Renouer avec la nature, faire tomber les murs de la classe, apprendre autrement, des pratiques courantes en Allemagne, en Autriche ou en Angleterre, mais encore balbutiantes en France. Et si le déconfinement était l’occasion de les expérimenter plus largement, suggèrent Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne, auteurs de« L’enfant dans la nature » et tout récemment d’une tribune publiée dans Le Monde.
Cosigné par des dizaines d’enseignants, médecins, inspecteurs d’académie ou élus, ce plaidoyer en faveur d’une autre approche éducative prend tout son sens à l’heure d’offrir un retour en classe alliant sécurité et plaisir.
Port du masque, quatre mètres carrés par élève, plus de ballons… Très strict, le protocole sanitaire publié lundi par le ministère de l’Education nationale met les parents face à un véritable casse-tête : renvoyer ou non, leurs enfants à l’école à compter du 11 mai. Mais ils ne sont pas les seuls à s’interroger sur la pertinence de cette rentrée sous haute sécurité, à l’issue de deux mois de confinement. Dimanche dernier, l’Association des maires d’Ile-de-France demandait « solennellement » à Emmanuel Macron de reporter la date de réouverture des écoles dans une lettre ouverte, diffusée sur le site internet de La Tribune. Aussi les propositions de Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne, trouvent-elles un écho de plus en plus retentissant auprès des parents, éducateurs et médecins.
Matthieu Chéreau est auteur de livres sur l’éducation (notamment « Préparons nos enfants à demain. Ces compétences qu’ils ne trouveront pas à l’école », sorti chez Eyrolles, en 2018). Moïna Fauchier-Delavigne est, elle, journaliste au Monde, où elle traite les questions d’éducation. Elle a publié de nombreux articles sur la pédagogie par la nature et les écoles en forêt. En devenant parents, ils ont eu l’intuition qu’il manquait à leurs enfants un lien avec la nature. On leur doit une remarquable enquête sur « L’enfant dans la nature », sortie en septembre dernier chez Fayard.
Développer une appétence à la joie
Tous deux sont partis d’un constat : « Les enfants vivent aujourd’hui entre quatre murs, coupés de la nature. Ils souffrent d’obésité, d’hypertension, de dépression, de troubles du comportement, etc. Quelle est la responsabilité du modèle éducatif ? En coupant la jeunesse d’un monde extérieur qui pourtant l’aide à grandir, n’est-il pas inadapté et dangereux ? ».
Pour en savoir plus, ils sont donc partis à la rencontre de pionniers, chercheurs, éducateurs, enseignants, qui se penchent sur l’importance des milieux naturels, des arbres, de la terre et de l’eau dans le bien-être de l’enfant. Ils se sont aussi rendus dans les écoles en Europe où la classe se fait à ciel ouvert, où l’enfant fait l’expérience de la nature.
Là, ils ont pu constater qu’un mouvement qui met la nature au centre du développement et de l’apprentissage de l’enfant croît rapidement dans le monde. Et, bonne nouvelle, il commence à prendre forme en France. « Les résultats sont là, explique Matthieu Chéreau, «les enfants qui bénéficient de cette approche acquièrent des compétences solides – d’un point de vue physique, mais aussi cognitif et social – et une appétence indéniable à la joie. Une autre éducation est possible, grâce à laquelle l’enfant redécouvre la richesse du monde dans lequel il vit. »
En Charente, des expériences concluantes
Le déconfinement, cette rentrée qui ne sera vraiment pas comme les autres, ni pour tous, est l’opportunité de renouveler les pratiques, de voir les choses autrement, explique Matthieu Chéreau. « Moïna Fauchier-Delavigne et moi avons tous deux des enfants entre quatre et huit ans. Après avoir fait la classe pendant deux mois, nous pouvons nous mettre à la place des éducateurs comme des parents.
La situation est inédite, et nous avons le sentiment qu’il y autant d’inquiétude chez les enfants que chez les adultes. La grande crainte, c’est que cette inquiétude pèse sur les enseignements et sur les enfants, déjà fortement affectés pendant le confinement par l’absence d’espace extérieur où jouer et s’épanouir. Or, personne ne veut vivre ces retrouvailles sur ce mode-là. Alors qu’elles devraient être le temps de la transmission et du partage. Faire la classe dehors gommerait un peu cette angoisse et serait plus dans le plaisir.
Les enfants vont retrouver l’école, ce moment doit être un temps agréable, allégé de toute anxiété. C’est totalement compatible avec les règles de sécurité qui s’imposent aujourd’hui, que ce soit dans une cour ou un parc. Sortir de la classe permet de jouir d’espaces plus vastes. Gérer les contraintes de distanciation y est plus facile qu’entre quatre murs, d’autant qu’il y est inutile de s’embarrasser des outils qu’ils ont en classe' », poursuit-il.
Ces pratiques, considérées par certains comme un peu « farfelues », sont déjà appliquées en France depuis quelques années, avec succès. Notamment en Charente, à Poitiers, où une enseignante s’est fortement impliquée dans cette approche. Au point de former à son tour d’autres éducateurs. Une approche soutenue par une inspectrice d’Académie et une élue. Sans surprise, c’est aussi en Nouvelle-Aquitaine qu’on retrouve nombre d’élus signataires de la tribune parue dans Le Monde, notamment Guillaume Barucq, médecin généraliste, adjoint au maire de Biarritz à l’environnement.
Une approche efficace et peu coûteuse
Il y a quelques jours, une pétition a pris le relais de cette tribune. Elle compte déjà 2146 signatures. « Nous croyons beaucoup à la mobilisation des acteurs sur le terrain », explique Matthieu Chéreau. Le plus important, c’est que le plus d’enseignants possible la signent et qu’ils s’emparent de tous les outils pédagogiques mis à disposition sur notre site.
La mobilisation actuelle autour de ces pratiques, notamment de plusieurs conseillers pédagogiques, montre qu’on a franchi un palier. La France est en train de tendre vers la situation de pays comme le Royaume-Uni, où toutes les écoles doivent avoir un enseignant formé à l’école dans la nature, l’Allemagne, ou le Danemark où l’on apprend dehors aussi bien que dedans.
Les deux approches sont compatibles et complémentaires. Au départ, les enseignants ont des réticences car ils sortent de leur zone de confort et ils manquent d’outils et de repères, mais nous faisons le pari qu’ils intégreront ces méthodes à leurs pratiques quotidiennes, avec des variations selon les sites et les saisons, bien sûr. Mais peu à peu, enseignants et enfants devraient y trouver de l’intérêt et surtout, du plaisir. »
« Pendant le confinement, de nombreux établissements rêvaient de pouvoir s’y mettre, et d’enseigner à l’air libre, au soleil. Cela n’est pas interdit, c’est possible en ville comme en milieu rural, et très peu coûteux. Pour la reprise scolaire, si nous faisions la classe dehors ? C’est devenu indispensable », concluent Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne dans leur tribune.
- Pour lire la tribune dans son intégralité et en savoir plus sur les recherches de Matthieu Chéreau et Moïna Fauchier-Delavigne sur les outils pédagogiques qu’ils mettent à disposition des enseignants, c’est ici.
- Pour signer la pétition, c’est ici.
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