deniers ?
Oui, j’ai bien fait un tour des marques à l’UTMB, certaines semblaient intéressées, mais n’ont pas donné suite. Alors je n’ai pas de partenaire. Depuis la Yukon, j’ai eu quelques contacts, ce serait top si je pouvais être aidé. Il faut voir comment les choses évoluent. Etre pro m’intéresserait, c’est sûr, mais à mi-temps au début, en parallèle de mon métier dans la restauration, c’est une sécurité.
Cette course, c’est un investissement : 8000 euros pour le matos, déjà. Ne serait-ce que pour couvrir l’achat d’un duvet – 45°C, et la combi d’expédition. Et les chaussures aussi. Sur la course seule, trois paires ont été nécessaires. Des Saucony Peregrine 12 Ice + 3. Les mêmes que j’avais adoptées il y a 2 ans sur le format 150 km. Elles m’avaient beaucoup plu. Je cours en Saucony depuis dix ans, sur route, comme en trail. Et puis, il y a la nourriture, les barres, les lyophilisés. Et enfin le dossard : 4200 dollars (2600 euros), pris sous les couleurs françaises. J’aime bien représenter la France.
Depuis que j’ai quitté l’armée, je travaille comme serveur barman, mais pour cette course, j’avais décidé de m’y consacrer à 100%. J’ai donc logé chez des amis, j’avais tout mon temps pour m’entraîner. Sans coach. Je n’ai eu aucun mal à le faire avec rigueur, car j’avais cet objectif. J’ai fait 98% des séances prévues. Soit entre 8 et 12 séances par semaine. Mon volume est monté crescendo. De 66 km par semaine au début à 160 km. En moyenne, j’ai fait 120 km hebdomadaires.
Sur ton site, tu décrivais ton approche de l’entraînement ainsi :
« Depuis 1 an et demi, je suis un entraînement régulier mêlant course à pied, renforcement musculaire et articulaire ainsi que le yoga et des séances d’étirements. Mon rythme d’entraînement se divise en deux parties la plupart du temps. Une première période de 3 semaines, intenses, durant laquelle je travaille différents aspects de la course à pied en fonction de mon prochain objectif. Cela peut être un focus sur le dénivelé, la vitesse, du terrain technique… Suite à ces 3 semaines, je laisse une semaine de repos afin de régénérer mon corps, mon esprit, favorisant également le phénomène de surcompensation ».
As-tu adopté la même approche cette année ?
Oui, j’aime bien ce rythme, il me permet de m’y mettre à fond. D’avoir une semaine choc. Puis une de récup. Avant d’entamer un nouveau cycle de trois semaines.
Comment gères-tu la récupération post-course, maintenant ?
Là, je suis en récup à durée indéterminée, j’ai un peu mal aux genoux, mais ça va. Je vais voir après comment mon corps réagit, et faire peut-être un peu de vélo.
On a beaucoup parlé de froid, de fatigue et de souffrance sur cette aventure. Et le plaisir dans tout ça ?
Je l’ai ressenti… au début. Le premier jour, quand c’était encore facile, qu’on était entre copains. On est peu de participants, j’ai retrouvé des gens que je connaissais déjà. Puis le plaisir vient de vivre une aventure exceptionnelle, donnée à peu de gens. On se retrouve face à soi-même dans un environnement hostile, au milieu de nulle part. Même si c’est encadré, car c’est une course, on est quand même tout seul. La solitude, ça c’était quelque chose à laquelle il faut être préparé. Il faut aimer la solitude. Je n’aime pas être tout le temps tout seul, mais c’est quelque chose qu’il faut apprendre à gérer. En 2023, sur le 150 km, j’en avais souffert, car je n’y étais pas préparé. Cette année, je m’y suis préparé mentalement et je savais que c’était temporaire. Il faut toujours se dire que c’est temporaire.
Sur ton site tu sembles très attaché à la performance, aux résultats
Je suis très compétiteur, c’est vrai, j’ai un bon esprit de compétition, mais je ne me considère pas comme un athlète élite, loin de là. Je dois encore beaucoup progresser. Si je fais un bon résultat, c’est super cool. Mais je ne suis pas dans la course au podium. Sur l’UTMB par exemple [qu’il a couru en 32 h 33, ndlr], j’espérais faire moins de 30 heures. J’étais un peu déçu, un peu énervé contre moi-même, mais ça arrive, et je sais qu’il y a d’autres objectifs. Je sais aussi que j’avais quelques erreurs. Sur la nutrition. Je n’avais rien préparé à l’avance, je ne me suis alimenté qu’aux ravitos et je n’ai pas réussi à manger suffisamment de nutriments. Résultat, j’étais vidé au 120e km. C’est un loupé, alors que j’étais bien préparé physiquement et mentalement. J’y retournerai en 2026. Pour m’y qualifier, j’ai donc à mon programme quelques beaux ultras (Istria 100K, Val d’Aran 100 M et Wildstrubel 100 M).
A ton programme aussi, mais pour 2027, du très long encore, et du très froid
Oui, l’Iditarod Trail Invitationnal 350 en 2026 où il y a 50 places. Indispensable pour participer à l’Iditarod Trail Invitationnal 1000 en 2027. Où il n’y a que trente places seulement. La sélection s’y fait sur dossier.
Sur ces courses très sélectives, où les concurrents sont peu nombreux, l’esprit semble unique
On est un petit groupe, au fil des courses, on se croise, et on se retrouve. Ça crée des liens. Avant même de rencontrer Mathieu Blanchard par exemple, je l’ai contacté pour lui proposer de se voir avant le départ, on a fait une heure de footing ensemble. Et à mon arrivée, il était là pour m’accueillir. D’ailleurs, là, on va sûrement aller aux sources chaudes. En récup !
Photo d'en-tête : Guillaume Grima- Thèmes :
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