300 km de vélo, 800 mètres d’escalade (7c/+ max), 10 km de course à pied, une descente en parapente… Le tout en 38h d’effort, au départ de son appartement grenoblois. Un sacré périple accompli par l’alpiniste et grimpeur Symon Welfringer, Piolet d’Or 2021 (la plus haute distinction en alpinisme) à qui l’on doit également l’ascension de la voie de trad considérée comme la plus dure de France, « Le Voyage », à Annot. Une préparation idéale, juste avant l’expédition népalaise prévue cet automne. « Je n’avais aucun repère quant à la faisabilité du projet, allais-je avoir suffisamment d’influx au moment d’entamer les longueurs dures ? » se questionne Symon dans un passionnant récit.
« Ma voiture avait crevé, la forêt était en train de brûler… un tour de vélo s’imposait ! », explique Symon Welfringer, désireux de jouer avec ses limites. À savoir : passer 38 heures en montagne, sans dormir. « J’ai déjà fait des journées en montagne à rallonge mais on dépasse rarement les 24 heures, et souvent le bivouac s’impose lors d’ascensions plus longues ».
Une approche à la sueur du front
Après un détour dans les Dolomites, en juillet, un voyage combinant itinérance à vélo et grandes voies qui lui donne le « goût d’écraser la pédale », Symon se lance dans un périple depuis chez lui, à Grenoble. L’objectif ? « Associer un bel itinéraire à vélo avec des voies d’escalade en montagne, dans le massif des Écrins et plus particulièrement du côté des Aiguilles de Sialouze, réputées pour la qualité de leur rocher ».
Au programme : « enchaîner les deux voies les plus dures de la face (« Unchi Maka » et « Wakan Tanka » avec des longueurs jusqu’à 7c/+) après une approche à la sueur de mon front. Alléchant ! Or je n’avais aucun repère quant à la faisabilité du projet ». Ayant commencé le vélo quelques semaines auparavant, Symon ne sait pas encore comment « 300 km de vélo lesté du poids de [son] matériel de grimpe vont impacter [son] organisme ». Avec quinze heures d’effort dans les jambes, aura-t-il suffisamment « d’influx au moment d’entamer les longueurs dures ? ».
Le compagnon de cordée idéal
« À peine rentré des Dolomites, je décide de m’engager pleinement sur ce nouveau projet et fixe rapidement ma date de départ. […] Le plus important est alors de trouver le compagnon de cordée idéal, un ami fidèle capable de me soutenir le long de ces voies tout en ayant l’amabilité de me rejoindre au pied de la voie à 6h, avec un biplace un peu léger pour descendre jusqu’au village d’Ailefroide. Une idée qui enchante mon vaillant « Lolo » (Laurent Thévenot), un grimpeur hors pair qui manie l’aile de parapente avec brio ».
« Mardi 2 août à 14h, j’enfourche donc mon vélo, lesté de 10 kg (matériel de grimpe, vêtements et nourriture). Les premiers kilomètres dans l’agglomération grenobloise sont perturbants, c’est assez étrange de partir pour un projet incertain depuis chez soi. Heureusement, plus les coups de pédales s’enchaînent, plus mon esprit se détend – la route vers le col du Lautaret est superbe, et je me sens en forme ». Rendez-vous à 6h, le lendemain, au pied des Aiguilles de Sialouze.
« Une leçon d’escalade »
« Après avoir avalé les (150) kilomètres en vélo et être monté en trottinant jusqu’au pied de la voie, une fatigue intense se fait ressentir mais, étrangement, grimper me réveille. Si bien qu’au pied des longueurs dures de « Unchi Maka » (400 mètres, 7c max, ndlr), je me sens léger – je les enchaîne d’ailleurs à vue. Jusqu’à présent le plan se déroule comme prévu ». Laurent ayant rejoint Symon au matin comme prévu, s’ils veulent avoir le temps d’aller dans une seconde voie de 400 mètres, les deux compères ne doivent pas tarder.
