Le terme est choc, et parlant : « l’effet McDo », où quand tous les centre villes du monde finissent par se ressembler, suite à la prolifération de l’enseigne jaune. Or l’arrivée en masse dans nos forêts d’un nombre limité d’espèces d’arbres, rentabilité oblige, conduirait, elle aussi, à des effets désastreux dont l’impact serait sensible pendant des décennies. Inéluctable ? Pas forcément, explique Bastien Castagneyrol, chercheur en écologie à Inrae.
Les forêts couvrent environ quatre milliards d’hectares sur la surface du globe. Elles jouent un rôle fondamental dans notre vie quotidienne : en fournissant du bois pour nous chauffer et construire nos maisons, en abritant une grande diversité de champignons, baies et gibiers qui garnissent nos assiettes ou, encore, en hébergeant des espèces de prédateurs qui régulent les populations de ravageurs, dans les forêts mêmes ou les champs voisins. Elles participent également à la captation et au stockage du carbone atmosphérique, équilibrent le cycle de l’eau et stabilisent les sols. Les forêts fournissent ainsi un nombre considérable de « services écosystémiques ».
Toujours plus de plantations, mais faut-il s’en rejouir ?
Les forêts de plantation représentent aujourd’hui près de 7 % de la surface forestière mondiale et leur part tend à s’accroître au fil des ans. C’est une bonne chose, dans le sens où cela réduit la pression sur les forêts naturelles. Pourtant, leur intérêt ne fait pas consensus. Deux de leurs caractéristiques font débat : elles ont recours à un nombre limité d’espèces (pins, épicéas, peupliers, eucalyptus, teck et hévéa) ; elles consistent généralement en de grandes étendues monospécifiques, où une seule essence est exploitée. En ce sens, la problématique des forêts de plantation n’est pas différente de celles des grandes cultures.
Le résultat ? Un risque d’homogénéisation des espaces forestiers et des services qu’ils rendent. Certains qualifient cette homogénéisation d’« effet McDonald’s », une expression employée à l’origine pour décrire nos villes de plus en plus dominées par un petit nombre d’enseignes franchisées et standardisées, réduisant ainsi les opportunités offertes aux consommateurs.
Plus de diversité, pour un meilleur stockage du carbone
L’énorme avantage que représentent les grandes plantations monospécifiques tient dans l’homogénéité du bois récolté, et dans les possibilités de mécanisation qui favorisent d’autant l’entretien des forêts et la récolte du bois. Pour autant, si ces grandes étendues remplissent efficacement leur fonction de production de bois, qu’en est-il des autres services écosystémiques ?
Les données scientifiques présentent à ce sujet des résultats plutôt mitigés. Depuis plusieurs années, un nombre croissant de travaux tend ainsi à montrer que la diversité des arbres est le support des fonctions et des services remplis par les forêts : elle favoriserait la productivité, permettrait une meilleure résistance vis-à-vis des ravageurs, assurerait un meilleur stockage du carbone et offrirait une plus grande diversité d’habitats pour la faune et la flore.
La question peut être abordée à deux échelles : celle de la parcelle et celle du paysage. Sachant qu’il pourrait être plus complexe ou coûteux de gérer des peuplements mélangés plutôt que des monocultures, une possibilité consisterait à ménager les deux aspects : on continue à gérer les espaces en monocultures, mais en en associant plusieurs.
200 forêts européennes à la loupe
Comment déterminer si la diversité des arbres permet d’optimiser plusieurs fonctions écosystémiques à la fois ? Comment s’assurer que l’optimisation d’une fonction ne se fait pas au détriment des autres ? Pour répondre à ces questions, un groupe de chercheurs européens a récemment étudié le fonctionnement de plus de 200 forêts européennes, en Espagne, en Italie, en Pologne, en Roumanie, en Allemagne et en Finlande.
Pour chacune, ils ont dénombré le nombre d’espèces d’arbres et quantifié le niveau de plusieurs services écosystémiques comme la production de bois, le stockage du carbone, la résistance à la sécheresse et aux ravageurs, ou encore la production d’habitats pour les oiseaux, les chauves-souris et les plantes du sous-bois.
À partir de ces données de terrain, ils ont quantifié la multifonctionnalité des forêts, c’est-à-dire leur capacité à remplir simultanément plusieurs fonctions essentielles. La multifonctionnalité est considérée comme élevée si un maximum de fonctions individuelles marchent à plein régime. Elle est au contraire faible si seulement certaines fonctions sont remplies, au détriment des autres.
Ni espèce, ni mélange miracle
Le premier constat qu’ont fait les chercheurs est qu’il n’existe pas d’espèce miracle qui serait efficace pour remplir toutes les fonctions que l’on attend des forêts. Prenons un exemple : si le sapin est une essence très productive, sa présence dans les forêts réduit la diversité des plantes du sous-bois. Au contraire, la présence de sycomore est bénéfique pour la diversité des chauves-souris, mais sa qualité de bois est médiocre.
De la même manière, il n’existe pas de mélange miracle qui permettrait d’optimiser à la fois toutes les fonctions. À cause des spécificités des différentes espèces d’arbres, les mélanges d’espèces ne permettaient pas de faire fonctionner toutes les fonctions à plein régime.
Pire, dans certains cas, la diversité des arbres est apparue comme étant un handicap. À l’opposé, lorsque les objectifs étaient plus modestes en termes de multifonctionnalité, la diversité des arbres constituait un atout : un plus grand nombre de fonctions pouvaient être remplies à un rythme de croisière dans les forêts mélangées.
Diversifier les parcelles forestières
Le constat est clair : il n’existe ni espèce, ni mélange miracle. Mais qu’en est-il si l’on change d’échelle ? Pour tester l’intérêt que représenteraient les mélanges d’espèces à l’échelle du paysage, les chercheurs ont simulé par informatique des paysages forestiers en piochant au hasard parmi les parcelles observées. Il est apparu que la diversité des parcelles forestières à l’échelle du paysage permettait de compenser les possibles effets délétères de la diversité des arbres à l’intérieur des parcelles en augmentant la multifonctionnalité des forêts.
Ainsi, l’homogénéisation des forêts, que ce soit à l’échelle de la parcelle ou du paysage, conduit à la diminution de leur capacité à fournir des fonctions et des services multiples. Ce qui n’est pas forcément un mal en soi, puisque des forêts monospécifiques peuvent s’avérer très efficaces pour des fonctions dédiées, comme la production de bois par exemple. Tout dépend donc des objectifs poursuivis. Il faudra juste garder à l’esprit que les décisions prises aujourd’hui nous engagent pour des décennies…
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.
Photo d'en-tête : Joshua Woroniecki- Thèmes :
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