En Angleterre, Alastair Humphreys est l’aventurier incontournable. Après un tour du monde à vélo pendant 4 ans, ou encore une traversée de l’Atlantique à la rame, ce Britannique s’est surtout illustré comme le « père » de la microaventure. D’abord enseignant en Afrique du Sud, il a ensuite dédié sa vie aux expéditions – mais comment fait-il pour en vivre ? Comment transformer l’aventure en un métier rentable ? Sans détours, il se confie sur ses sources de revenus.
Comment Alastair Humphreys fait-il pour toucher un salaire en tant qu’aventurier ? « C’est la question la plus fréquente qu’on m’ait posée jusqu’à présent », avoue-t-il dans une chronique, publiée sur son site Internet. Nommé parmi les « Aventuriers de l’année » par le National Geographic en 2011, ce Britannique excelle autant dans ses expéditions gigantesques, comme son tour du monde à vélo en 4 ans, ou sa traversée de l’Islande à pied, que dans les microaventures – concept dont il est considéré comme précurseur. En 2019, il expliquait dans une interview à Outside la manière dont il avait transformé sa soif d’aventure en épopées plus modestes. Aujourd’hui, il revient sur ses sources de revenus en tant qu’aventurier, un sujet souvent tabou dans ce milieu.
« Tout d’abord, permettez-moi de préciser qu’il s’agit d’expliquer « comment je gagne de l’argent », et non « comment vous devriez gagner de l’argent » ni « comment pouvez-vous gagner votre vie à l’aventure ». Je vais simplement prendre la question au pied de la lettre et y répondre d’après mon expérience, sans faire de politique. Je ne suis pas un expert financier, ni très intéressé par l’argent. Considérez donc ceci comme un coup d’œil pour les curieux dans les tiroirs de mon bureau (honnêtement, qui n’aime pas fouiner ?) plutôt qu’une liste exhaustive des stratégies à suivre !
Même si vous ne m’avez pas demandé de conseils pour économiser de l’argent pour partir à l’aventure, je vais quand même vous en proposer :
- « Si vous voulez avoir assez d’argent pour partir à l’aventure, trouvez un emploi bien rémunéré avec beaucoup de temps libre pour aller escalader les montagnes. »
- « Si vous voulez gagner de l’argent en partant à l’aventure, commencez par vous lancer dans une grande aventure sans vous soucier de gagner de l’argent. Cela devrait passer avant tout le reste. »
- « Si vous voulez être payé pour passer le plus de temps possible dans des endroits passionnants, devenez moniteur de sport de plein air, guide de montagne, chercheur, soldat ou trouvez un emploi qui vous envoie à l’étranger. »
Est-ce bien d’être payé pour ce que l’on aime faire ou est-ce une honte lorsque ce que l’on aime devient un travail ? Gagner sa vie avec ce qui est normalement un passe-temps (et un passe-temps dont les valeurs sont loin de rapporter de l’argent) n’est pas toujours simple.
« Si je cesse d’être intéressant, ma carrière est terminée ! »
Je suis conscient d’être ma propre poule aux œufs d’or : si je cesse d’être intéressant, ma carrière est terminée ! Suis-je donc destiné à raconter pendant des décennies les mêmes vieilles histoires à un public de moins en moins nombreux dans les salles des fêtes du pays ? J’espère que non ! Mais je le redoute.
Je suis un type plutôt cool et pas vraiment susceptible. Cependant, il y a parfois des idées préconçues sur ma « carrière » d’aventurier qui ont le don de me rendre fou. En voici un échantillon : « Votre femme est-elle riche ? Seriez-vous capable d’être un aventurier à plein temps si vous deviez vraiment payer les factures ? Le monde de l’aventure n’est pas réaliste. Il n’y a que les gosses de riches qui peuvent se permettre de le faire « à plein temps ». Ce n’est pas un vrai travail ou quelque chose qui rapporte un salaire continu. »
Alors oui, ma femme a un vrai travail, avec des pots de départ, et des chèques-restaurants. Mais cela m’a permis de travailler plus et de gagner plus que ce que j’avais prévu en m’engageant dans cette voie ! Le fait de savoir qu’elle travaille dur dans un bureau me ferait me sentir coupable si je me contentais de paresser toute la matinée.
