Ce mercredi 26 avril 2023 à 17h (heure du Tibet), Sophie Lavaud, accompagnée de la norvégienne Kristin Harila, de la mexicaine Viridiana Alvarez et de leurs sherpas, ont atteint le pic tant convoité du Shishapangma, en Chine. L’himalayiste franco-suisse de 54 ans, a ainsi réussi l’escalade de 13 montagnes de plus de 8000 mètres sur les 14 que compte la chaîne himalayenne. Elle devient donc l’alpiniste français (tous genres confondus) et la suissesse la plus capée.
Le 11 mai 2012, Sophie Lavaud atteignait le sommet central du Shishapangma, situé à 8013 mètres. 14 mètres la séparaient alors du point culminant de la montagne tibétaine, situé à 8027 mètres. 11 ans plus tard et après avoir gravit 12 montagnes de plus de 8000 mètres, Sophie Lavaud était de retour sur les cimes de son premier 8000 pour en atteindre le vrai sommet. Une nouvelle ascension qui était devenue un point d’honneur pour celle qui s’est donnée l’objectif de gravir les 14 plus hauts sommets officiels de notre planète.
Il ne lui reste donc plus qu’un sommet de 8000 mètres pour réussir son ambitieux projet : le Nanga Parbat. Située au Pakistan et culminant à 8126 mètres, cette montagne est la neuvième plus haute du monde. Parmi les spécialistes de la discipline, elle est considérée comme l’une des plus dangereuse à gravir. Pour Sophie Lavaud, l’ascension de cette ultime montagne représenterait l’aboutissement de plus de 10 ans de projet.
Il y a un an presque jour pour jour, le 25 mai 2022, nous avions longuement interviewé Sophie Lavaud alors qu’elle se reposait à Katmandou entre son ascension du Lhotse (8 516 m) et celle du Nanga Parbat (8 126 m), prévue en juin cette année-là. Nous la republions intégralement aujourd’hui. L’occasion de la lire ou la relire afin de comprendre comment travaille l’alpiniste franco-suisse qui comptait alors douze sommets de 8000 m à son actif.
En France, une seule personne a gravi douze « 8000 », et c’est une femme : Sophie Lavaud
Elle rêvait de danse classique adolescente, aujourd’hui, avec 12 sommets de plus de 8 000 mètres à son actif, elle n’a jamais été aussi proche de devenir la première Française, hommes et femmes confondus, à gravir les fameux 14 x 8 000, « le Graal » pour elle. Mais attention, Sophie n’est pas une collectionneuse à tout prix. Ce qu’elle aime c’est « le monde de l’expédition, l’Himalaya ».
14 mai 2022. Sophie Lavaud est au sommet du Lhotse (8 516 m), son 12e de plus de 8 000 mètres d’altitude. À ce jour, aucun Français, homme et femme confondus, n’a réuni pareille collection. « Le Français Benoit Chamoux, décédé sur le Kangchenjunga (son 14e 8000), a deux sommets contestés. C’est la raison pour laquelle certains disent que je suis la première, d’autres disent que c’est Benoît… » tient à préciser Sophie, nullement prédestinée à se lancer dans cette quête aux 14 x 8 000. Adolescente, la Franco-Suisse-Canadienne rêvait plutôt de danse classique, une discipline qui lui a permis de « forger, pendant des années, un mental qui [l’] aide aujourd’hui » nous confie-t-elle.
« À force de travail, d’investissement à plein temps, ça paye »
La passion de l’alpinisme lui vient sur le tard, à trente-six ans, sur les pentes du Mont Blanc, « lors d’un pari avec un ami ». « C’est un peu le début du déclic pour la haute montagne. Au début, c’était un rêve, j’ai essayé de le concrétiser. Et à force de travail, d’investissement à plein temps, ça paye ». Mais Sophie insiste sur un point important : la progressivité. « Après le Mont Blanc, j’ai commencé à gravir des sommets de plus de 5 000 mètres puis des 6 000, des 7 000. Avant ne serait-ce que d’envisager un 8 000, il y a eu dix ans d’alpinisme dans les Alpes, dans les Andes. C’était un long chemin. C’est venu petit à petit ».
