Le grimpeur ukrainien Eugene Vahin, 33 ans, avait tenté de se faire un nom sur les réseaux en allant toujours plus loin dans le risque, sans maitriser toutes les techniques de l’escalade sur glace. Une course au buzz qui lui avait parfois valu des critiques dans le milieu et qui vient malheureusement de lui coûter la vie. Un triste fait divers, révélateur des maux de notre société.
Sur Instagram, Eugene Vahin était connu sous le nom de @take_a_course. En clair : « prends donc un cours ! », une allusion un peu ironique aux commentaires que ses vidéos dangereusement engagées récoltaient. Mais depuis le 23 janvier, son compte est muet. Le grimpeur ukrainien, récemment émigré au Canada, ne poste plus rien. Il est décédé lors d’une chute sur le site de The Junkyards, dans la province de l’Aberta au Canada.
C’est sur ce spot niché au cœur de la vallée de Bow, qu’il avait découvert l’escalade sur glace il y a un peu plus de deux mois seulement. Un site qu’il connaissait bien pourtant, explique Katsiaryna Shurko, son épouse, interviewée par le magazine « Climbing ». C’était « son spot », grimpé plus de vingt fois, situé à dix minutes à peine de chez eux. Un terrain connu donc, trop peut-être, ce qui lui a peut-être été fatal, suppose Katsiaryna Shurko.
Sans contact de lui, le 23 janvier, c’est elle qui s’est rendue, de nuit, au pied de la cascade où, équipée d’une lampe, elle a fait des recherches pour le retrouver. Au risque de s’y blesser, elle aussi. « Il y avait beaucoup de glace et la pente était très raide », dit-elle. « Mes crampons ont glissé et j’ai glissé sur environ 15 mètres, j’ai réussi à m’accrocher à un arbre et je me suis enfin arrêtée. » Elle se résoudra alors à faire appel à la Gendarmerie royale du Canada et aux secours en montagne de Kananaskis qui, tard dans la nuit, trouveront enfin le corps d’Eugene Vahin. Comment s’est produit l’accident ? Difficile de le comprendre, selon les sauveteurs, d’autant que sa chute n’a pas été filmée par la caméra GoPro qui ne quittait pratiquement jamais le grimpeur. Une seule certitude, l’Ukrainien n’était pas encordé alors qu’il venait probablement de terminer de filmer une vidéo près du sommet.
Le risque, la controverse ? Ça fait du clic
Sur les réseaux sociaux, Eugene Vahin était connu pour son approche plus que légère en matière de sécurité. Sur ses vidéos, on le voyait grimper souvent seul, placer des sécurités au mépris des règles les plus élémentaires et multiplier les mauvaises décisions, faisant preuve de sérieuses lacunes techniques, selon le magazine Climbing.
Au point que plus d’un grimpeur averti lui avait recommandé de se former sérieusement une bonne fois pour toutes. D’où le pseudo qu’il s’était choisi, en riposte à ses commentaires. A l’un d’entre eux, qui lui demandait s’il avait au moins lu les blogs de Will Gadd, la référence canadienne en matière d’escalade sur glace, Piton d’or 2015, il avait répondu :« Non, mais si je survis, j’écrirai mon propre livre sur la façon de mener [WI6] sans guide 🤣🤘 ».
Fragilisé par la perte de son emploi, il avait été licencié de son poste d’agent d’entretien dans un hôtel, il traversait malheureusement une mauvaise passe. Au moment de sa mort, Eugene Vahin tentait de gagner sa vie en créant du contenu en ligne. À en juger par son Instagram et les posts qu’il choisissait d’« épingler » en haut de son profil, il semble qu’il se soit senti obligé de publier des contenus apparemment risqués ou controversés pour augmenter son engagement, une technique bien connue des influenceurs. Ce que d’une certaine façon a confirmé son épouse. « Les vidéos Instagram d’Eugene et sa vraie vie, c’était deux vies différentes », raconte-t-elle. « En règle générale, pour augmenter le nombre de vues et la portée de vos posts, vous devez faire quelque chose qui attire fortement l’attention du public et provoque des discussions animées … Les gens aiment discuter des échecs et adorent vous donner des conseils et des leçons, ce qui augmente les vues. Eugene aimait ses détracteurs… Et quoi qu’on dise, lui comme moi avons toujours apprécié les commentaires des pros qui ne se contentaient pas d’écrire qu’il grimpait mal, mais qui proposaient leur aide ».
« Je savais que mon mari faisait des choses très dangereuses et tôt ou tard, je savais que le pire pourrait arriver. Mais pas ce jour-là, et pas sur ce site qu’il connaissait si bien », poursuit-elle. « Mais c’était une période difficile pour notre famille, et l’incertitude totale concernant son travail et notre logement a vraiment exercé une pression sur son psychisme. Je pense que cela a joué un rôle important dans cette tragédie » conclut-elle.
Eugene Vahin travaillait comme bénévole au sein d’une ONG environnementale et sociale, Canmore Food Recovery Barn, qui l’a qualifié d’« étincelle » et de « belle âme », dans un message lui rendant hommage. « Eugene aimait la vie », a-t-elle déclaré au magazine Climbing. « Il aimait le risque, il aimait les sports extrêmes. Nous faisions souvent des randonnées en montagne. Parfois, nous devions marcher le long d’une pente sujette aux avalanches, et il me disait toujours : ‘Katsia, j’ai tellement peur que tu sois ensevelie sous la neige et que, moi, je reste en vie. Comment pourrais-je vivre alors ?’ Moi, je plaisantais toujours et lui répondais : ‘Cela n’arrivera pas, n’aie pas peur’. Aujourd’hui, je me pose cette question tous les jours : ‘comment puis-je vivre maintenant ?’ ».
Un ami de sa veuve, Katsiaryna Shurko, a créé un site GoFundMe pour lui venir en aide et l’aider à régler ses obsèques, pour y participer, c’est ici.
Article mis à jour le 18 février 2025.
Photo d'en-tête : Ekaterina Shurko