Mais je travaille de façon beaucoup plus régulière que ce que j’imaginais pour un « aventurier ». Je me sens responsable de prouver que je fais ma part du travail. L’idée que je suis un « gosse de riche », que je vis aux crochets de ma femme ou que ce n’est pas un « vrai travail qui rapporte un salaire continu » est fausse et me sort par les yeux !
Quitter son poste d’enseignant pour devenir aventurier
Lorsque j’ai décidé d’essayer de gagner un salaire régulier grâce à l’aventure, j’ai quitté mon poste d’enseignant. Pour évaluer si l’idée était viable, durable et responsable, je me suis lancé le défi d’égaler mon salaire d’enseignant l’année suivante. J’y suis presque parvenu (grâce à beaucoup de conférences dans les écoles). J’ai ensuite utilisé l’échelle salariale des enseignants comme point de référence pour les années à venir afin de me rassurer sur le fait que mon travail était considéré comme un « vrai travail » et que j’étais sur la bonne trajectoire. Mon objectif était de toujours rester au-dessus de la courbe de l’enseignement. Résultat : je gagne plus aujourd’hui que si j’étais enseignant.
Jusqu’à ce que je me stabilise dans ce travail, j’étais souvent un peu angoissé, car mes revenus étaient beaucoup plus aléatoires, saisonniers et imprévisibles par rapport à l’enseignement. Heureusement, au fil du temps, j’ai progressivement atteint un niveau où je peux maintenant me dire en toute sérénité qu’il y aura assez de travail pour moi (aidé par une lente accumulation de « flux de revenus passifs » (alias les livres, les droits d’auteurs, etc.).
Au fil des ans, j’ai gagné plus (et travaillé plus) que je ne l’avais prévu, en grande partie pour me prouver que je pouvais y arriver seul et que je n’étais certainement pas financé par quelqu’un. Être un aventurier professionnel implique d’acheter sa liberté, son indépendance, sa créativité, au détriment des niveaux de revenus, d’une sécurité assurée dans le futur et des malédictions que connaissent tous les travailleurs indépendants, à savoir les déclarations d’impôts, les factures, la promotion des mes aventures etc.
C’est un choix entre devenir riche et avoir la vie de mon choix. Je ne le fais pas pour l’argent. Cependant, j’ai fini par gagner confortablement ma vie en buvant du thé dans ma cabane ou en faisant du vélo. Je suis un homme chanceux !
Cela dit, voici comment je gagne actuellement ma vie…
- Les liens affiliés : j’oublie presque toujours d’en mettre en place lorsque je recommande un livre (comme celui-ci). Par conséquent, cela ne rapporte qu’environ 1,15€ par jour !
- Les livres : bien que seul un optimiste ou une célébrité s’assiérait pour écrire un livre et supposerait qu’il va rapporter beaucoup d’argent, les livres sont des moyens utiles pour rapporter un pécule régulier à travers le monde, tout au long de votre vie (et pendant 70 ans après votre mort avant que cela ne tombe dans le domaine public), et dans une variété de formats. En voici quelques-uns : Audible – six de mes livres sont maintenant disponibles en livres audio – ; Kindle ; les version papiers – j’ai publié 12 livres à ce jour, mais malheureusement, ils ne sont presque jamais disponibles dans les librairies. C’est pourquoi Amazon et les autres plateforme de vente en ligne sont la clé de mes ventes. Ajoutez enfin la vente de livres sur mon site web : étant donné que je peux commander mes livres à moitié prix auprès de l’éditeur, ce système offre une marge bénéficiaire décente (mais aussi plus de tracas).
- Les campagnes de marque : parfois géniales. Parfois un peu de « oh, bien, cela va payer les factures ! »
- Les films de marque : j’ai commencé à faire des films par pur enthousiasme, curiosité, plaisir et espoir. Ils sont finalement devenus l’une de mes principales sources de revenus. Parfois je travaille seul, d’autres fois ils sont une merveilleuse opportunité pour sortir de mon hangar et collaborer avec de bons amis.
