Un simple autotest permet de déterminer quelle cadence sert au mieux votre style de course
Presque tout ce que nous savons sur la façon de courir est accompagné de la mention « en moyenne. » Du contenu de votre assiette à celui de votre mental, on ne manque pas de recommandations générales sur ce qu’implique une bonne forme de course. Mais, comme le sait quiconque suit Paula Radcliff — détentrice du record du monde féminin de marathon — certains réussissent en enfreignant toutes les règles. Ce dont on a le plus besoin, en fait, c’est d’un moyen d’évaluer dans quelle mesure un conseil général s’applique à la physiologie de chacun.
C’est l’objectif de l’étude publiée récemment dans le European Journal of Sport Science, réalisée par une équipe de recherche dirigée par Cornelis de Ruiter de l’Université libre d’Amsterdam, sur la personnalisation de la cadence de course. Étant donné que cette cadence — le nombre de foulées par minute — est relativement facile à mesurer et à modifier (au moins de façon temporaire), elle suscite beaucoup l’intérêt des coureurs et des chercheurs. Pendant quelque temps, l’idée que chacun devait essayer de faire 180 foulées par minute s’est imposée. Quand elle est tombée en désuétude, elle a laissé un petit vide. Si l’objectif n’est plus 180, que doit-on viser, alors ? Et si la cadence idéale varie d’un individu à l’autre, comment trouve-t-on la sienne ?
Une réponse possible est, tout simplement, de ne pas en faire une fixette. Des décennies d’études suggèrent que, laissés à eux-mêmes, les coureurs ont tendance à choisir d’instinct la cadence qui optimise leur efficacité. Ce qui signifie que si on dit à un coureur de l’augmenter ou de la diminuer, il y a de fortes chances qu’il commence à brûler plus d’énergie pour parcourir la même distance à la même vitesse, au moins en moyenne. Dans la plupart de ces études, cependant, il y a toujours quelques données aberrantes correspondant à des individus dont la cadence auto-choisie est significativement en deçà de ce cher point d’efficacité. Pour ceux-là, le meilleur conseil valable en général — laisser la cadence tranquille — pourrait être déconseillé.
L’autre réponse possible est de tester différentes cadences et de mesurer directement leur efficacité. Habituellement, ces études se font en laboratoire, sur tapis roulant et avec des masques respiratoires encombrants pour mesurer avec précision la dépense d’énergie. Dans l’étude dont on parle, de Ruiter et ses collègues ont fait l’essai en extérieur, en se servant tout simplement d’un cardiofréquencemètre standard pour estimer la dépense énergétique pendant que les volontaires couraient librement à différentes allures. Cette approche est plus réaliste, car on ne sait pas avec certitude si certains aspects de l’exercice sur tapis roulant — l’absence de paysage, par exemple — affectent la cadence. De plus, elle est assez simple à reproduire si on veut essayer « à la maison ».
Le test de base consiste en une course de 27 minutes, à une allure confortable choisie par l’athlète, divisée en neuf intervalles de trois minutes. Toute la course se fait au même rythme ; dans l’étude, les sujets étaient guidés par un cycliste sur un vélo doté d’un compteur de vitesse. Chaque intervalle de trois minutes s’est fait à une cadence différente, rythmée par un métronome – il existe de nombreuses applications de métronome pour téléphone portable. Les cadences utilisées dans l’étude étaient 140, 150, 160, 170, 180, 190 et 200, plus un intervalle à la cadence naturellement choisie par le coureur pour ce rythme. Les cadences étaient mélangées de façon aléatoire dans chaque pas. Le neuvième et dernier intervalle répétait la cadence du premier intervalle, afin de permettre la correction de la dérive cardiovasculaire — on y reviendra.
Voici un exemple de ce à quoi ressemblent les données quand on trace la fréquence cardiaque (HR, Heart Rateen anglais, ici en battements par minute) par rapport à la cadence (SF- Stride Frequency, fréquence de foulée, ici en foulées par minute). La fréquence cardiaque indiquée correspond à la moyenne de la dernière minute de chaque intervalle de trois minutes, car il faut du temps pour que la fréquence cardiaque se stabilise lorsqu’on change de rythme.
(Courtesy European Journal of Sport Science)
Dans ce graphique, on montre le résultat de deux tests : les carrés noirs représentent un intervalle à vitesse inférieure, les cercles blancs, un intervalle à vitesse plus soutenue. On observe dans chaque cas une courbe caractéristique : à la cadence la plus basse et la plus élevée, la fréquence cardiaque est élevée. Quelque part au milieu, il y a un point où la fréquence cardiaque est la plus basse, ce qui correspond à la cadence la plus efficace.
