Ce doc, c’est le genre de film qui vous réconcilie avec l’humanité. Partager, pendant 43 minutes, le quotidien de Berni, Maya ou Sebastian, réunis autour d’un projet aussi fou que poétique mêlant highline, acroyoga et ruban sur les sommets de l’Oberland, vous déconfine illico et booste votre système immunitaire. Mais il nous a aussi donné envie d’en savoir plus sur cette communauté de Suisses un peu allumés affrontant le vide avec une joyeuse insouciance. Avec Davina et Sébastien Montaz-Rosset, les coréalisateurs, retour sur « Out of the blue », enfin disponible en VOD.
L’histoire
« Un énigmatique personnage recrute artistes de rue et montagnards pour un délirant projet sur les sommets de l’Oberland Suisse. Maja et Sebastian, talentueux jeunes acrobates bernois hésitent à se lancer sur cette odyssée verticale rocambolesque ». Le synopsis est aussi sobre que le film est riche. Pour en donner le ton et la couleur, on pourrait aussi citer Maja, l’une des protagonistes principales du film, qui excelle dans l’art du ruban, discipline de cirque faisant partie des numéros aériens : « Pour moi le sport ce n’est pas la compétition, c’est le jeu, le courage et l’expression corporelle ». Avec son compagnon, Sebastian, ils jonglent, font des acrobaties et de la slackline.
En septembre 2019, Berni, un mystérieux alpiniste passionné de glace rencontré quelques années plus tôt leur propose de participer à « Fisistock », un projet sur les sommets de l’Oberland à près de 2800 mètres, au-dessus de Kandersteg. Un mix d’acrobaties, de highline et d’acroyoga sur space nets, des filets tendus au-dessus du vide où pratiquent les acrobates. « La ligne la plus exposée de ma vie », avoue le highliner Sebastian. Pour Maja, en revanche, la montagne, c’est une première. Et, comme avoue une de ses partenaires : « C’est effrayant ! Tu peux en pleurer au début. Mais tu reviens avec un grand sourire ! »
Alors avec Maja, Sebastian, Mad et Pow, Simona, Alexis, Oliviea, Mia, Anna, Joli et Cris, le spectateur se laisse embarquer sans trop savoir comment dans le quotidien de cette étonnante communauté mêlant montagnards et artistes de cirques. Et quand on demande à Maya pourquoi elle est là, au-dessus du vide, à mille lieux de ses repères, elle répond en souriant : « Pour l’aventure ! ».
Voilà pour l’histoire dans laquelle nous jette sans trop de préambules Sébastien Montaz-Rosset, guide de haute montagne et réalisateur multiprimé auquel on doit entre autres, côté trail « Path to Everest« , documentaire sur Kilian Jornet revenant sur le doublé historique de son ascension de l’Everest en mai 2017. Et côté slack, « Le petit bus rouge, histoire des Flying Frenchies », sans parler, bien sûr, de « I believe I can fly ». Un film fondateur, nous expliquait dans une interview Nathan Paulin, champion du monde de cette discipline. « C’est le premier film de highline que j’ai vu, quelques temps après avoir commencé la slackline. C’est lui qui m’a fait découvrir cette pratique et donné envie de l’essayer. C’est LE film des précurseurs de cette discipline, avec des images incroyables ».
Sur le Fisistock, Sébastien Montaz-Rosset est donc en terrain connu. Mais pas complètement sur ses terres. Tant cette communauté est unique. Au-delà des scènes saisissantes, c’est cette singularité, cette « humanité », qu’il capte avec une caméra très mobile.
Le mystérieux Berni, l’artisan du projet
« Bernhard Witz, alias Berni est un alpiniste passionné de glace. A son palmarès, notamment, le ‘Beta Block Super’, l’une des cascades de glace parmi les plus difficiles des Alpes. Highliner confirmé, il parcourt les montagnes pour poser sa ligne dans des endroits magiques. Il s’est rendu sur des sites reculés, notamment le mur des trolls en Norvège ou le sommet des chutes Angel au Venezuela. Il pratique également l’acroyoga en montagne. Avec le projet Fisistock, il a voulu combiner acrobatie et sports de montagne avec des montagnards et des urbains. », détaille la production du film. Enfin, à 38 ans ce Bernois charismatique mais aussi pragmatique est chargé de la numérisation du musée au Kunstmuseum Basel.
« C’est un copain d’escalade qui en 2006 m’a donné le virus de la slackline », explique-t-il. « À cette époque, vous ne pouviez pas acheter de sets de slackline en magasin. Une nouvelle communauté de slackliners commençait seulement à se développer en Europe. On se rencontrait lors de festivals de slackline, on partageait nos connaissances, on montait des projets de highline à travers l’Europe. En 2008, je suis parti avec un ami dans la vallée du Yosemite, lieu de naissance de cette pratique, pour devenir les premiers Européens à répéter certaines des plus longues highlines de l’époque. »
Sebi (Sebastian, ndlr) et Maja, je les ai rencontrés à Berne, dans le parc de Dalmazi, sur l’Aar, où ils avaient l’habitude de s’entraîner tous deux pour leurs acrobaties. En fait, je n’ai vraiment connu Maja que sur le Fisistock. », nous explique-t-il. Mais l’homme a un sérieux background, sait se montrer convaincant et a plus d’un projet en tête . « Après avoir gravi la face nord de l’Eiger l’hiver dernier, j’aimerais escalader la face nord du Cervin l’année prochaine », dit-il. « Cet hiver, j’aimerais aussi faire des acrobaties aériennes en foulard dans une grande grotte glaciaire et me lancer dans un autre projet avec l’ ‘AcroSpacenet. Mais des idées pour de nouveaux lieux ou de nouveaux développements jailliront peut-être suite à la sortie du film », conclut-il.
