Nouveau rebondissement dans l’affaire de la « privatisation » de la Chartreuse par les chasseurs. Alors que la pétition lancée pour restaurer les droits des randonneurs, grimpeurs et skieurs compte déjà 27673 signatures, voici que le SIM-CFDT, syndicat défendant notamment les intérêts de nombreux guides de haute montagne et moniteurs d’escalade – s’apprête à déposer plainte pour deux motifs : « exercice illégal, au sein du Parc Naturel de Chartreuse, d’une activité réglementée », et « mise en danger de la vie d’autrui et pour complicité ». Des infractions relevant du pénal.
C’est par un communiqué de presse envoyé vendredi 22 septembre 2023 que le SIM-CFDT, syndicat défendant les intérêts et professions de quelque 1300 adhérents éducateurs sportifs – dont de nombreux guides de haute montagne et moniteurs d’escalade –a annoncé qu’il déposait plainte au pénal auprès du procureur de la République de Grenoble contre les organisateurs, encadrants et partenaires commerciaux à l’origine des chasses commerciales organisées sur la réserve naturelle des hauts de Chartreuse.
Comme nous l’expliquions en détails dans notre article du 14 septembre, 750 hectares des 4 450 de la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse, gérés par le parc naturel régional de Chartreuse, risquent de devenir inaccessibles aux randonneurs, menacés d’expulsion musclée et d’amendes sévères, ce qui impacte également l’accès à des sites d’escalade. Pourquoi ? Le propriétaire de la zone incriminée, le marquis Bruno de Quinsonas-Oudinot, arguant de la « sur-fréquentation » générée notamment par la présence sur ce site de l’extraordinaire Tour percée, entend bien écarter les randonneurs de cette zone où il exploite via un tiers une chasse privée fort rentable, le domaine de la Diane de Marcieu. Dès lors il n’aura de cesse de décourager ceux qui oseraient s’y introduire. Par la force si besoin, comme en témoignent depuis 2006 des randonneurs et des skieurs.
Car le conflit ne date pas d’hier. Mais le propriétaire compte bien profiter de la toute récente évolution de la loi qui renforcerait ses droits. Depuis le 2 février 2023 est entrée en vigueur une nouvelle loi n° 2023-54 qui vise à limiter « l’engrillagement » des espaces naturels et à restaurer les continuités écologiques. A priori une bonne initiative qui a un effet pervers. Désormais les propriétaires peuvent se passer de couteuses clôtures pour interdire l’accès à leurs domaines et se contenter d’apposer des panneaux « Propriété privée, interdiction d’entrer ». Le marquis a sauté sur l’aubaine et s’est empressé d’installer ses panneaux sur le site et surtout de faire en sorte que l’interdiction soit respectée. Désormais, les randonneurs ou grimpeurs qui s’aviseraient d’entrer dans la zone risquent donc une amende de 750 €.
Il faut dire que ces fâcheux amoureux de la nature dérangent les chasseurs, ceux qui payent jusqu’à 10 000 euros pour chasser le très prisé « chamois de Chevreuse » ou le mouflon au cours de chasses très privées dont on peut voir tous les détails dans une longue vidéo publiée en février dernier par l’un des clients de la société exploitant les terres louées au marquis. C’est justement cette vidéo, couvrant quatre jours de chasse en février 2021, qui a attiré l’attention de Yannick Vallençant, président du SIM-CFDT. Elle met en scène l’exploitant de la société de chasse et deux de ses clients, des Espagnols pratiquant visiblement la chasse de longue date mais totalement novices en matière de montagne. L’un d’eux skiant même pour la première fois de sa vie. Et c’est là que le bât blesse car on y voit les chasseurs (à l’arc), lourdement chargés, arpenter la montagne enneigée skis ou crampons aux pieds et se lancer dans des rappels pour récupérer leur gibiers. Des « conditions d’organisation et d’encadrement de chasses commerciales dans la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse » que seuls certains professionnels peuvent encadrer, à savoir des guides de haute-montagne, explique le SIM. Or ce n’est absolument pas le cas.
