C’était son objectif de l’année, voilà qui est fait ! Trois semaines seulement après avoir remporté brillamment la Western States, l’Américaine bien de gagner la Hardrock, ultra de 100 miles (160 km) et 10 000 m de dénivelé positif organisé dans le Colorado ce week-end. Au passage elle améliore encore le record féminin, qu’elle détenait… et se classe 4e au scratch, manquant de très peu le podium !
Longtemps on a cru que Courtney Dauwalter monterait sur le podium cette année, juste derrière les Français Aurélien Dunand-Pallaz (23:00:07) et Beñat Marmissolle (23:50:06), respectivement 1er et 2e au classement masculin de la redoutable Hardrock, mais il aura fallu la très belle remontée de l’Espagnol Javier Dominguez, arrivé en 26:12:01 pour que l’Américaine se fasse voler la 3e place au général, à pas grand chose. Reste que la vainqueure féminine, qui a fait une très belle course en 26:14:18, s’impose en 4e position au scratch laissant loin derrière des athlètes masculins pourtant données pour favoris.
Ajoutez qu’elle vient aussi d’améliorer son propre record (26 :44) décroché en 2022 où déjà elle faisant sensation en arrivant 6e au scratch. Gageons que Courtney, qui aime dire qu’elle part toujours très relax et sans objectif de podium, comme elle nous l’expliquait récemment dans une longue interview que nous reproduisons intégralement ci-dessous, aura à coeur très bientôt de montrer qu’elle peut « faire mieux que les boys » ce qui est loin d’être sa préoccupation principale, mais quand même.
Car pour elle ce classement a comme un air de déjà vu. On se souvient qu’en 2022, elle faisant sensation en arrivant 4e au général sur la Diagonale des fous. Un exploit alors qualifié « d’historique », en passe de devenir une habitude pour l’incroyable Courtney.
Courtney Dauwalter : « sur un 100 miles, j’explore encore et encore ma ‘caverne de la douleur’ »
Le week-end dernier sur la redoutable Western States100, l’Américaine de 37 ans affolait à nouveau les chronos : première avec près de 80 minutes d’avance sur Ellie Greenwood, détentrice du record féminin depuis 2012. Et… sixième au scratch ! Une performance qui ne va pas sans son poids de souffrance, comme elle nous le confiait hier dans une longue interview très cash.
Sa marque de fabrique – outre ses longs shorts de basket dont elle ne se défait jamais, au point que Salomon, son sponsor, vient d’en sortir une version siglée curieusement baptisée « shortney » – c’est le sourire. Eblouissant. Et quasi constant. Au point qu’on pourrait douter de sa sincérité, surtout quand Courtney Dauwalter l’affiche alors qu’elle a 160 kilomètres, 5514 mètres de dénivelé positif et 7001 mètres de dénivelé négatif dans les jambes, comme c’était le cas ce week-end à l’issue de son éblouissante Western States100, remportée haut la main. Mais ce serait mal connaître l’Américaine que de ne voir là qu’une façade. Car outre un mental d’acier, l’un des autres secrets de la championne de trail, c’est sans doute le plaisir et la joie profonde de courir et d’être là « dans la communauté du trail ». Reste que l’expérience va aussi avec son revers, que tous connaissent dans l’ultra : la douleur. Un vieil ennemi dont chacun s’accommode à sa façon. Et la sienne est très personnelle comprend-on à l’issue de l’entretien très ouvert qu’elle a accordé à Outside, à peine posé son sac chez elle, à Golden, dans le Colorado.
Sur ton Instagram, tu te décris en ces termes : « Ultra traileuse adorant les shorts longs et les bonbons », tu dois pouvoir compléter un peu cette joke, j’imagine ?
Comment je me définirais ? (elle rit). Je ne sais pas. Disons que j’essaie de vivre chaque jour aussi pleinement que possible et de toujours donner le meilleur de moi-même. C’est important pour moi aussi de mettre du « fun » dans ma vie. Cette attitude ne doit rien à un événement qui m’aurait bouleversée, mort ou perte majeure, mais au temps, à l’expérience. En vieillissant, j’ai de plus de plus conscience qu’on n’a droit qu’à un tour de piste sur cette terre. A nous donc d’en profiter au maximum et d’engranger au fil des jours des souvenirs et des expériences riches.
Tu as grandi dans le Minessota, dans le Midwest américain, seule fille entre deux frères, que doit cette philosophie à ton éducation ?
