Devant le mécontentement suscité par l’annonce, hier soir, de la fermeture des classes pendant une semaine, Christophe Castaner vient d’annoncer que dès lundi 5 avril, les cours se tiendront à l’extérieur, du primaire au secondaire. « Les risques de contaminations étant quasiment nuls et la saison s’y prêtant », a-t-il déclaré à 14h à l’issue d’une réunion d’urgence avec Emmanuel Macron. Un nouveau revirement plutôt inattendu mais qui fera sans doute plaisir aux parents au bord du burn out. Une victoire aussi pour les spécialistes de l’éducation qui préconisent cette solution qui a fait ses preuves au Royaume-Uni, en Allemagne, ou encore au Danemark, comme nous l’expliquait Matthieu Chéreau, coauteur d’un ouvrage sur la question dans un article publié en mai dernier que nous republions intégralement aujourd’hui. 🐠
Même Anne Hidalgo, Maire de Paris, y avait pensé. Avant qu’elle ne demande la fermeture des écoles, elle avait été l’une des premières à autant insister pour déplacer les cours à l’extérieur – histoire de limiter les risques de contaminations dans les salles de classe. Mais ça, le ministère de l’Éducation s’est bien gardé de le rappeler cet après-midi, à l’annonce d’une « nouvelle approche, originale, parfaitement adaptée au contexte sanitaire actuel », a-t-il déclaré à l’issue d’un long entretien avec le président de la république qu’il a réussi à convaincre de ne pas fermer les classes à compter de lundi 5 avril, mesure initialement prise pour enrayer la pandémie. On ne peut que s’en réjouir et rappeler au passage que déjà, après le premier confinement, des dizaines d’enseignants, médecins, inspecteurs d’académie ou élus avaient cosigné une tribune publiée dans Le Monde ; puis une nouvelle dans Libération en février 2021 en faveur de cette nouvelle approche éducative. On ne peut qu’imaginer, au bout d’un an maintenant, à quel point les élèves ont besoin de respirer.
Six mois à devoir supporter le protocole du port du masque, des quatre mètres carrés par élèves, et de bien d’autres contraintes pour limiter les interactions dans les écoles. Depuis la rentrée scolaire en septembre 2020, tous les élèves de France ont dû se plier à des règlements stricts – tout ça pour si peu de résultats… Or hier, mercredi 31 mars, le Président de la République avait fini par annoncer la fermeture des écoles, collèges et lycées, pendant au moins trois semaines. Avant de changer radicalement de cap et d’annoncer, par le biais du ministre de l’Education, que non, les écoles ne seraient pas fermées, mais, au contraire, plus ouvertes que jamais : tous les cours se tiendront dehors, du primaire au secondaire. Le temps, très clément pour la saison s’y prêtant et la contamination à l’extérieur étant quasiment nulle. Christophe Castaner a immédiatement mis en place un groupe de travail afin de proposer aux directeurs d’établissements et au corps enseignant les solutions logistiques qui s’imposent afin de parer à d’éventuels orages ou baisses de température. Un revirement qui n’étonnera guère, ce n’est ni le premier, ni, sans doute le premier, mais pour une fois, on ne s’en plaindra pas. Cette solution allant dans le sens de nombre d’experts. Parmi eux, Matthieu Chéreau, coauteur de livres sur l’éducation (notamment « Préparons nos enfants à demain. Ces compétences qu’ils ne trouveront pas à l’école », sorti chez Eyrolles, en 2018) avec Moïna Fauchier-Delavigne. Journaliste au Monde, où elle traite les questions d’éducation, elle a publié de nombreux articles sur la pédagogie par la nature et les écoles en forêt. En devenant parents, ils ont eu l’intuition qu’il manquait à leurs enfants un lien avec la nature. On leur doit une remarquable enquête sur « L’enfant dans la nature », sortie en septembre dernier chez Fayard.
Développer une appétence à la joie
Tous deux sont partis d’un constat : « Les enfants vivent aujourd’hui entre quatre murs, coupés de la nature. Ils souffrent d’obésité, d’hypertension, de dépression, de troubles du comportement, etc. Quelle est la responsabilité du modèle éducatif ? En coupant la jeunesse d’un monde extérieur qui pourtant l’aide à grandir, n’est-il pas inadapté et dangereux ? ».
Pour en savoir plus, ils sont donc partis à la rencontre de pionniers, chercheurs, éducateurs, enseignants, qui se penchent sur l’importance des milieux naturels, des arbres, de la terre et de l’eau dans le bien-être de l’enfant. Ils se sont aussi rendus dans les écoles en Europe où la classe se fait à ciel ouvert, où l’enfant fait l’expérience de la nature.