À 11h, c’est le premier sommet. « Après quelques minutes de pause, nous descendons en rappel sur l’autre versant pour enchainer avec la voie « Wakan Tanka » (400 mètres, 7b+ max, ndlr), une ligne moins connue, plus sauvage et plus engagée ». Après 150 km de vélo et plus d’une dizaine de longueurs d’escalade, Symon prend le temps, trouve les méthodes des passages clés, avance progressivement, jusqu’à enchaîner la voie. « Une leçon d’escalade » souligne Laurent, son compagnon de cordée.
« La combinaison de toutes ces activités et de toutes ces sensations m’émeut »
« Une fois redescendus, la partie la plus incertaine nous attend : décoller en biplace. Cette fois-ci, je ne suis pas d’une grande aide, c’est Lolo qui gère. Or, comme je le vois dans ses yeux, rien n’est gagné – difficile de décoller depuis ce petit bout de glacier. J’essayer de positiver. À vrai dire, rien que l’idée de refaire cette descente à pied, du pied de la face jusqu’au village d’Ailefroide, fait frémir mes quadriceps. Avant de remonter sur mon vélo, un peu de repos dans les airs ne serait pas de trop ». Finalement, un créneau favorable permet à la cordée de décoller.
« La vallée défile sous nos pieds, le chemin remonté, cette nuit, au galop semble si loin, j’ai l’impression de vivre quatre journées en une. La combinaison de toutes ces activités et de toutes ces sensations m’émeut » se souvient Symon.
« L’atterrissage dans le camping d’Ailefroide me ramène à la réalité, nous venons de vivre tous les deux un moment unique. […] Mais je ne perds pas le Nord pour autant – ma journée est encore loin d’être finie. Je prends tout de même le temps de manger avant de reprendre ma bicyclette pour profiter des dernières lueurs du jour et commencer mon voyage retour vers Grenoble ».
« Sur la route, je me sens seul au monde »
« Au passage de Briançon, je suis dans le dur, mes jambes me lâchent, mon moral commence à flancher, cela fait 32h que je suis en activité et je commence vraiment à accuser le coup, à douter. Pédaler semble si simple mais dans mon état je me sens incapable de faire quoi que ce soit, je continue tout de même et la route se raidit pour monter au Lautaret, je vois ce col comme une fin en soi. ‘Derrière ça descend’ me répète mon subconscient. Dans les lacets, une voiture s’arrête à mes côtés : c’est Fanny Schmutz, une amie guide. Revoir une figure connue et discuter un peu me donne du baume au cœur et un sacré coup de boost pour finir la montée à bloc. Il est minuit. Certes le plus gros est fait mais mon corps entre dans un état qui m’est inconnu : je suis encore bien vigilant mais des petits flashs viennent agrémenter ma vision, je garde le cap dans cette descente, bien conscient des dangers encore présents. Je suis presque seul sur la route, je me sens seul au monde, c’est agréable ».
« Le moment le plus dur vient finalement à une trentaine de kilomètres de Grenoble, à Rioupéroux. Alors que je pense avoir utilisé toutes mes batteries, je m’allonge à quelques mètres de la route – le ciel est lumineux, les étoiles me parlent presque. ‘Quel est l’intérêt de tout ça ?’ semblent-elles me demander. Avec peine, je rallie Grenoble, jusqu’à retrouver les lampadaires de la ville. La fin est proche. Quatre heures du matin, après un dernier coup de pédale, 38 heures après mon départ, je rallie mon appartement, satisfait.
Récapitulatif horaire
Départ de Grenoble : mardi, 14h
Arrivée à Ailefroide : mercredi, 1h30 du matin
Départ pour le pied de la face : 3h30 du matin
Arrivée au pied de Sialouze : 6h
Début de la grimpe : 7h
« Unchi Maka » (400 mètres, 7c max), ascension de 4 heures
« Wakan Tanka » (400 mètres, 7b+ max), ascension de 4 heures
Fin de la grimpe : 16h
Retour au pied de la paroi : 17h
Préparation décollage
Décollage parapente : 18h
Arrivée Ailefroide : 18h30
Départ vélo d’Ailefroide : 19h30
Arrivée à Grenoble : jeudi, 4h30 du matin
Photo d'en-tête : Symon Welfringer / Hugo Wirth