Plus de 130 ans que le petit couteau savoyard s’est glissé dans tous les sacs à dos. Et pourtant l’entreprise, toujours dirigée par François, arrière-petit-fils de Joseph Opinel, le fondateur de la marque en 1890, s’est longtemps cassé la tête sur une équation : transformer son célèbre n°08, en un set fourchette/cuillère parfait, beau, solide et tenant bien en main, le temps d’un déj sur le pouce en montagne. Le tout sans alourdir nos poches ni notre budget. En bref, un objet simple et malin pour cuisinier nomade : le challenge parfait pour le designer Franck Fontana, aussi passionné d’aventures sur les cimes qu’en mer, comme pour le chef Mathieu Rostaing-Tayard, aux commandes d’un « déjeuner au feu », organisé le 30 octobre au refuge du Montenvers à Chamonix dans le cadre du Festival « casse-croûte », nouveau rendez-vous gastro/culturel de Chamonix.
Le dimanche 30 octobre prochain, à partir de midi, Mathieu Rostaing-Tayard – chef au parcours impressionnant, passé notamment par les cuisines de Pierre Gagnaire, Nicolas Le Bec, et Michel Portos – attend de bonnes tablées au refuge du Montenvers, face à l’Aiguille Verte et aux Drus. Les plus courageux y monteront à pied, trois heures de marche bien raide, les autres, prendront le Petit train rouge. Au matin, le chef Lyonnais, que pendant deux ans on a vu aux fourneaux de l’Albert 1er, sera allé chercher les herbes qui entreront dans la préparation de son « déjeuner autour du feu sans aucune intervention de la modernité ». Un des temps forts du « Festival casse-croûte », nouveau rendez-vous gastro/culturel de Chamonix, soutenu par Opinel.
Dans sa poche, sur les sentiers, aucun de ses couteaux hors de prix, fierté des cuisiniers, mais un simple Opinel, tout aussi précieux à ses yeux. « Mon grand-père en avait toujours un sur lui, et moi aussi », raconte-t-il. « C’est le couteau de base, accessible à tous, un objet usuel qu’on aime bien. Pas que pour des raisons affectives, pour l’usage aussi. Sa prise en main, son tranchant… dans mes deux restaurants, au Micro Sillon à Lyon et tout récemment le Sillon Biarritz, ils sont sur les tables. C’est aussi celui qu’on a tous dans son sac. Il a fait partie de toutes mes randos, à pied, ou en rando, du Cervin à La Vallée Blanche, en passant par le Pérou ou le Japon. » En cuisine au Montenvers, pour trier herbes et légumes, il a sa place pour ce « déjeuner au feu »… Quelques ustensiles de base vont me suffirent pour ce repas préparé simplement. Braise, flamme et fumée : mes influences basques et japonaises. On l’aura compris, Mathieu Rostaing-Tayard fait partie des inconditionnels du petit couteau savoyard. Et il n’est pas le seul : 300 millions s’en sont vendus depuis 1890. Son secret ? La simplicité, peut-être.
Un des 100 objets les mieux dessinés au monde
Rares sont les objets dont la valeur tient autant à l’usage qu’à l’affection qu’on leur porte. L’Opinel, ce petit couteau sans prétention en fait partie. Pas pour son prix, toujours modique, par pour ses matières précieuses, ce Savoyard, c’est l’anti bling-bling. Peu de choses en fait, mais suffisamment pour le faire entrer au panthéon des objets français et du design mondial et lui ouvrir les portes du Victoria and Albert Museum en 1985 parmi les cent objets les mieux dessinés du monde à côté de la Porsche 911 et de la montre Rolex. Une consécration qui ne doit rien au hasard, découvre-t-on en fouillant dans les archives du Musée Opinel, à Saint-Jean-de-Maurienne.
Tout commence avec Joseph Opinel, né en 1872, à Gevoudaz, hameau d’Albiez-le-Vieux. Il est l’aîné d’une fratrie de six, l’un des plus curieux aussi, « il a l’œil » et sait aller au bout de ses idées. A 18 ans il rejoint l’atelier de taillanderie familial, normal, et, contre l’avis de son père, qui aimait le travail artisanal et se méfiait des machines, il passe son temps libre à peaufiner la forme et la fabrication d’un petit couteau de poche. Obstiné, il en sortira un couteau, l’Opinel. On est alors en 1890, il y a plus de 130 ans.
