Après plus de deux ans de recherche, la marque américaine a lancé cette année sa nouvelle plateforme technologique pour les chaussures de trail-running et de randonnée. Tout droit inspirée des chaussures carbones qui ont révolutionné la course sur route, Vectiv est annoncée comme une réelle innovation. En clair, des produits qui changeraient vraiment la donne sur les longues sorties en réduisant l’impact au sol, tout en maximisant l’énergie. Ambitieux et visiblement réussi, puisque, après tests, The North Face a décroché le prix Outside de la meilleure chaussure de l’année dans les deux catégories. Début juillet, au coeur du laboratoire Annécien, nous avons rencontré Jean-Marc Djian – VP of Global Footwear, l’homme derrière ces recherches.
Repérée à Chamonix en août 2020 aux pieds de Pau Capell lors de sa tentative « Breaking 20 », la technologie Vectiv a été officiellement lancée ce printemps. Outre la Flight Vectiv utilisée par les meilleurs trail runners de la marque, la technologie se retrouve sur huit modèles trail-running et randonnée. Deux catégories complètement revisitées par une équipe de développement dédiée. Un co-développement orchestré par Jean-Marc Djian entre les équipes internes de The North Face, à Denver et l’agence d’innovation All Triangles basée à Annecy.
Des prototypes sortis en un temps record
Lorsque l’on entre chez All Triangles, à Annecy, on pense s’être trompé d’adresse. A gauche un mur de bloc d’escalade doté des meilleures configurations, prises, et même d’un pan connecté. A droite un bar et un espace lounge. Nous n’avions jamais entendu parler de cette nouvelle salle d’escalade. Pour cause, le lieu est tenu secret, enfin presque. L’espace est ouvert et libre d’accès (gratuit) à tous les athlètes, influenceurs et personnalités de l’outdoor de passage. Un lieu présenté comme « une agence conseil en stratégie de marque doublée d’un tiers lieu communautaire », selon Julien Traverse, co-fondateur, et Pierre Minary, trailer émérite et membre de l’équipe. Plutôt que d’investir sans compter dans des études de marché et courir après les tendances, l’agence inverse ainsi le processus et fait venir les tendances à elle, grâce à ce site dernier cri, convivial et communautaire, nombre d’athlètes pratiquant, de près ou de loin, l’escalade.
Derrière cet espace de grimpe, une discrète porte blanche – « accès sécurisée » – cache un véritable arsenal. Le fameux « lab » où les concepts, imaginés ici, prennent forme. Chaussons d’escalade, chaussures de trail-running, de rando ou d’alpinisme, cette mini usine est capable de prototyper n’importe quel concept en un temps record.
Vectiv, c’est quoi ?
Comme la plupart des chaussures carbone, Vectiv intègre une plaque en fibre de carbone sur toute la longueur du pied pour une propulsion vers l’avant améliorée et une foulée plus efficace. Avec une spécificité : la plaque se trouve directement sous le pied, entre la semelle intérieure amovible et la semelle intermédiaire (plutôt qu’à l’intérieur de celle-ci) et s’étend également autour du talon. De quoi améliorer la stabilité latérale et procurer une foulée puissante, énergique et rapide sur toute la journée. Le « rocker » offre un déroulé du pied fluide et optimise la dépense d’énergie.
Comment s’y est donc pris The North Face ?
Réponses de Jean-Marc Djian à l’origine du projet.
The North Face tente de percer sur le marché de la chaussure depuis des décennies sans grand succès. Aucune chaussure, ni technologie ne se sont réellement imposées… Et puis entre 2020 et 2021, la marque lance Vectiv et rafle le prix Outside de la meilleure chaussure trail de l’année, mais aussi celui de la chaussure de rando. Du jamais vu pour une marque qui obtient également le prix « Gold » de l’international Design Award dans la catégorie chaussure. Comment obtient-on un tel succès aussi vite ?
On change la donne avant tout avec une vision. Une marque leader se doit d’apporter quelque chose de différent, un point de vue innovant qui s’inspire de son histoire et de ses valeurs – à l’instar de ce que The North Face a pu faire en textile. C’est par l’innovation, les moyens et l’organisation que l’on opère le changement. Concrètement, Vectiv a été conçue en s’inspirant de l’esprit des gammes « Series » (ndlr : Summit Series, Steep Series et Flight Series développées pour et par les athlètes). On a cherché ce qu’il y avait de mieux pour la pratique en respectant la devise de la marque « Never Stop Exploring ». En explorant le côté extrême du sport, c’est là que l’on trouve les réelles innovations ; le plus performant, le plus léger et le plus durable. Le secret a été de faire appel à une agence d’innovation (ndlr : All Triangles) qui nous a fait gagner un temps fou de par son expertise et ses connexions. Une agence du plus haut niveau.
Chercher le meilleur et les meilleurs…
C’est ça. Chercher le meilleur dans la marque et dans les équipes de développant (ndlr : basée à Denver dans le Colorado), mais aussi oser aller chercher les personnes qui ont le savoir-faire, les meilleurs sous-traitants, d’aller voir ce que font les « ingredient brands » – marques référentes. Quand il faut prototyper rapidement un produit, il vous faut les plus compétents et les plus rapides. C’est une grande fierté pour The North Face d’être à la fois leader de l’industrie et de conserver une grande agilité ; être capable de prendre des risques et aller vite tout en s’appuyant sur ce qui se fait de mieux – de l’athlète, aux équipes internes, aux partenaires d’innovation et aux sous-traitants.
Qui se cache derrière cette innovation ?
Il y a les inventeurs, l’agence All Triangles qui collaborent très étroitement avec The North Face. L’agence est basée à Annecy, au cœur des Alpes. Toutes les personnes qui y travaillent sont des passionnés d’outdoor et de « footwear ». Ils ont une expertise et une ouverture d’esprit exceptionnelles. Leurs connexions avec les athlètes et la communauté font toute la différence.
