Non, les chasseurs n’ont aucune raison d’avoir le monopole de la forêt en France dès l’automne venu. Comment une communauté représentant moins de 2% de la population française peut-elle peser plus face aux adeptes de la randonnée, soit à minima 15% des Français, sans parler des innombrables promeneurs, cueilleurs de champions et amateurs de photographie pris en otages par une activité dangereuse et meurtrière ? Certes ici et là, des initiatives locales tentent de concilier les intérêts de tous, mais elles restent isolées, et surtout non soutenues par l’Etat, apparemment plus sensibles aux votes des chasseurs.
Peut-être avez-vous été surpris, ce week-end, en croisant, au détour d’un chemin, un chasseur, muni de son gilet et de son arme à feu. Peut-être avez-vous seulement entendu, au loin, des coups de fusil résonner dans la campagne. Guère rassurant. Surtout que vous étiez partis sereins, certains que l’ouverture de la chasse n’était prévue que pour le 18 septembre, comme vous l’aviez vu passer sur le web. Nous aussi…
Or, après quelques recherches, il s’avère que les dates d’ouverture de la chasse diffèrent en fonction des départements, du type de gibier et d’éventuelles dérogations. « Un contexte local particulier peut autoriser la chasse par anticipation ou sur une période plus étendue » précise le site de la Fédération des chasseurs. Un vrai casse-tête ! D’autant plus que les périodes varient également en fonction du type de chasse – à tir, au vol ou à courre… Un conseil, armez-vous de patience afin de trouver l’information et surtout la bonne date qui vous fera passer entre les mailles des chasseurs.
Dès lors difficile, à cette période, de ne pas croiser des chausseurs en forêt. A vos risques et périls. Sur huit accidents mortels (sur un total de 96) recensés sur la saison 2020-2021, deux concernaient des non chasseurs, dont Mélodie Cauffet, une randonneuse de 25 ans. Soit près de 9% des accidents, selon le rapport sur les accidents de chasse de l’Office français de la biodiversité qui conclue que le bilan est plus lourd cette année que l’année précédente.
Et s’il était grand temps de faire entendre notre voix, celle des millions de randonneurs, trailers, vététistes et autres amoureux de la nature que compte l’Hexagone ?
Un budget de 11,46 millions d’euros, alloué par l’Etat
Chaque année, c’est la même chose. Accidents, parfois mortels, tensions entre les divers usagers… Et vaines tentatives pour trouver des solutions, freinées par le lourd lobby politique de la chasse, financé au demeurant par l’Etat. Dopé par la réforme de la chasse adoptée pendant le premier quinquennat d’Emmanuel Macron, le budget alloué à la Fédération nationale des chasseurs a ainsi explosé. Passant de 27 000 euros, en 2017, à… 11,46 millions d’euros en 2021.
Impossible de mieux cadrer cette pratique – profondément ancrée dans notre culture, argumentent ses défenseurs – et notamment de la limiter dans le temps ? Voire ! La France qui, dès l’ouverture de la saison, autorise dans certaines régions la chasse sept jours par semaine est en retard sur bien de nos voisins européens qui eux aussi ont pourtant une longue tradition de chasse. Tous ont quasiment tous mis en place un jour où les chasseurs rangent leurs armes. Certains sont mêmes allés plus loin, comme en Suisse, dans le canton de Neuchâtel où il est interdit de chasser pendant trois jours par semaine ou encore dans le canton de Genève où cette activité de loisir est interdite depuis 1974. Autre exemple : au Portugal, où l’on ne peut chasser que le jeudi et le dimanche, tandis qu’en Espagne aussi, on peut se promener sans crainte dans la nature, trois jours de chasse par semaine « seulement » étant autorisés. Soulignons par ailleurs que la Grande-Bretagne, elle aussi une grande nation de chasseurs, férus de traditions, a interdit la chasse le dimanche depuis 1831. Réglementation dont la France ferait bien de s’inspirer : chez nous 60% des accidents ont lieu le dimanche. N’aurions-nous pas deux siècles de retard ?
Au niveau local : quelques faibles expériences
Faute de soutien de l’Etat, certaines communes se mobilisent et planchent sur des solutions, qui restent malheureusement locales et souvent encore expérimentales. Dans quelques départements, un « jour sans » est fixé (il s’agit souvent d’une mesure de protection du gibier). Mais « en fonction des sociétés de chasse, ce n’est pas le même jour où la chasse est arrêtée », regrettait Dominique Py, membre de France Nature Environnement, sur France Info. De quoi ajouter un peu de flou à des règlementations déjà pas très claires qui multiplient les risques pour les randonneurs et autres vététistes. Et si dans certaines forêts communales et privées, des accords ont pu être trouvés, comme à Lavoncourt, commune de 340 habitants en Haute-Saône, où la chasse est notamment interdite le dimanche, aucune initiative nationale ne voit encore le jour. Au moment où nous écrivons cet article, moins de 10 fédérations de chasse en France (sur 94) ont un jour de non-chasse. Relation de cause à effet ou pur hasard…l’Hexagone détient le record européen du plus grand nombre d’accidents.
Pourquoi nos élus ne s’inspirent-ils pas de la commune d’Avallon, dans l’Yonne, où les jours de chasse sont clairement limités et affichés sur les panneaux municipaux dans un souci de partage équitable de l’espace naturel ? Une ville où l’on prône également une technique de tir plus efficace : « chaque chasseur est posté sur un petit mirador. Il tire à 360 degrés vers le sol et à 40 mètres maximum, chevreuils et sangliers dérangés par des rabatteurs et leurs chiens ». Au final : moins de balles utilisées et des tirs plus précis.
Autre option, « défensive », celle-là et nettement plus discutable, celle choisie par Bussy-la Pesle, dans la Nièvre où… on impose aux amateurs de nature d’endosser un gilet jaune, qu’ils soient sportifs, simples ramasseurs de champignons ou encore bûcherons ! Une décision adoptée à l’unanimité par le conseil municipal. En cas de non-respects de cette règle, l’amende est salée (135 €). Ici, c’est donc le simple amateur de trail ou de VTT qui est en tort ! Un comble alors qu’il risque sa vie. « Un gilet fluo n’est pas un gilet pare-balles ! » souligne d’ailleurs le collectif « Un jour un chasseur », créé à la suite de la mort de Morgan Keane, tombé sous la balle d’un chasseur en décembre 2020.
Ailleurs, on met en place des cartes interactives précisant les lieux de chasse, dans les Ardennes mais aussi à Reims, ou encore des applications visant à faciliter la cohabitation entre férus de chasse et d’activités d’outdoor. L’idée ? Informer les usagers en temps réel sur le lieu et l’heure d’une éventuelle battue, comme sur Illiwap. Des outils encore rares, et malheureusement non-exhaustifs, une partie des sociétés de chasse refusant de divulguer ces informations. Résultat : ce sont surtout les chasseurs qui font entendre leur voix auprès de l’Elysée. A défaut d’entendre, haut et fort, celle d’autres fédérations plus puissantes au vu du nombre de leurs adhérents et dont le poids pourrait tout changer, notamment la FFR, pour ne citer qu’elle.