Très vite Joseph va le décliner en différents formats de 1 à 12, adaptés aux mains, grandes ou petites, et à différents usages. En 1911, le Savoyard fait sensation à l’exposition internationale alpine de Turin. Dans une magnifique vitrine avec un cadre en bois ouvragé il présente son fameux couteau de poche décliné en douze tailles mais également les couteaux de cuisine, de table, les rasoirs, les ciseaux, les sondes à fromage, les serpettes, les tire-bouchons qui sont venus étoffer rapidement la collection… Il en repartira avec la médaille d’or.
Une collection qui laisse rêveur mais dont le cœur reste le couteau de poche et ses quatre composants : la lame, la virole fixe, le rivet et le manche. La virole fixe est nécessaire pour pouvoir riveter solidement la lame au manche. Efficace… mais perfectible ne cesse de répéter Marcel Opinel, le fils de Joseph. Et il a raison. En 1955, il marque un autre tournant. C’est l’invention du système Virobloc®, « tout simplement » en ajoutant une virole tournante qui en coulissant sur la virole fixe peut fermer la fente et ainsi bloquer la lame dépliée. L’idée est simple mais sa réalisation est complexe. Et, une fois encore, perfectible. Dans les années 90 ce système Virobloc® permettra aussi de bloquer la lame en position fermée. Réservé dans un premier temps à quelques références, il est généralisé sur tous les modèles en 2000.
Plutôt 3 bons basiques qui font tout bien qu’un gadget multifonctions
Pendant ce temps, dans les ateliers recherches et développement de l’entreprise restée sous contrôle familial, on ne chôme pas. Tous se souviennent ici de la fameuse exposition de Turin, entrée dans la légende familiale, et de l’incroyable panoplie imaginée par Joseph. Alors si Opinel n’a plus rien à prouver auprès des randonneurs, 2006 marquera le grand retour de la marque dans l’univers de la cuisine avec la collection « Les Essentiels » composée d’un couteau Office, d’un couteau cranté, d’un éplucheur et d’un couteau à légumes. Ceux-là même que le chef Mathieu Rostaing-Tayard n’oubliera pas de monter au Montenvers le 30 octobre, pour son déjeuner au feu. Pas loin peut-être de la collection haut de gamme que la marque lance en 2019 : « Les Forgés 1890, dont la lame est 100% forgée à partir d’une barre d’acier ronde, et le manche en hêtre, un hommage au design traditionnel du couteau de poche. »
Car la marque savoyarde n’oublie pas ses racines, sur le terrain, là où l’action se passe, ni que ses adeptes sont toujours plus exigeants et qu’eux aussi évoluent. Aussi quand ces dernières années explose la passion des Français pour l’outdoor et que toute une nouvelle génération de randonneurs, alpinistes et grimpeurs se voit aussi bien couper un morceau de Beaufort que manger une salade de quinoa, elle imagine un petit ovni en 2018 : le kit de cuisine nomade, 3 couteaux et planche, en guise d’étui, une version française du furoshiki, ce carré de tissu à tout faire, emballage ou transport, omniprésent au Japon. Tour à tour, mini nappe, torchon et enveloppe de 3 basiques et d’une planche de bois pour la découpe d’un morceau de saucisson ou de fromage.
Opinel aurait-il soudain réinventé l’eau froide ? Pur concept marketing que ce kit pour « cuisine nomade » ? Qu’on se rassure, Joseph Opinel peut dormir paisiblement dans sa tombe, cet inventeur acharné aurait sans doute aimé rencontrer l’équipe derrière cette dernière création, à commencer par Frank Fontana, jeune designer toulousain qui a participé à la naissance du produit. Entré il y a cinq ans chez Opinel par la petite porte du packaging et du display, secteurs moins prestigieux aux yeux du grand public que la conception du produit, mais extrêmement exigeants, notamment à l’heure du développement durable, il comprend tout de suite que quelques bons basiques sont plus utiles qu’un gadget multifonctionnel « capable de tout mais… rien très bien », explique ce passionné de rando et de nage en open water : « sur ces multifonctions, les couteaux, c’est la misère quand tu essaies de couper une tranche dans une belle miche de pain. Sans parler du tire-bouchon qui fait mal. C’est comme le Leatherman : tu le vois, tu le veux, il y a tout. Trop peut-être. En tous cas, moi j’en ai un… et je l’oublie tout le temps. Il faut simplifier l’usage. A-t-on vraiment besoin de tant d’options au quotidien ? Alors avec le kit nomade, on n’a rien inventé, juste simplifié, et souvent c’est ça le plus difficile ». Résultat : un kit comprenant un Opinel N° 12 avec une lame crantée. Parfait pour couper une baguette. Un N° 10 avec tire-bouchon intégré pour couper du saucisson et ouvrir votre bouteille de vin. Et puis bien sûr un couteau à éplucher, car manger sur le pouce ne se résume plus au casse dalle vite avalé.