Mes parents nous ont toujours éduqués en nous expliquant clairement que quand on commençait quelque chose, on allait jusqu’au bout, on ne lâchait pas en route. Si on s’inscrivait à un sport, on finissait la saison, qu’on accroche ou non. Même chose pour un projet scolaire. Avec bien en tête le fait que si tu avais donné le meilleur de toi-même, c’était ok. Forcément, ça te forge le caractère.
Après tes études à l’université de Denver puis du Mississippi, tu te retrouves prof de sciences, ce principe va t’y servir ?
Oui, c’est un bon principe mais qui vaut aussi pour la vie en général !
Dans ta carrière de traileuse, as-tu traversé des moments où tu as eu conscience de ne pas avoir rempli ce contrat ?
Oui bien sûr. Je pense à mon premier 100 miles, en 2012. Au 60e, j’ai craqué. Avec du recul, de retour à l’hôtel, j’ai compris que j’avais généré des pensées négatives qui m’avaient impactée sur la suite. J’ai décidé alors de prendre les choses autrement sur mes courses suivantes. Aujourd’hui, des années plus tard, je suis heureuse d’en être passée par là. Il fallait que je vive cet échec pour comprendre le jeu mental auquel tu dois faire face sur un ultra.
A voir tes performances exceptionnelles – tu es la première femme à avoir remporté les quatre courses majeures du circuit mondial (Western States 100 en 2018, UTMB 2019 et 2021, Hardrock 2022, et Diagonale des fous 2022) Chez les hommes, seul Kilian Jornet a réussi cet exploit – on en vient à se demander si tu n’as pas un capital génétique hors du commun…
Non, tout ce qu’il y a de plus normal ! (elle rit). Je n’ai jamais fait cette étude, tu sais où on te donne précisément tes origines, mais je sais pour sûr que j’ai des ascendances suédoises et allemandes. Cela dit, dans la famille on est tous très actifs et on adore le sport. C’est dans cet environnement que j’ai grandie. Et si mon cas intéresse les scientifiques ? Ah non, pas à ma connaissance.
En revanche ton approche de la souffrance, inhérente à l’ultra, pourrait faire l’objet d’une étude, quand as-tu commencé à développer cette idée de « caverne de la douleur » ?
Il y a plusieurs années maintenant. Je l’appelle « pain cave », caverne de la douleur, c’est comme ça que je le visualise très clairement, mais pour d’autres c’est le « hurt locker » (le placard de la souffrance ndlr) ou le « struggle bus » (le bus de l’effort). Au début je savais que sur un ultra la douleur allait forcément arriver. Et je tentais de l’éviter et de repousser le moment où j’allais devoir m’y confronter. Mais, il y a quelques années, j’ai décidé de changer mon état d’esprit, car, que je le veuille ou non, j’allais devoir en passer par là. Alors mieux valait l’attendre, l’accueillir et m’en réjouir presque. Mon idée étant de m’installer à l’intérieur, d’en agrandir l’espace, ce qui revient à augmenter ma capacité à souffrir.
C’est une image mentale que je me suis forgée seule, sans l’aide d’un psy ou autre, et elle m’a aidée et m’aide toujours encore. Je suis quelqu’un de très visuel, je vois très bien cette grotte et ses tunnels. Quand je m’approche de son entrée, je mets mon casque, prends ma pioche et je commence à creuser pour l’agrandir. Mon but est alors d’y rester et de l’agrandir autant que possible, car ce faisant, je développe ma capacité de souffrance.
La semaine dernière (sur la Western States100, ndlr), j’ai passé beaucoup de temps dans cette grotte. Je ne sais jamais quand je vais arriver à son entrée. Sur certains trails tu es dans le dur quasiment dès le début, sur d’autres, ça n’arrive que bien plus tard. Mais je sais que d’une course à l’autre, je la retrouve telle que j’ai laissée la dernière fois. Elle ne retrécie jamais. Au pire, sur une course, elle peut rester stable et ne pas s’agrandir, mais pas se réduire. Dans la vie, mais particulièrement dans l’ultra, l’expérience est capitale. C’est terriblement vrai pour l’apprentissage de la douleur.
Contrairement à beaucoup de traileurs, tu es connue pour courir sans avoir les yeux braqués sur le chrono. Quel est ton rapport au temps ?
Ces courses sont si longues, que si tu es obsédé par le chrono, tu ne peux pas être dans le mouvement et surfer au mieux sur cette vague, alors inutile de checker ta montre, mieux faut suivre son intuition et tes sensations. Je préfère avoir plus de fun et voir comment réagit mon corps. Donc laisser de côté les chiffres, les datas et les plans stricts. Courir est censé être fun avant tout !
