A l’heure où des villes comme Paris ou Lille imposent aux runners le port du masque dans certaines zones, beaucoup s’interrogent sur les risques encourus pour tous ceux, piétons ou sportifs, qui croiseraient un coureur non masqué. Une question à laquelle se sont intéressés des chercheurs spécialisés en aérodynamique sportive. Leurs conclusions, publiées dans une étude pendant le confinement sont plus que jamais d’actualité.
Les coureurs ne s’étaient pas faits que des amis pendant le confinement avec l’arrivée de nouveaux adeptes du running. Notamment dans les grandes villes où les piétons, sortis le temps de leurs rares courses, voyaient parfois d’un mauvais oeil des runners soufflant fort envahir les trottoirs. Au point que Paris avait alors interdit cette activité entre 10h et 19h. Voilà que le communiqué de la Préfecture de Paris diffusé hier, mercredi 12 août, les stigmatise à nouveau en leur imposant le port du masque dans certaines zones de la capitale, au même titre que les piétons, rejoignant ainsi d’autres villes très restrictives, notamment Lille. Le risque serait donc bien réel ?
Devant les incertitudes sur ce point, des chercheurs en aérodynamique de l’université de Louvain en Belgique et de l’université d’Eindhoven, aux Pays-Bas, ont réalisé une étude conjointe dont les résultats ont été publiés en avril dernier, au cœur du confinement. Outside en avait alors rendu compte. Ces travaux ont suscité beaucoup de débats et demandent à être complétés, mais à ce jour, ils restent parmi les rares recherches sérieuses sur le sujet.
« Il s’agit d’une modeste contribution des ingénieurs et des aérodynamiciens pour aider un peu dans la lutte mondiale contre COVID-19 », expliquent les chercheurs, précisant qu’en raison de l’urgence de la situation et de la crise mondiale, ils ont exceptionnellement communiqué les résultats de leurs études au public, avant de les soumettre pour validation à la communauté scientifique. « Nous avons bien réfléchi à cet ordre inversé », écrivent-ils. « Compte-tenu de la situation, nous avons décidé qu’il serait contraire à l’éthique de garder les résultats confidentiels et de faire attendre le public pendant des mois pour que le processus d’examen par les pairs soit terminé. »
Qu’en concluent-ils ?
« Si la marche, la course à pied ou le vélo sont des activités bienvenues pour se changer les idées en cette période de COVID-19, il est préférable de ne pas pratiquer ces sports de plein air dans le sillage les uns des autres », au regard des dernières recherches des aérodynamiciens.
La règle de distanciation sociale – variant de 1 mètre en France à 2 mètres, au Royaume-Uni – est « très efficace » pour les personnes qui restent immobiles à l’intérieur ou à l’extérieur par temps calme, confirment-ils, mais ceux qui vont marcher, courir ou faire du vélo devraient être un peu plus prudents, selon eux. « Si quelqu’un expire, tousse ou éternue en marchant, en courant ou en faisant du vélo, la plupart des microgouttelettes sont entraînées dans le sillage ou le couloir de fuite derrière le coureur ou le cycliste. L’autre personne qui court ou fait du vélo juste derrière cette personne de tête dans le couloir de saut se déplace alors à travers ce nuage de gouttelettes », explique Bert Blocken, professeur de génie civil à l’Université technologique d’Eindhoven et à la KU Leuven.
« Le couloir de saut est la zone qui se trouve juste derrière une personne lorsqu’elle marche ou fait du vélo, et qui tire un peu l’air avec cette personne en mouvement, pour ainsi dire », précise-t-il. « Les cyclistes aiment se positionner dans le sillage des autres pour réduire leur résistance à l’air. Mais une personne qui marche ou court produit aussi un tel sillage. Nous avons vu que quelle que soit la forme de cette zone, les gouttelettes finissent dans ce courant d’air. Il est donc préférable d’éviter ce couloir de saut », conclut le chercheur.
Comment ont procédé les scientifiques ?
Les chercheurs sont arrivés à leurs conclusions en simulant la libération de particules de salive de personnes en mouvement – en marchant et en courant- et dans trois configurations différentes. Soit: deux personnes côte à côte, en diagonale l’une derrière l’autre et juste derrière. Ces modèles de simulation sont généralement utilisés par les scientifiques pour améliorer le niveau de performance des athlètes de haut niveau, coureurs et cyclistes qui gagnent en efficacité en restant dans le sillage des meilleurs. Or, en ce qui concerne le risque d’infection par COVID-19, il est recommandé de faire tout le contraire. A savoir, rester en dehors de ce sillage.
Les chercheurs ont présenté leurs résultats dans une série d’animations et de figures. Le nuage de gouttes laissé par une personne en mouvement est clairement visible. Les points rouges sur les images représentent les plus grosses particules, généralement considérées comme les plus contagieuses – point que devrait confirmer pour COVID-19 la recherche en virologie – et qui tombent plus rapidement. « Mais lorsqu’une personne traverse ce nuage de gouttelettes, son corps peut quand même s’en retrouvé couvert », explique le scientifique.
Les simulations montrent que la distance sociale joue un rôle moindre pour deux personnes qui marchent ou courent côte à côte par temps calme. Les gouttes se retrouvent alors derrière le duo. Ceux qui se déplacent en quinconce sont également moins susceptibles d’attraper les gouttes de salive de leur prédécesseur, du moins lorsqu’il n’y a pas de vent de travers important. Le risque de contamination est plus important lorsque les personnes marchent ou courent l’une derrière l’autre et donc dans le sillage de l’autre.
Sur la base des résultats obtenus, Bert Blocken conseille donc de garder une distance d’au moins quatre à cinq mètres derrière la personne qui précède en marchant dans le sillage, de dix mètres en courant ou en faisant du vélo lentement et d’au moins vingt mètres en faisant du vélo rapidement. « Si vous voulez doubler quelqu’un, il est également recommandé de commencer à amorcer l’opération en décalage à partir d’une distance assez longue – vingt mètres avec des vélos, par exemple, afin de pouvoir doubler prudemment et à une distance appropriée en se déplaçant en ligne droite ». Comparez cela à la conduite : si vous voulez dépasser, vous ne devez pas non plus attendre le tout dernier moment.
Reste à savoir, précisent les chercheurs, dans quelle mesure le résidu de microgouttelettes comporte encore un risque d’infection – une question importante qui fait actuellement l’objet de débats intensifs entre les scientifiques du monde entier. Mais dans l’attente de nouvelles recherches en virologie qui devraient permettre d’éclaircir cette question, mieux vaut garder ses distances. Dans l’intérêt de ceux que nous côtoyons comme du nôtre.
Article publié le 12 avril 2020, mis à jour le 13 août 2020
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