L’austère face Est du Jannu (7468 m) a vu se succéder deux cordées cette semaine. Tout d’abord celle de Benjamin Védrines, Léo Billon et Nicolas Jean, partis dimanche 6 octobre sur les pentes de ce sommet himalayen. Ces derniers, contraints de faire demi-tour pour des raisons de santé d’un des membres de l’équipe au cours de leur deuxième jour d’ascension, ont croisé lors de leur descente l’Américain Sam Hennessey, seul. Son partenaire de grimpe, Mike Gardner, 32 ans, venait de faire une chute mortelle.
Cela faisait plusieurs années que Mike Gardner et Sam Hennessey avaient les yeux rivés sur le Jannu Est. Ils avaient tenté de gravir ce sommet vierge une première fois en 2019, avec Robert Craig, puis y étaient revenus en 2023, où ils avaient été repoussés par le vent à plus de 7000 mètres d’altitude. Cet automne, ils étaient de retour pour une nouvelle tentative, empruntant une voie différente de celle choisie par le trio français. Compte-tenu des prévisions météo, les cinq alpinistes ont profité du même créneau – le dernier de la saison avant l’arrivée du jet stream, phénomène caractérisé par des vents extrêmement puissants soufflant en haute altitude – pour s’élancer sur la face.
Benjamin Védrines, Léo Billon et Nicolas Jean sont partis le dimanche 6 octobre pour tenter l’ascension du sommet par sa face nord. Suite à une première journée très exigeante ou à un manque d’acclimatation (raccourcie en raison de l’arrivée du jet stream), Léo Billon aurait subi un gros coup de fatigue. Et comme il n’était évidemment pas question de mettre en danger sa santé ni de continuer avec un des piliers de l’équipe qui ne pouvait plus suivre techniquement, la cordée avait choisit de faire demi-tour. Un choix frustrant, certes, mais judicieux.
« J’ai tout de suite réalisé qu’il y avait eu un accident mortel »
Une frustration rapidement balayée par une rencontre inattendue, quelques centaines de mètres plus bas : celle avec Sam Hennessey, « un des Américains avec qui on partage le camp de base », raconte Benjamin dans un long message vocal envoyé depuis le Népal. « En zieutant, je n’arrivais pas à voir son collègue, Mike [Gardner, guide de haute montagne et ancien skieur professionnel, ndlr]. Je descendais. Sam m’a refait signe, j’ai enlevé ma capuche parce qu’il y avait beaucoup de spindrifts à ce moment-là. Je l’ai écouté parler, je sentais qu’il avait besoin de me dire quelque chose. C’est là que j’ai appris la nouvelle : Mike venait de tomber ».
« C’est très dur à entendre, parce que j’ai tout de suite réalisé qu’il y avait eu un accident mortel », poursuit l’alpiniste. « Mike est au pied de la face, mort. On a même l’impression de voir une tache tout en bas. La situation est donc très particulière, mais en même temps incroyable, puisque le destin a fait que nous nous sommes croisés. C’est fou, on est en Himalaya, dans une face nord extrêmement austère, où seuls Mike et Sam avaient tenté quelque chose auparavant. On se retrouve à communiquer avec un Sam en détresse, et nous qui sommes en train de descendre, pile au moment où nous atteignons le point de convergence de nos deux itinéraires. C’est assez dingue ».
Le corps de Mike Gardner encore introuvable
Benjamin Védrines, Léo Billon et Nicolas Jean décident donc d’attendre Sam Hennessey à l’endroit où se croisent leurs itinéraires. « On lui a dit qu’on allait faire les rappels ensemble » relate l’alpiniste. « Heureusement, on l’attend assez peu de temps. […] On l’accueille chaleureusement. C’est un moment qui est dur parce qu’il nous raconte comment ça s’est passé. Donc pas simple à entendre. Ça nous fait relativiser aussi sur notre situation, évidemment. On opère tous les rappels ensemble, je gère la descente des 700 derniers mètres. […] Psychologiquement, notre soutien n’est pas des moindres. Et puis nous, ça nous permet d’avoir un peu plus de matériel au cas-où, de compléter les relais qui manquent. On arrive au bas de la face vers 17h, avant que le jour ne décline ».
Arrivés au pied des pentes du Jannu, ils explorent les crevasses à la recherche du corps de leur camarade. « Mais malheureusement, sans succès » poursuit Benjamin. « On trouve des affaires, des doudounes, mais rien d’autre ». S’en suit un long retour vers le camp de base où les attend le reste de l’équipe. « On a ensuite essayé de se remettre de nos émotions parce que c’est bien de cela dont il s’agit, des émotions vraiment très fortes, qu’on ne peut pas vivre autrement » achève l’alpiniste.
Photo d'en-tête : Thibaut MAROT