Le 30 août 2022, la Française Marie Leautey réussissait son tour du monde en courant, soit 28 249 km en 697 jours, l’équivalent de 6 marathons pas semaine. Une performance qu’elle doit à son approche très particulière de la longue distance. Car c’est sans coach ni méthode préétablie que la jeune femme a préparé pendant deux ans son aventure, comme elle l’explique en détails dans « Le monde sous mes pieds », un récit passionnant, tout juste paru chez Calman Levy.
Tout quitter pour la route et une paire de baskets, c’est le pari que fait en décembre 2019 Marie Leautey. La Française occupe alors un poste confortable de consultante financière à Singapour. Elle a 40 ans, une longue expérience d’expat qui l’a conduite aux quatre coins du globe, mais l’ennui la guette. Elle met sa carrière entre parenthèses, et entreprend un tour du monde. Rien de plus banal, n’était son moyen de transport : la course pied. Poussant sans relâche sa poussette “BOB” , indispensable pour transporter son matériel de camping, son équipement électronique, sa nourriture, son eau et ses tenues de course, elle parcourt un marathon par jour, en poussant 30 kg, le tout six jours sur sept – le jour de repos étant dédié à la visite des villes traversées. Plus qu’un défi, c’est pour elle « l’apogée de sa vie de nomade », écrit-elle dans son récit publié le 20 septembre chez Calman Levy. Compliquée par la pandémie, son aventure lui prendra plus de deux ans et demi, dont 697 jours de course.
À ce jour, seules sept personnes ont accompli un tour du monde en courant entièrement documenté et validé par la World Runners Association. Pourtant, Marie ne court pas après une quelconque performance. « Mes désirs, mes rêves et mes décisions ne sont ni dictés, ni limités par mon sexe. J’aimerais que cela soit vrai pour toutes les femmes, dans tous les coins du monde » peut-on lire sur son blog. Inspirée par sa grand-mère, féministe de la première heure qui a consacré la majeure partie de sa vie à ce mouvement, la jeune femme est devenue pour ce projet l’ambassadrice de Women for Women International. Une ONG qui aide « les femmes ayant survécu à la guerre et aux conflits à transmettre leurs connaissances à ceux qui les entourent, créant ainsi un monde plus juste ».
Reste qu’au départ, la jeune femme n’est pas une athlète. Elle n’a ni sponsor ni coach, seules quelques économies pour financer un projet gigantesque qu’aucun expert en course à pied ne recommanderait. Alors parce qu’elle ne peut pas se permettre de le mettre en péril en se blessant, elle a mis au point une méthode très personnelle à laquelle elle consacre un chapitre de son livre et qu’on pourrait résumer en sept points.
1. Ne pas chercher la performance à tous prix.
« Je garde à l’esprit qu’il s’agit d’enchaîner quotidiennement les longues distances, sur plusieurs années. » écrit-elle. Stratégie payante : En plus de deux ans, elle n’aura blessure, ni maladie, à l’exception d’une douleur au poignet, contractée en poussant sa poussette, problème qu’elle rectifiera vite en modifiant le guidon. Et ce, sans sacrifier pour autant la distance, au contraire. Si sa moyenne se situe au-dessus de quarante kilomètres par jour de course, six jours par semaine, il lui arrive maintenant de pousser le curseur au-delà de cinquante kilomètres. En août 2021, elle court sa plus longue étape : soixante-quatre kilomètres, dans le Montana.
2. Miser sur le mental
« Expression galvaudée », concède la runneuse mais pour elle, ça marche : « Quand je me prépare chaque matin, je repasse l’itinéraire précisément sur Google Maps. J’étudie le dénivelé. Je me projette sur ces routes et ces sentiers. J’imagine où je pourrais prendre mes pauses, les endroits qui s’y prêtent. Je pense à la nouvelle destination qui m’attend, aux surprises que mon cheminement me réserve. Je découpe mentalement la distance en segments abordables.