Les flèches pointant vers le haut indiquent le point de cadence pour chaque courbe, où ce coureur est le plus efficace aux deux vitesses testées. Les flèches dirigées vers le bas indiquent la cadence choisie d’instinct par le coureur à ces vitesses – avec le métronome éteint. (Il y a deux flèches pointant vers le bas pour la courbe inférieure, car ce test en particulier a été répété deux fois.) Dans les deux cas, la cadence librement choisie est légèrement inférieure à la cadence optimale, ce qui suggère — en théorie du moins — que ce coureur bénéficierait d’une augmentation de cadence d’environ 6-8 foulées par minute.
On peut souligner quelques points logistiques clés. Tout d’abord, nos cadences préférées et optimales sont spécifiques à une vitesse donnée. Si on effectue ce test lorsqu’on court à un rythme de 6 minutes le kilomètre, et qu’on apprend que la cadence optimale est de 170, ça n’implique pas qu’il faudra garder ces 170 quand on adopte une vitesse de 4 minutes le kilomètre. Il est très courant, comme dans l’exemple ci-dessus, d’augmenter la cadence avec la vitesse, ce pour quoi il faut effectuer le test aux différents rythmes d’entraînement ou de course que vous visez. En revanche, il ne s’applique pas à des vitesses au-dessus des vitesses limites, comme le rythme pour une course de 5 km, parce que (a) la fréquence cardiaque ne se stabilisera pas et (b) on ne peut pas, de toute façon, maintenir ce rythme-là pendant un test de 27 minutes. Pour que le test ait une quelconque pertinence, il faut adopter des rythmes qu’on peut maintenir pendant une heure ou plus.
Un point méthodologique plus subtil, comme mentionné plus haut, est la dérive cardiaque. Même lorsqu’on court à un rythme relativement confortable, notre rythme cardiaque augmente graduellement au fur et à mesure que le corps se réchauffe. Cela pourrait mener à des conclusions erronées, puisque les cadences qu’on va tester dans les premiers intervalles sembleront plus efficaces que les cadences testées vers la fin du test.
En supposant qu’on s’est échauffé pendant au moins cinq minutes avant de commencer, la fréquence cardiaque devrait augmenter à un rythme plus ou moins constant. En parcourant le premier et le dernier intervalle de trois minutes à la même cadence, on peut ensuite appliquer un facteur de correction pour éliminer les effets de la dérive. Pour ce faire, il faut prendre la différence entre la fréquence cardiaque moyenne du premier et du neuvième intervalle et soustraire un huitième de cette différence de la fréquence cardiaque du deuxième intervalle, deux huitièmes de la fréquence cardiaque du troisième, trois huitièmes de celle du quatrième, et ainsi de suite.
À quoi sert tout cela, alors ? Pour les 21 coureurs amateurs mais chevronnés de l’étude de Ruiter, la cadence moyenne choisie librement était de 165 foulées par minute, tandis que la cadence la plus efficace était en moyenne de 171. Il y avait par ailleurs une fourchette assez large, influencée principalement par la taille : les coureurs plus grands avaient tendance à faire des foulées plus longues, et donc à avoir des cadences plus basses à une vitesse donnée.
Alors qu’une différence de six foulées par minute semble substantielle, les avantages réels de corriger cette « erreur » sont en réalité plutôt dérisoires. Si tous les sujets avaient couru à leur cadence idéale, la fréquence cardiaque médiane n’aurait diminué que de 0,5 battement par minute, ce qui ne justifie pas le gros effort à fournir lorsqu’on cherche à changer son rythme naturel. On constate cependant quelques exceptions : au moins deux sujets obtiendraient une baisse plus significative d’entre 1 et 3 battements par minute. Remarquons que le coureur qui avait le plus à gagner était l’un des rares au sein de l’étude à avoir déclaré ne pas participer à des courses organisées, ce qui conforte l’idée que les coureurs moins expérimentés ont moins tendance à optimiser leurs pas par des tests d’erreur.
Il est tout de même important de souligner que l’efficacité n’est pas la seule raison pour laquelle on pourrait décider de modifier sa cadence. Selon certains chercheurs, une cadence plus élevée réduit la charge sur les genoux et les hanches, ce qui réduit le risque de blessure – cette théorie ne fait cependant pas l’unanimité. Du point de vue de l’efficacité, la plupart d’entre nous semblent s’adapter à une cadence appropriée sans effort conscient. Mais si vous pensez faire partie des exceptions — ou juste par curiosité — prenez un cardiofréquencemètre et un ami avec un vélo et jugez par vous-même.
Photo d'en-tête : simonstock- Thèmes :
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