Marja : l’acrobate aérienne propulsée sur la highline
Maja Walter a 24 ans. Passionnée d’acroyoga et de ruban, elle est une figure incontournable du parc de Dalmazi, à Berne, où elle s’entraîne avec son compagnon, le slackeur Sébastien Hope, ingénieur en génie de l’environnement. Cette bernoise polyglotte est Bachelor en médiation culturelle et étudiante en master option Art. Le week-end, elle enseigne l’art du cirque aux enfants.
« Le projet sur le Fisistock a été mon premier point de contact avec la highline » raconte-t-elle. J’ai une formation en acrobatie aérienne, c’est ainsi que j’ai pris goût à m’aventurer sur une highline. Je n’étais pas du tout dans la communauté de la slack et je ne connaissais ni Berni ni Cor (Cor Vinke artisan créateur des spacenets, filets installés au-dessus du vide où est pratiqué l’acroyoga, ndlr) avant le projet Fisistock. Mais mon petit ami, Sebastian, un passionné de highline depuis des années, le connaissait. Il m’a raconté que Berni et des amis avaient déjà accroché un ruban aérien sur une highline. J’étais ravie à l’idée d’ajouter une nouvelle dimension, une nouvelle facette à l’acrobatie aérienne en la combinant avec ce sport en pleine nature et en altitude. On s’est retrouvés invités sur le Fisistock, qui en était déjà au stade de la planification. Un projet d’une telle envergure, pour nous, c’était inimaginable ! Ca a été merveilleux d’y rencontrer Cor, le « maître des spacenets ». Un passionné qui crée des filets où faire des acrobaties en duo. Un an après, j’avoue que je ne peux toujours pas marcher sur une highline. Je m’y suis essayée à plusieurs reprises depuis, mais c’est beaucoup plus difficile que sur une slackline normale au-dessus du sol. Le « mindgame » est complètement différent. Mais je suis sure que j’y arriverai un jour ! »
Interview de Sébastien Montaz-Rosset
As-tu rencontré des difficultés techniques lors du tournage ?
« Peu, en fait. Car si le spot de tournage est à plus de 1800 mètres de dénivelé au-dessus du village de Kandersteg, il reste facile d’accès : amphithéâtres et falaises se faisant face permettent de varier les angles de prises de vue et nous avons pu largement recourir au drone. Reste que l’accès était long et lourd, car nous devions être totalement autonomes en matériel et nourriture pour le tournage et un bivouac de trois jours.
La difficulté a plus été de nouer des liens d’amitié dans un contexte de tournage court (3 jours sur place) et une culture suisse allemande plutôt froide … Cette communauté d’artistes en marge est peu encline à s’afficher devant l’objectif, elle se méfie de la camera, ne veut pas être mise sur le devant de la scène. C’est un milieu alternatif. Le plus difficile a donc relevé du relationnel, de mettre en place une confiance mutuelle. »
Concrètement, avec quels moyens as-tu tourné ?
« Au total, nous avons eu cinq jours de tournage. Le budget repose sur nos fonds propre, mais il s’agit aussi d’un fort investissement en temps (6 mois) car nous faisons tout, de la pré production à la post production, la distribution, les RP. »
Sébastien Montaz-Rosset est au tournage, soutenu pour les plans drone secondaires par Rami Ravasio. Davina Beyloos Montaz-Rosset et Sébastien gèrent le montage et la prod-production. Enfin, le compositeur Josue Vergara, a écrit la très belle bande son.
Quelles sont les grandes (bonnes/mauvaises) surprises rencontrées au cours des jours passés avec cette communauté ?
On a découvert là un grand esprit communautaire, reposant sur l’entraide. Ce sont des jeunes travaillant dur, une famille, des esprits en marge, coupés de tout, téléphone et réseaux sociaux. Ils vivent dans l’instant et non pour le paraitre.
A l’opposé, nous nous sommes heurtés à de la méfiance. Ils n’étaient pas prévenus de notre arrivée. La prise de contact était minime. Nous étions des inconnus à leurs yeux.
Enfin, tu connais bien le milieu de l’alpinisme, qu’est-ce qui fait la singularité de cette communauté suisse dont vous avez capturé les moments forts ?
Ici la performance est au second plan, la priorité est à l’expression artistique. L’esprit est communautaire, jamais individualiste. C’est un monde de simplicité, de savoir-faire, sans arrière-pensées.
Comment la définirais-tu ?
Hors du temps.
Cela t’a-t-il donné envie de prolonger ces liens et d’explorer cet univers ?
Plutôt de m’en inspirer dans ma vie quotidienne et dans mes rapports aux autres.
Pour voir en VOD le documentaire de Davina et Sébastien Montaz-Rosset, film indépendant, auto-produit et financé sans partenaires de marque. c’est ICI.
Photos : wildlicht
Photo d'en-tête : wildlicht