3. Faire confiance à son corps et devenir son propre expert
« Je l’ai entraîné (son corps, ndlr) très spécifiquement pour cette aventure. Je le surveille de près aussi, l’animal » (…) Le corps devient mon unique allié, mon moyen de locomotion. Sans lui, le voyage s’arrête et le rêve redevient juste un rêve. Dans ces conditions, il me paraissait impensable de déléguer la gestion de cet outil de première importance à quiconque. Il fallait donc que je sois ma propre experte, que j’apprenne tout du fonctionnement de ce corps. Idem pour l’entraînement. »
Physiologie, biomécanique de la course, tout y passe. Le meilleur moyen à ses yeux de définir progressivement, en tâtonnant, le volume d’entraînement qui la préparera dans les meilleures conditions au marathon quotidien qui sera sa norme.
4. Laisser tomber le chrono, miser sur le kilométrage
« Seul le kilométrage importe, sur des parcours dont je calcule la distance en amont. Pas de montre au poignet et surtout, pas d’exercices de vitesse. Puisque je me prépare à courir lentement et durablement, je décide que c’est exactement ça que je dois pratiquer, et pas autre chose. » Bien avant de lancer son tour du monde, elle accumule les marathons, en enchaînant parfois cinq sur cinq jours.
5. Corriger sa foulée
Pour améliorer sa foulée et sa posture, Marie Leautey choisit un kiné irlandais, Padraig, qu’elle consulte une fois par mois. Sa spécialité ? Le rugby et le foot ! Elle évite sciemment de recourir à un praticien routard de la course à pied, « qui saura forcément qu’il n’est pas possible d’enchaîner des marathons jour après jour, sans récupération, sans massage et sans blessure. » De lui, elle attend un regard neuf, dénué d’à priori. « (…) « Il m’observe sur le tapis de course d’une part, et dans l’exécution de certains exercices de stabilité d’autre part. S’il note quelque changement que ce soit dans ma posture ou dans mes mouvements, alors il doit m’apprendre à identifier le problème, et on travaille ensemble sur des solutions. », écrit-elle. « J’apprends avec Padraig la proprioception, je corrige au ressenti et au visuel, j’analyse ma posture. Ses observations, ainsi que le miroir accroché près du tapis de course, m’aident à affiner ma perception. Pour faire face à l’augmentation du volume de travail que je lui fais subir, le corps à tendance à s’économiser au maximum. Cela se traduit souvent par une charge supplémentaire sur les articulations, au profit d’un muscle qui se désengage. Une recette garantie pour la blessure. Padraig m’apprend à courir en ressentant l’action de muscles spécifiques. Je profite aussi de son expérience pour corriger mes appuis. L’atterrissage de mes foulées se fait désormais sur le premier tiers du pied, afin d’optimiser l’amorti et m’épargner le plus possible ».
6. Instaurer un « scan corporel »
« Aucune course n’échappe à sa rigueur et j’y passe le temps que ça nécessite. Une heure, ou dix minutes, peu importe. Je commence par mes orteils. Je les ressens mentalement, je cherche à identifier s’il y a des tensions, des points de pression, de frotte- ment. Puis je remonte. La plante du pied, sur toute sa longueur, puis le dessus, les chevilles, et ainsi tout le corps, jusqu’à la nuque. Je ne laisse rien passer, fais preuve d’une intransigeance totale. Au moindre signal, je me concentre et j’analyse. Il peut s’agir de quelque chose de bénin, de lacets trop serrés ou de coutures de chaussettes qui frottent. Mais il peut aussi s’agir de problèmes de posture, d’alignement, de mouvements dégradés. Je suis à l’écoute de tout, je fais de la bobologie pour prévenir la grosse blessure. Et ça fonctionne. Je me soumets parfois au scan plusieurs fois par jour, je m’attarde, j’y prends goût « .
7. Courir sans musique
Pourquoi ? « Pour ne pas se distraire de son environnement et de ses sensations. « Car c’est un travail de chaque instant, que de conserver la machine en bon état de marche, jour après jour, lorsque la charge quotidienne est si importante », explique Marie qui, à 46 ans maintenant a gardé le goût de l’aventure. « Il me manque encore la traversée de l’Afrique et la route de la soie en Asie », déclarait-elle récemment…
Le monde sous mes pieds
Marie Léautey. Éditions Calman Levy. 252 pages.