Dans quelle mesure la crise sanitaire de la Covid-19 a-t-elle changé vos plans ?
On s’est demandé toutes les semaines si on lançait ou pas (rire)… On a dû s’adapter en permanence. Les événements, les courses, les tests n’avaient pas lieu. On a dû repenser toute la stratégie en mode digital. Ça nous a forcé à repenser nos outils de présentation et de formation. Nous avons passé beaucoup de nuits blanches, mais ça aussi été un bon test et la preuve que l’on était au point, puisqu’on n’a pas pu voyager vers les usines. Et on sait combien la communication dans un tel projet est importante. Tu consacres 95% de ton temps (18 – 24 mois) à l’innovation et l’industrialisation, mais à la fin, les derniers 5% sont capital pour la qualité de production. Il y a eu énormément de visioconférences à n’importe quelle heure de la journée entre les États-Unis, l’Europe et l’Asie. Tout le monde l’a pris comme un challenge. « against all Odds » – contre vents et marées, on va y arriver.
Après Futurelight, Vectiv est la deuxième innovation majeure de The North Face des 5 dernières années, voire même de la décennie. A quelle fréquence la marque peut et doit-elle innover ?
Par saison ou par année, c’est difficile à dire, mais il y a une vraie culture et volonté de la marque d’innover. Il y a des signes qui ne trompent pas, notamment son déménagement (ndlr historiquement basée à Alameda, en Californie) à Denver en 2020 pour se rapprocher de l’Outdoor. Ça fait partie du processus, puisque la période est propice aux innovations. Aujourd’hui, beaucoup de gens souhaitent s’installer à la montagne ou à la campagne. Ce sont de nouveaux consommateurs qui s’intéressent désormais à l’Outdoor. Nos études le disent, mais c’est aussi une réalité. Il y a donc des innovations en matière d’usages, de technologie, de matières, et aussi sur le plan culturel – un mixe de performance et de style.
Il reste encore des choses à « cracker », des problématiques que l’on souhaite tous résoudre sur les habitudes de consommation ou sur le développement durable. C’est difficile dans cette industrie d’arriver avec des solutions qui font sens, mais The North Face est vraiment ancrée dans un cycle d’innovation.
Combien de temps a-t-il fallu pour développer Vectiv ?
Plus de deux ans… Mais c’est difficile de l’évaluer précisément puisque les idées naissent souvent dans la tête des gens avant. Il y a d’abord des discussions avec des athlètes, des experts puis avec des consommateurs. Le portrait-robot du besoin et de l’innovation fait alors jour. Après, il y a un temps pour tout le travail de réalisation.
On a procédé en accéléré, en prenant des raccourcis et en se faisant confiance. On a exploré avec d’un côté certaines personnes évoluant avec une totale liberté – pas tenues par les exigences à court-terme du marché – et d’autres en charges de construire les gammes. Au final, il aura donc fallu plus de deux ans pour développer une innovation déclinée sur autant de modèles (ndlr : huit modèles, du trail-running à la randonnée), déposer des brevets, obtenir des « awards » dans différentes catégories. C’est rapide.
Vectiv est aujourd’hui décliné sur le trail et la rando. Envisages-tu d’autres catégories, la route par exemple ?
La route, ça sera pour plus tard. On se focalise aujourd’hui sur les territoires Outdoor, mais c’est vrai que les frontières du running sont tombées. Certains courent sur route avec le Vectiv carbone. Ce que les gens feront dans leurs utilisations, c’est ce qui nous guidera. Pour le moment, on est dans l’Outdoor, au sens large. Du trail-running à la rando, en passant par la montagne, l’alpinisme, le camping, le voyage… Ça nous occupe déjà bien.
Jusqu’où la marque va-t-elle pour réduire son impact environnemental ?
Il y a un travail au niveau textile sur les matières, la réduction de l’empreinte carbone et sur la circularité. Sur le « footwear », c’est plus compliqué à gérer, notamment au niveau de la semelle. On a réduit l’usage des PFC grâce à l’utilisation de la technologie futurelight (ndlr : au niveau de la tige), dans les gommes « Surface Control », il y a 40% de matière naturelle. Mais si on veut aller plus loin, pour atteindre la circularité ultime, ça demande encore plus d’innovations.
Vectiv est-elle une innovation, une révolution ou une complète rupture ?
C’est difficile à dire, car il faut le recul nécessaire et les retours des consommateurs. Je considère que c’est une vraie innovation, mais seuls les consommateurs pourront dire s’il s’agit d’une complète rupture. Au niveau de la marque, c’est sûr que c’est un « reset » technologique et culturel.
Comment passe-t-on de gardien de l’équipe de France de Hockey sur glace (ndlr : Jean-Marc a participé à 2 Olympiades en 1988 et 1992) à expert footwear ?
Par hasard… Je fais ici référence à Edgard Morin (ndlr : « Le hasard, cette chose mystérieuse dont on ne sait ce qu’il y a derrière a joué un très grand rôle dans la mienne. »). Ce n’est pas facile à expliquer, mais tout me semble naturel. Au hockey, je devais étudier tous les signaux faibles, mes partenaires pouvaient me dévier le palais dans la cage, il fallait qu’ils me défendent, il fallait que l’équipe soit en osmose, chacun avait son rôle. C’était un cheminement qui a continué dans de très belles marques comme Salomon, Benetton Sport System et Rossignol. Ou même des rencontres dans le journalisme, ma passion, c’était le journalisme (rire)…
Pour en savoir plus sur The North Face et la technologie Vectiv, c’est ici.
Photo d'en-tête : Antoine Mesnage