Malgré une enfance et une adolescence très actives sur le plan sportif – quadruple championne de ski nordique du Minessota au lycée – tu as commencé ta carrière de pro relativement tardivement, il y a 6 ans, à 32 ans. Tout au long de ton apprentissage de la course à pied, tu as sans doute fait des erreurs, quelle est celle que tu ne commets plus aujourdhui?
Il y a quatre ans, j’ai décidé de mieux prendre soin de mon corps. Avant 2019, je ne faisais pas de travail sur la force et n’utilisais pas de rouleaux de massage par exemple. Mais j’ai compris que je devais m’y prendre autrement et pas seulement me réveiller le matin, sauter dans mes baskets et filer sur les sentiers. Maintenant je m’accorde 40 minutes de mise en route avant de partir. J’ai mis ça au point tout seule, je n’ai pas de coach. Mais après m’être blessée en 2018, j’ai pas mal travaillé avec un physio et ça m’a aidée à réfléchir à tout ça.
Pas de coach, pas de pacer non plus sur une course comme la Western States100, tu aimes bien être en contrôle ?
Je n’ai pas de coach, parce que j’aime bien réfléchir à ce « puzzle » (la préparation, la course, la récupération, ndlr). Et pour les pacers, je cours souvent avec, mais là, sur la Western, j’avais envie de faire simple et juste de me focaliser sur courir.
Quelle est ta plus grande force d’après toi ?
Peut-être le fait d’arriver à trouver du fun dans beaucoup de situations. D’aimer ce que je fais et d’aimer aussi y travailler dur. C’est tout un état d’esprit, et ça m’aide pour courir.
Et ton ou tes points faibles ?
Oh, j’en ai beaucoup ! (elle rit). A commencer par le fait que je n’ai encore assez de facilité sur les terrains techniques, rocailleux par exemple.
Après avoir été professeur de sciences, athlète pro aujourd’hui, quel pourrait être le prochain chapitre de ta vie ? Tu te vois aussi mère par exemple ?
Aucune idée, on ne peut jamais prévoir le prochain chapitre, avec mon mari, Kevin Schmidt, on ne fait pas de projection. Quant à être maman, probablement pas. Mais je suis déjà une super tata !
Après tes derniers résultats au scratch sur des ultras majeurs – 4e à la Diagonale des fous 2022, 6e à la Western States100 il y a quelques jours, beaucoup te voient sur un podium aux côté d’athlètes hommes, ça t’amuserait ?
Je ne sais pas si c’est moi qui, la première, y arriverai, mais j’avoue que ce n’est vraiment pas une priorité pour moi. Sur la course, je donne tout ce que je peux, on verra où ça me mènera. Mais franchement, je ne suis pas obsédée par les résultats, ce n’est pas ce qui me motive. Quant à savoir si je suis une inspiration pour les autres femmes ? Je ne sais pas, mais ça serait formidable si je pouvais montrer qu’on peut réussir, même des choses difficiles.
Justement, dans la série « chose difficile », tu t’es donnée un objectif très ambitieux cette année, remporter la Western States100 et la Hardrock100, à trois semaines d’intervalle, comment t’y prépares-tu ?
Là, pour le moment, je viens tout juste de rentrer chez moi. Je n’ai pas de blessure, mais je vais écouter mon corps, voir quelles sont mes sensations et récupérer au niveau du sommeil et des calories. Pour le reste on verra, avec peut-être un peu de rando et de vélo. Et bien sûr de la pizza et des glaces ! J’adore ça !
Je suis super excitée par ce doublé. J’ai déjà coché la Western States, voilà, c’est fait, maintenant à voir ce qu’il se passe sur la Hardrock. Mais ce qui est vraiment cool sur un 100 miles, c’est que tout peut arriver ! Alors là encore, je vais essayer de rester dans l’instant présent, de rester là où se trouvent mes pieds et de jouir des moments où tout roule, tout simplement.
Sur la Hardrock, tu auras sur toi ta fameuse brosse à dents ou c’est une légende ?
Bien sûr, c’est tellement agréable de se brosser les dents quand tu fais une pause aux ravitos. Ca te donne un coup de fouet, te remet sur pieds et tout à coup tu te sens humain à nouveau. Les gens devraient essayer, vraiment !
Article initialement publié le 9 juin.
Photo d'en-tête : Salomon / Alexis Berg