Et si on glissait une fourchette… dans le manche ?
Sans surprise, c’est Franck Fontana qu’on retrouve derrière une autre idée, tellement simple… qu’elle n’était venue à l’esprit de personne jusqu’à présent. Valoriser le minuscule espace de la virole offerte au regard lorsque le couteau est fermé pour y introduire une fourchette et une cuillère. « Opinel m’avait demandé de plancher sur l’idée d’un objet multifonctions, mais sans alourdir ni rendre obsolète votre bon n°08, le best-seller de la marque. J’aime bien travailler avec les contraintes existantes. Là, j’avais ce manche qui, une fois la lame repliée, ne coupe plus mais est confortable. Et au-dessus, un espace vacant. J’ai commencé à travailler sur un fichier 3D et préparé une «maquette de principe », montrant comment en insérant une cuillère et une fourchette dans cet espace vacant on ouvrait à d’autres fonctions, en toute sécurité, car une fois la virole tournée, les accessoires étaient bloqués. On retrouvait, on confirmait, la fonction principale de la virole imaginée par Marcel. Chez Opinel, « l’idée séduit immédiatement », raconte Françoise Detroyat, directrice marketing de la marque.
Mais il faudra deux ans pour que l’équipe de recherches et développement surmonte toutes les contraintes pour que la fourchette et la cuillère restent bien ancrées dans le manche sans pour autant affecter la solidité globale du couteau. Deux ans de tests d’effort et de traction simulant les trois utilisations de l’objet sur les différentes essences de bois de la gamme. Deux ans aussi pour trouver le bon fabricant en France qui veuille bien se lancer dans l’aventure et sortir un produit en acier inoxydable à un prix accessible, crédo de la marque. Lancé en juillet 2022, le concept baptisé « Picnic + » est adaptable à tous les n°08 avec manches traditionnels en bois. Même sur ce vieux modèle que vous logez dans votre sac depuis 10 ans, qu’il soit en manche de hêtre, olivier, chêne, noyer, buis ou bouleau. Inutile d’en racheter un autre. Et c’est là que le concept fonctionne vraiment.
« Ce kit, je l’utilise pas mal, quand je mange sur le pouce », explique le designer. « Et l’objet marche, même s’il est minimaliste, sans surcroit de poids gênant. Quelle que soit la fonction, on a un vrai manche, la bonne longueur pour touiller sa popote, qu’on soit en ski de rando, comme moi dans les Pyrénées où je fais pas mal d’hivernales. Ou sur la côte atlantique entre deux sorties de natation en eau libre. L’idée, c’était de faire le maximum avec le minimum de matière, d’espace, de poids, de déchets et de sortir un objet de service, hybridation de gestes et d’usages. Avec Opinel on aime beaucoup ce genre de challenge. Car on sait que ce couteau, premier achat, premier cadeau pour beaucoup d’entre nous, a souvent une valeur affective très forte, et franchement personne n’a envie de mettre au placard son vieux n°08 pour un gadget de plus. »
Pour découvrir les collections aventure, à table, en cuisine, au jardin et enfants d’Opinel, visitez www.opinel.com.
Festival Casse Croûte Chamonix
Du 28 octobre au 01 novembre
Casse-croûte est un festival hybride à la croisée de la gastronomie, du vin, de la culture, de la nature et de l’environnement qui a lieu à Chamonix. La première édition du festival Casse-Croûte se déroulera à Chamonix, du 28 octobre au 1er novembre prochain.
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