À l’appui de sa plainte, le SIM-CFDT invoque en particulier les motifs suivants :
- Infraction à l’article L212-1 du code du Sport (qui oblige à la détention d’un diplôme de guide de haute montagne pour encadrer contre rémunération et sécuriser les déplacements sur les terrains particulièrement escarpés et dangereux rencontrés au cours de ces chasses commerciales en Chartreuse).
- Infraction à l’article L223-1 du code pénal, relatif à la mise en danger de la vie d’autrui.
- Infraction à l’article 16 du règlement de la réserve naturelle des Hauts de Chartreuse, qui interdit les activités commerciales (hormis quelques exceptions) sur le territoire concerné.
Contacté par Outside, Yannick Vallençant, président du SIM, s’explique :
Cette situation ne date pas d’hier, pourquoi réagir seulement maintenant ?
En montagne, la cohabitation avec les chasseurs n’est pas toujours harmonieuse, comme en témoignent nos adhérents, notamment les aspirants guides, mais pas seulement eux. Ca peut se passer très mal, et j’ai pu moi-même en faire l’expérience en falaise. Mais en Chartreuse la situation s’est aggravée récemment. D’où ma vigilance, mon rôle étant de défendre les prérogatives et le travail des guides de haute montagne. Or quand je regarde les infractions ( cf la vidéo incriminée, ndlr). Cela relève du pénal.
Etes-vous en contact avec le société de chasse ?
Non, pas plus qu’avec le propriétaire de la zone qui la lui loue. Je ne suis en contact qu’avec la Direction du parc régional de la Chartreuse dont dépend la réserve et qui invoque le respect de la propriété privée. Et je ne souscris pas à ses arguments, Car ce n’est pas parce que vous êtes propriétaire d’une zone que vous pouvez y faire n’importe quoi. Soit il s’agit d’une méconnaissance totale du droit, soit il s’agit de la mauvaise foi.
J’ajoute qu’il s’agit d’une chasse très exclusive qui ne concerne qu’une minorité fortunée, et pas des chasseurs du dimanche. Beaucoup de monde y voient comme un air d’Ancien Régime. C’est assez révoltant.
Que pensez-vous de la modification de balisage des terres privées remplaçant les clôtures par de simples panneaux ?
Je n’étais pas au courant jusque-là. Je ne sais pas si elle est à l’initiative des chasseurs on non, mais si j’ai bien compris, elle part plutôt d’une bonne intention, faciliter la circulation des animaux, mais elle est mal ficelée et facilite de fait la vie du propriétaire tout en affectant les usagers de la nature. Les chasseurs, via Le Chasseur Français notamment, s’en sont emparés et poussent au feu en encourageant d’autres propriétaires à exercer leurs droits de manière la plus stricte. Alors qu’au contraire, il faut redevenir raisonnable et viser à une bonne cohabitation. Il existe d’autres façons de faire, comme on le voit dans les pays scandinaves où le droit à la propriété est différent. On ferait bien d’y voir de plus près et de s’en inspirer.
Qui est en cause aujourd’hui ?
Mes motifs d’accusation actuels ne concernent pas la Fédération de chasse mais la société exploitant ce domaine de chasse. Au cœur de ma plainte se trouvent deux personnes qui encadrent des activités commerciales sans en avoir le diplôme requis, à savoir celui d’éducateur sportif. L’un n’est que moniteur de ski, quant à l’autre il ne semble pas non plus avoir le diplôme requis. J’attire aujourd’hui l’attention du procureur sur ce point, et on va voir si le Parquet traite l’affaire, si cela traine en longueur ou reste sans suite, il sera toujours temps de me porter partie civile. Mais ce n’est pas à mon seul syndicat de tout faire.
Qui vous suit sur cette affaire dans le milieu de la montagne ?
C’est tout frais, vous savez. J’ai déjà reçu beaucoup de messages non officiels de membres ou de présidents de clubs qui sont vent debout. D’autres syndicats pourraient suivre. Mais il faut voir. Du côté du parc, on parle de discussions sans qu’aucune réunion formelle ne soit encore fixée, à ma connaissance. Mais comme tout le monde, je pense que les délits que nous venons de relever n’avaient pas été identifiés par le parc. Or ça pourrait changer la donne.
Qu’encourent les personnes incriminées ?
Jusqu’à un an de prison et 15 000 euros d’amende pour chacune des deux premières infractions.
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Photo d'en-tête : Steynard