Athlètes olympiques, sportifs professionnels, Kelly Starrett a passé plus d’une décennie à les entraîner. Il nous livre ses méthodes pour aller plus loin.
Coach sportif et kinésithérapeute, Kelly Strarrett entraîne des athlètes depuis plus de dix ans au centre San Francisco CrossFit aux États-Unis. Parmi ses clients figurent des médaillés d’or olympiques, des cyclistes du Tour de France, des danseurs professionnels de ballet et des soldats d’élite. L’Américain est également l’auteur de plusieurs livres, dont Becoming a Supple Leopard, qui a été traduit en français. Son blog, MobilityWOD, a également été sélectionné par Outside (version US) dans la liste des dix meilleurs blogs de fitness.
Interviewé par Tim Ferriss (journaliste américain connu pour son Tim Ferriss Show), Kelly Starrett dit tout sur les stratégies et méthodes d’entraînement des meilleurs athlètes de CrossFit. Morceaux choisis, sélectionnés pour vous par Outside.
Tim Ferriss : Quelles sont les erreurs courantes commises par les entraîneurs ou les pratiquants de CrossFit ?
Kelly Starrett : Beaucoup cherchent des excuses en invoquant le corps humain : “Ah, si tu ne peux pas t’accroupir sur les talons, c’est à cause de la structure de ta hanche. Ah, certaines personnes n’ont pas de fémurs assez longs et ne peuvent pas faire caca dans les bois et s’accroupir jusqu’au sol”. Et je me dis : “Qu’est-ce que vous racontez, là ? Vous devriez être capable de vous accroupir avec les pieds joints, les chevilles jointes, jusqu’au sol, ce qui montre que les hanches et les chevilles fonctionnent bien. Vous devriez être en mesure de vous pencher pour ramasser une haltère en gardant le dos droit et les jambes tendues. Mais les gens qui viennent à la salle ont parfois l’air à peine humains. Ils ont de gros muscles, parce que c’est ce qu’on leur a dit qu’il fallait avoir. Mais ils n’ont pas 50 % de l’amplitude de mouvement qu’ils devraient avoir.
Il faut alors avoir une petite conversation pour revenir aux bases. Oui, on peut s’accroupir avec les pieds en canard. C’est tout à fait possible. On peut établir un record du monde en dynamophilie comme ça. Mais vous savez ce qu’on ne peut pas faire ? On ne peut pas courir. On ne peut pas sauter et bien retomber. Ça cause vraiment plein de problèmes…
Quels sont les principes qui expliquent le succès du CrossFit ?
Si vous regardez la version originale de Fitness in 100 Words or Less (Le Fitness en moins de 100 mots), de Greg Glassman [le créateur du CrossFit, ndlt], on y lit : “Découvrez et pratiquez régulièrement de nouvelles activités sportives.”
Ça veut dire : vous avez ces aptitudes, allons voir ce que ça donne dans un autre domaine. Le CrossFit est, pour moi, le meilleur entraînement complet que je connaisse. J’ai vu des versions peaufinées, améliorées… Mais je n’ai pas, à ce jour, vu quelque chose qui me semble mieux pour une préparation physique générale. Je veux que mes filles aient un ensemble d’aptitudes et une bonne condition physique et c’est le meilleur moyen d’y arriver selon moi.
Est-ce que je demanderais à tous mes athlètes de la National Football League [la ligue de football américain, ndlr] de faire quelque chose qui ressemble exactement à du CrossFit ? Non. Mais je peux toujours garder les principes de base. Le problème, c’est que nous confondons parfois la capacité d’accomplir beaucoup de travail avec la capacité d’être athlétique. Pour moi, l’une des définitions du meilleur athlète est celui qui acquiert une nouvelle compétence le plus rapidement possible.
Pensez-vous que trop de CrossFitters se concentrent sur l’entraînement et non sur la pratique ?
Tout à fait ! Mais laissons un peu de côté le CrossFit une minute et concentrons-nous sur la course à pied. C’est une compétence très technique que nous devrions développer dès notre plus jeune âge. C’est l’une des bases pour être un bon athlète. C’est intéressant de regarder la routine d’entraînement des athlètes la NFL. Ils sautent, font du bench press (ou développé-couché), ce qui est d’ailleurs une blague – c’est le seul truc qui soit une blague – mais pour le reste ce sont des exercices de course et de vitesse avec changement de direction. C’est un travail sur la fluidité, sur l’économie de la course à pied… Donc, si on regarde comment courent la plupart des gens, quelles compétences développent-ils réellement en courant ? Je veux dire, à part de se baisser en courant pour refaire leurs lacets.
Si, par souci de sécurité, vous deviez retirer trois exercices courants des salles de CrossFit, ce serait lesquels ?
Un rappel avant tout : tous les mouvements de la phase d’apprentissage en CrossFit sont fondamentalement sûrs si vous avez une condition physique normale. Mais l’exercice le plus dangereux, c’est le bench press, parce que souvent les gens n’ont pas de rotation interne dans l’épaule. Vous pouvez soulever des haltères toute la journée : faire le développé devant à la barre (ou développé militaire), le shoulder press… Vous allez rater en toute sécurité. Mais quand vous vous ratez pendant un bench press, l’épaule va se déplacer vers l’avant. Et c’est là qu’on se retrouve avec une déchirure du labrum.
J’enlèverais aussi les anneaux. Les gens peuvent faire des mouvements qui ressemblent à des ring dips – ils montent et ils descendent. Mais ils ne verrouillent pas leurs épaules qui se retrouvent dans de très mauvaises positions.
Si je devais encore retirer un exercice, ce serait le butterfly kip. Si on me demandait de faire une série de tractions, devinez ce que je ferais ? Le butterfly kip. Mais je comprends les principes de base et j’ai une bonne amplitude de mouvement. C’est un exercice totalement sûr. Mais au quotidien je vois des gens qui n’ont pas suffisamment d’amplitude de mouvement – je leur demande de mettre les bras au-dessus de leur tête, par exemple, et ils ne peuvent pas le faire – et du coup ils compensent.
Y a-t-il des traits communs que vous avez observés chez les CrossFitters d’élite que les amateurs peuvent incorporer à leur pratique ?
La plupart d’entre eux sont obsédés par la technique et passent beaucoup de temps à la peaufiner. Leurs positions sont donc plus naturelles. Les gens ne passent pas assez de temps à travailler à 100%, parce qu’on sait qu’on peut y arriver en étant à 80%. Montrez-moi que vous pouvez être à 100% de vos capacités ! C’est ce que ces athlètes de haut niveau font.
Je prends toujours cet exemple : Accroupissez-vous, les pieds joints. Gardez les talons au sol, les genoux l’un contre l’autre. Vous pouvez le faire ? Si vous ne pouvez pas vous accroupir, les genoux l’un contre l’autre, jusqu’au sol, en étant détendus, comme si vous étiez à un feu de camp, alors c’est que vous n’avez pas l’amplitude nécessaire des mouvements des chevilles et des hanches. Il manque une de ces choses. Et c’est ça qui crée le blocage à la hanche. C’est ça qui crée les fasciites plantaires, les hallux valgus, les déchirures du tendon d’Achille, ou les élongations au mollet. C’est ça le problème ! C’est ce qui devrait tous nous obséder. Le CrossFit, ou n’importe quel bon système d’entraînement, nous forcent à prendre des postures qui sont symptomatiques d’un problème existant.
Photo d'en-tête : Juliet Starrett