- Les conférences événementielles : Elles peuvent être amusantes, une chance d’améliorer votre profil ou de vendre quelques livres. Mais elles sont rarement bien rémunérées. Par exemple, j’ai récemment refusé 50€ pour intervenir dans l’un des principaux salons de voyage, mais à contrario, j’ai accepté de parler gratuitement au festival de littérature de Cheltenham.
- Le « Kofi » : un moyen pour les gens de « m’offrir un café virtuel » s’ils apprécient un article de blog ou une newsletter. Une sorte de pot à pourboire numérique.
- Les articles dans les magazines : je me souviens de la première fois où j’ai été payé pour écrire un article après une année passée à parcourir l’Afrique à vélo. J’étais fier et étonné de voir que je pouvais recevoir de l’argent pour écrire ! Mais est de plus en plus difficile de gagner sa vie en écrivant en freelance et je ne m’y intéresse plus vraiment.
- Les partenariats et programmes d’ambassadeurs de marque : d’abord du matériel, puis de l’argent. Pour l’instant, Alpkit et The North Face me versent un montant annuel pour utiliser leur matériel, les promouvoir et les soutenir.
- La publicité dans les podcasts : Komoot paie pour une publicité sur mon podcast.
- Vendre des photos de voyage : lorsque j’ai commencé à essayer de gagner ma vie grâce à l’aventure, j’ai dû franchir le plus de portes possibles ! Mais ça me rapporte encore environ 117€ par an.
- Les conférences : les événements en entreprise constituent la majorité de mon travail de conférencier ces jours-ci pour la raison pragmatique (sinon noble) que je n’ai plus autant de temps qu’avant et qu’ils paient mieux que les écoles. Mais les conférences dans les écoles restent le revenu le plus durable et le plus stable que j’ai jamais eu.
Les sources de revenus à éviter selon Alastair Humphreys
Il y a quelques activités typiques des aventuriers qui rapportent de l’argent mais que je ne pratique pas personnellement, pour diverses raisons : faire le guide, organiser des voyages, écrire des guides, faire des émissions de télévision, des ateliers pratiques, construire des sentiers de randonnée… Mais il y a aussi certaines voies sur lesquelles j’ai tenté de m’aventurer, et que j’ai laissé tomber :
- Les bannières publicitaires sur les blogs : quand les blogs ont eu leur heure de gloire, je parvenais à gagner quelques milliers de dollars par an grâce à la pub. Plus maintenant, hélas !
- Faire la manche : j’ai déjà vécu avec seulement les 120 euros que j’avais gagnés en un mois en jouant du violon en Espagne !
- Les micro-aventures dans les entreprises : de nombreuses personnes m’envoient des courriels pour me demander si je peux les emmener en micro-aventures. Je connais les avantages de s’asseoir autour d’un feu pour résoudre les énigmes de la vie. Je m’adresse souvent aux entreprises, qui sont toujours à la recherche de projets intéressants pour créer des liens. Mais il m’a semblé étrange de faire payer les gens pour dormir sur une colline : il fallait que ce soit cher pour que cela vaille la peine, cela n’était pas compatible avec tous mes discours selon lesquels l’aventure est pour tout le monde et facile à faire. Donc, après quelques voyages (qui ont été très réussis et que tout le monde a aimés), j’ai mis l’idée de côté. Il faut aussi avouer que cette initiative à soulevé quelques critiques. Cela dit, c’est facile de critiquer ceux qui arrivent à gagner de l’argent grâce à l’aventure … sans pour autant proposer d’autres idées pour me rémunérer.
- Vendre des trucs sur eBay : c’est un peu contraire à l’éthique et à l’esprit des choses, mais au début, quand les entreprises me donnaient du matériel gratuit, je vendais sur eBay les choses dont je n’avais pas besoin. Il faut bien manger…
- Les conseils d’expédition : l’une des guerres constantes de ma vie (et de la vôtre, je suppose) est contre la « tyrannie de l’e-mail », et l’abus de pouvoir que cela donne à certains. J’ai reçu tellement d’e-mails de personnes souhaitant obtenir des conseils sur la planification d’une expédition, en plus des articles que j’avais déjà écrits sur mon blog, que j’ai essayé de faire payer les appels Skype pour aider les gens. En réalité, chaque fois que quelqu’un était prêt à payer, je me sentais tellement honoré ou coupable que je lui parlais gratuitement ! Je n’ai donc pas gagné d’argent, mais cela m’a servi de filtre pour trouver des personnes qui étaient sérieuses dans leurs projets et qui respectaient suffisamment mon temps pour envisager de payer.