Il lui faudra attendre 2012, avant de se dresser au sommet central de son premier 8 000, le Shishapangma (8 012 m), et non pas le sommet principal qui culmine à 8027 mètres. Raison pour laquelle elle a décidé d’y retourner lors d’une prochaine expédition, via un autre itinéraire. Deux ans plus tard, elle arrive sur le toit du monde. « C’est à partir de là que j’ai commencé à chercher des sponsors parce que je n’avais pas les budgets suffisants pour ces ascensions. Je travaillais encore à l’époque. Fin 2015, j’ai décidé de tenter cette aventure des 14 x 8000, et de me consacrer pleinement au projet en vivant de sponsoring – et de conférences aujourd’hui » nous explique-t-elle. Ce qui la motive ? « Le rêve, le Graal, tenter l’impossible ».
« Je ne le fais pas pour être la première »
Mais au-delà de la performance pure, Sophie « aime le monde de l’expédition, l’Himalaya. (…) C’est l’univers qui [l’] attire, qui [lui] plaît ». La pression extérieure ? Ce n’est pas son moteur. « Je ne le fais pas pour ça, je ne le fais pas pour être la première ou le premier ». Et quand on lui pose la question de l’oxygène, elle répond sobrement, « chacun fait comme il en a envie ». Les 14 x 8000 en style alpin ? « Ce n’est pas une question de motivation. Le risque que l’on prend à aller au-dessus de 8 000 mètres, et a fortiori à plus de 8 500 sur les gros 8 000, ce n’est, pour moi, même pas envisageable sans oxygène. C’est un débat tellement vu et revu, commenté et interprété. J’ai une façon qui m’est propre de gravir mes sommets. En fait, j’utilise très peu d’oxygène, il m’est arrivé de faire des sommets sans ».
« Si tu pars avec la trouille au ventre, tu vas faire dix pas avant de faire demi-tour et de retourner dans ta tente »
Avec l’expérience, Sophie a appris à minimiser au maximum les risques qu’elle prend en haute montagne. « Je travaille toujours avec la même équipe, des gens très compétents, dont un météorologue professionnel… mais il n’y a évidemment pas de risque zéro ». La peur ? Elle n’y pense pas. « Si tu pars avec la trouille au ventre, tu vas faire dix pas avant de faire demi-tour et de retourner dans ta tente » souligne-t-elle. « À chaque fois que je redescends d’un sommet, je me dis ‘j’arrête, c’est tellement dur’. Puis après, dès que tu as récupéré, tu rentres mentalement dans le projet suivant, tu te motives pour la prochaine aventure. Chaque expédition est unique. Au final, je retrouve toujours l’énergie pour repartir. ».
Prochain départ prévu en juin, pour le Nanga Parbat (8 126 m), son 13e 8 000. Quant au Shishapangma (8 027 m), il lui faudra attendre encore un peu. « Pour le moment, les frontières chinoises sont toujours fermées. On n’a donc pas la possibilité d’y aller. Ça n’ouvrira certainement pas cette saison ». Un facteur qui risque d’empêcher Kristin Harila, jeune alpiniste norvégienne de boucler les 14 x 8000 en moins de six mois et six jours. « C’est chouette que ce soit une femme qui s’attaque au record de Nims (Dai, ndlr). Elle est loin d’avoir fini, on en reparlera cet automne. Mais ce qu’elle a fait, c’est déjà magnifique » soutient Sophie.
Quand on lui demande si elle pense boucler les 14 x 8 000, elle répond : « Je ne sais pas. Il en reste deux, c’est encore beaucoup, il peut se passer plein de choses ». Et une fois qu’elle aura obtenu « le Graal », que fera-t-elle ? « Je ne me projette pas dans l’après, parce que ce n’est pas fini. Je pense qu’il ne faut pas brûler les étapes ». Peut-être en profitera-t-elle pour renforcer son activité de conférencière ? Ou bien son engagement auprès de l’ONG Terre des hommes, visant à améliorer les conditions de vie des enfants népalais ?
Si vous voulez en savoir plus sur Sophie Lavaud, on vous conseille le livre « Une femme, sept sommets, dix secrets – l’éloge du savoir suivre», où elle développe sa théorie contre-intuitive du « following » selon laquelle « c’est en suivant que l’on arrive au sommet ».
Photo d'en-tête : Seven Summit Trek