Pratiquer une activité outdoor permet-il vraiment de déconnecter ? On aurait plutôt l’impression d’observer la tendance inverse : le grimpeur, le surfeur, le traileur ou le voyageur en van sont toujours plus connectés grâce aux nombreuses applications à disposition pour les accompagner et partager leurs aventures. On s’est interrogé sur cette contradiction, qui n’en est peut-être pas une…
Une minute passée sur Strava – plateforme où l’on partage ses activités sportives – correspondrait à 50 minutes passées dehors à courir, rouler, marcher ou surfer. Lorsque les responsables de l’entreprise californienne, qui compte aujourd’hui 45 millions d’utilisateurs dans le monde et qui en engrange chaque mois un million supplémentaire, ont communiqué sur ce chiffre, on a un peu tiqué. Se connecter nous permettrait donc de nous déconnecter ?
Tracker d’activité vs réseau social
Il est nécessaire de faire la différence les applications pensées pour la pratique (trackers GPS, outils de navigation, etc.) et les réseaux sociaux. Quand les premières doivent permettre de rendre l’expérience outdoor plus facile, sécurisée, motivante ou performante, les autres ont avant tout un objet social. Toutes néanmoins nous poussent à rester connectés, partout, tout le temps.
Une sortie en montagne n’a-t-elle de valeur que si on peut la partager en direct ou en différé sur Instagram ou Facebook ? Un entraînement n’a-t-il d’intérêt que si nos amis peuvent en avoir une trace sur un tracker d’activité ? Évidemment on serait tenté de répondre par la négative à ces questions, mais le bonheur ne vaut que lorsqu’il est partagé, paraît-il…
Strava, parfois qualifiée de “réseau social des sportifs”, est un peu à la frontière de ces deux mondes et semble en pleine contradiction. Grégory Vermersch, manager France et Espagne, reconnaît d’ailleurs que “Strava a été le fer de lance du sport connecté”. Mais il précise : “Être connecté ne signifie pas nécessairement passer du temps devant son écran. Pour Strava, l’utilisateur passe sur la plateforme, mais elle n’est pas pensée pour que l’on y reste, à la différence d’un réseau social comme Facebook ou Instagram”.
Les business modèles d’un réseau social et d’une plateforme comme Strava ou d’un outil de navigation sont assez différents. Instagram ou Facebook ont tout intérêt à ce que vous passiez le plus de temps possible sur leur application, puisqu’une bonne partie de leurs revenus provient de la publicité. Strava tire en revanche les siens d’un système d’abonnement : on peut s’inscrire gratuitement, mais aussi s’abonner (il existe différents “packs”), ce qui permet d’accéder à des outils spécifiques d’analyse de performance ou de sécurité. Il en est de même pour une application comme Iphigénie, qui propose des abonnements pour accéder aux cartes en mode “hors ligne”. Grégory Vermersch explique que “Strava est fait pour les athlètes, quel que soit leur niveau. La partie communautaire et les interactions sont bien sûr importantes, mais on peut utiliser la plateforme seul, pour soi uniquement. Au contraire, avoir un compte privé et ne suivre personne sur Instagram n’a aucun intérêt.”
Les écrans rendent-ils “crétins” ?
Mettre toutes ces applications dans le même panier n’a donc pas vraiment de sens, même si le pratiquant d’outdoor peut être accro à chacune d’entre elles. Pour autant, elles nous font passer du temps devant un écran, c’est un fait.
Michel Desmurget, docteur en neurosciences, a sorti récemment un ouvrage, “La fabrique du crétin digital”, dans lequel il fait une synthèse des études scientifiques sur l’impact des écrans sur les enfants et les adultes de demain. Au-delà des chiffres impressionnants – un lycéen passerait 2 400 heures par an en moyenne devant un écran – il souligne les dangers de l’hyper connexion. S’habituer dès le plus jeune âge aux écrans accentuerait l’addiction une fois à l’âge adulte. D’autres études ont aussi montré qu’il existait un lien entre dépression et temps connecté.
Le partage comme source de motivation
Si l’excès d’écrans pose des problèmes de fond, cela ne doit pas occulter les retombées positives que peuvent générer ces plateformes d’échange et de partage. Combien de personnes ont commencé ou repris une activité sportive grâce à un ou une influenceur/se “sport” qu’elles suivent sur les réseaux sociaux ? Lorsque Kilian Jornet poste une photo sur Instagram, ou livre sur ses réseaux sociaux l’historique de ses entraînements, combien de traileurs voient leur motivation décuplée ?
L’aspect communautaire de Strava incite évidemment à passer plus de temps sur la plateforme pour monitorer les sorties des personnes que l’on suit. C’est d’ailleurs une dimension mise en avant : on peut ajouter des photos, écrire des commentaires, donner des “kudos” (likes en langage Strava), le tout ayant pour but d’enrichir l’expérience. Grégory Vermersh insiste sur cet aspect : “Il est difficile de mesurer à quel point la plateforme est une source de motivation, mais le retour des utilisateurs est assez clair à ce sujet : voir ses amis sortir pour s’entraîner nous stimule à en faire de même.” Pour aller plus loin dans cette démarche, Strava a lancé récemment des nouveaux challenges : les “streak challenges”. L’idée est simple : pour réussir le défi, il faut enregistrer plusieurs activités par semaine pendant deux à quatre semaines consécutives.
D’autres chiffres mettent en évidence l’intérêt de l’aspect communautaire : “les activités pratiquées en groupe durent généralement 10% plus longtemps et les distances parcourues sont 21% plus longues.” Rester connecté, pour sortir plus longtemps ?
Photo d'en-tête : © Patrick Schopflin / Unsplash- Thèmes :
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