- Écrire une chronique dans un magazine : j’écrivais une chronique mensuelle pour le magazine Trail pendant un an. J’ai bien aimé cela, mais arrêter de le faire m’a débarrassé de beaucoup de charge mentale, et m’a rendu du temps et de l’enthousiasme que j’ai pu consacrer à un travail qui me passionnait davantage.
- Des fiches éducatives : j’ai passé un peu de temps à écrire en freelance pour Hope and Homes for Children – une association caritative britannique oeuvrant pour l’éducation et l’encadrement des enfants dans plusieurs pays d’Europe centrale, orientale, et en Afrique – en créant des fiches éducatives sur mon tour du monde à vélo.
- Vendre des t-shirts #microadventure : disons que lorsque l’on commande en gros, entre les tas d’options et de tailles, s’occuper de toutes les commandes, de l’expédition, des imprévus… ça donne de sacrés maux de tête ! Le bon côté des choses, c’est que j’ai maintenant assez de t-shirts pour le reste ma vie !
- Les conférences de Sustrans : pendant quelques années, j’ai facturé à Sustrans – une oeuvre caritative britannique se concentrant sur le développement de pistes cyclables au Royaume-Uni – un tarif journalier, puis j’ai fait autant de conférences qu’ils pouvaient en organiser dans la journée. Le record : huit écoles en une journée ! C’est épuisant ! (Mais aussi amusant et utile.)
- Les mariages : j’ai vraiment apprécié de photographier quelques mariages. J’avoue que j’ai une terrible tendance à m’éparpiller, plutôt que de faire une seule chose bien.
Les conférences, presque la moitié de ses revenus
Pendant les quatre premières années de ma grande aventure (c’est-à-dire mon tour du monde à vélo), j’ai survécu avec environ 8200€ d’économies. Une fois que j’ai commencé à gagner de l’argent grâce à l’aventure, pendant de nombreuses années, 90 % de mes revenus provenaient de conférences (principalement dans les écoles, puis dans les entreprises), 10 % de la vente de livres et un peu des autres revenus mentionnés ci-dessus. Les livres et les conférences sont une façon intéressante de payer sa vie. D’année en année, les revenus ont augmenté (heureusement !), mais les pourcentages sont restés assez constants.
Au fil du temps, la courbe a changé. Aujourd’hui, je gagne environ 40 % de mes revenus grâce aux conférences, 40 % en travaillant avec des marques, 10 % grâce aux livres et 10 % grâce aux podcasts. Si je pouvais choisir ma source de revenu de rêve pour l’avenir, ce serait 50 % grâce aux livres, aux bulletins d’information, etc. et 50 % des projets qui me plaisent, comme les podcasts ou la réalisation de films.
Au départ, je travaillais dur pour gagner de l’argent parce que j’en avais besoin pour me maintenir à flot. Quelques années plus tard, la motivation de l’argent est devenue une question d’ego, comme une manière de surpasser le souvenir des années où j’étais fauché et qui étaient horribles.
Je ne maximise pas du tout mes revenus (« revenus passifs », recherche de conférences, écriture de livres en fonction des niveaux de vente probables – ce genre de choses). Je n’ai pas vraiment de stratégie précise établie à l’avance. Mais les fois où j’ai fait passer l’argent en premier, je n’étais pas fier de moi. Les fois où j’ai fait quelque chose d’apparemment délibérément anti-cash finissent généralement par générer le plus de cash de toute façon ! (Je présume que c’est parce que cela devient un projet original, énergique, enthousiaste et authentique). Tout ce que j’ai appris, c’est qu’une fois que vous avez assez d’argent, courir après plus d’argent ne mène pas au bonheur. »
Photo d'en-tête : Alastair Humphreys- Thèmes :
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