Là, ils ont pu constater qu’un mouvement qui met la nature au centre du développement et de l’apprentissage de l’enfant croît rapidement dans le monde. Et, bonne nouvelle, il commence à prendre forme en France. « Les résultats sont là, explique Matthieu Chéreau, « les enfants qui bénéficient de cette approche acquièrent des compétences solides – d’un point de vue physique, mais aussi cognitif et social – et une appétence indéniable à la joie. Une autre éducation est possible, grâce à laquelle l’enfant redécouvre la richesse du monde dans lequel il vit. »
En Charente, des expériences concluantes
Lorsque le déconfinement arrivera, cette rentrée sera déjà compliquée à gérer par son calendrier alambiqué. En premier, ce seront donc les crèches, les écoles maternelles et primaires qui rouvriront leurs portes pour assurer tous les cours en présentiel à partir du 26 avril. Les collégiens et les lycéens, eux, devront attendre le 3 mai, soit une semaine plus tard. C’est l’opportunité de renouveler les pratiques, de voir les choses autrement, comme l’expliquait déjà Matthieu Chéreau en mai 2020. « Moïna Fauchier-Delavigne et moi avons tous deux des enfants entre quatre et huit ans. Après avoir fait la classe pendant deux mois, nous pouvons nous mettre à la place des éducateurs comme des parents.
La situation est inédite, et nous avons le sentiment qu’il y autant d’inquiétude chez les enfants que chez les adultes. La grande crainte, c’est que cette inquiétude pèse sur les enseignements et sur les enfants, déjà fortement affectés pendant le confinement par l’absence d’espace extérieur où jouer et s’épanouir. Or, personne ne veut vivre ces retrouvailles sur ce mode-là. Alors qu’elles devraient être le temps de la transmission et du partage. Faire la classe dehors gommerait un peu cette angoisse et serait plus dans le plaisir.
Les enfants vont retrouver l’école, ce moment doit être un temps agréable, allégé de toute anxiété. C’est totalement compatible avec les règles de sécurité qui s’imposent aujourd’hui, que ce soit dans une cour ou un parc. Sortir de la classe permet de jouir d’espaces plus vastes. Gérer les contraintes de distanciation y est plus facile qu’entre quatre murs, d’autant qu’il y est inutile de s’embarrasser des outils qu’ils ont en classe’ », poursuivait-il.
Ces pratiques, considérées par certains comme un peu « farfelues », sont déjà appliquées en France depuis quelques années, avec succès. Notamment en Charente, à Poitiers, où une enseignante s’est fortement impliquée dans cette approche. Au point de former à son tour d’autres éducateurs. Une approche soutenue par une inspectrice d’Académie et une élue. Sans surprise, c’est aussi en Nouvelle-Aquitaine qu’on retrouve nombre d’élus signataires de la tribune parue dans Le Monde, notamment Guillaume Barucq, médecin généraliste, adjoint au maire de Biarritz à l’environnement.
Une approche efficace et peu coûteuse
Il y a quelques semaines, une nouvelle tribune a pris le relais. Lancée le 19 février 2021, elle compte 2804 signatures, sur un objectif de 5000. « Nous croyons beaucoup à la mobilisation des acteurs sur le terrain », expliquait Matthieu Chéreau. « Le plus important, c’est que le plus d’enseignants possible la signent et qu’ils s’emparent de tous les outils pédagogiques mis à disposition sur notre site.
La mobilisation actuelle autour de ces pratiques, notamment de plusieurs conseillers pédagogiques, montre qu’on a franchi un palier – et ce, depuis un an déjà. La France est en train de tendre vers la situation de pays comme le Royaume-Uni, où toutes les écoles doivent avoir un enseignant formé à l’école dans la nature, l’Allemagne, ou le Danemark où l’on apprend dehors aussi bien que dedans.
Les deux approches sont compatibles et complémentaires. Au départ, les enseignants ont des réticences car ils sortent de leur zone de confort et ils manquent d’outils et de repères, mais nous faisons le pari qu’ils intégreront ces méthodes à leurs pratiques quotidiennes, avec des variations selon les sites et les saisons, bien sûr. Mais peu à peu, enseignants et enfants devraient y trouver de l’intérêt et surtout, du plaisir. »
« Pendant le confinement, de nombreux établissements rêvaient de pouvoir s’y mettre, et d’enseigner à l’air libre, au soleil. Cela n’est pas interdit, c’est possible en ville comme en milieu rural, et très peu coûteux. Pour la reprise scolaire, si nous faisions la classe dehors ? C’est devenu indispensable », concluaient Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne dans leur tribune.
Article initialement publié le 5 mai 2020, mis à jour le 1 avril 2021
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