Dans son rapport publié le 25 septembre dernier, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a tiré la sonnette d’alarme. Le réchauffement climatique fait fondre les glaciers, mais impacte aussi le permafrost, ce sol gelé qui sert de ciment aux montagnes. Une dégradation qui met en péril les infrastructures qui s’y trouvent, selon une récente étude menée dans les Alpes françaises. Explications de l’un des auteurs, le géomorphologue Pierre-Allain Duvillard.
Face au réchauffement climatique, les massifs montagneux font partie des premières victimes : fonte des glaciers, écroulements, dégradation du permafrost, les conséquences sont nombreuses et de plus en plus visibles. Dans ce contexte, les aménagements et infrastructures construits ces dernières décennies – remontées mécaniques, refuges, pylônes en tous genres – sont de plus en plus exposés.
Fort risque sur 148 infrastructures
Dans ce contexte, Pierre-Allain Duvillard, chercheur associé aux laboratoires EDYTEM (Bourget du Lac) et PACTE (Grenoble), a réalisé une étude dont l’objectif était de recenser, dans les Alpes françaises, l’ensemble des éléments d’infrastructures existants et d’identifier ceux qui étaient potentiellement “à risque”. “On a fait l’inventaire de 947 éléments. Or 148 d’entre eux présentent un risque de déstabilisation et donc de dégradation”, explique-t-il.
Aucun danger à ce jour pour le skieur ou le randonneur, mais s’il ne veut pas paraître trop alarmiste, le géomorphologue reconnaît que la situation n’est pas très reluisante : “Le réchauffement climatique impacte directement le permafrost, or nos infrastructures en montagne sont fixées dans la roche. Si celle-ci s’effrite, il y a de forts risques de déstabilisations. Les piliers s’affaissent, les refuges voient leurs fondations se dégrader … Depuis 30 ans on constate une augmentation croissante des dommages, et la tendance devrait s’accroitre dans les décennies qui viennent”.
Pour réaliser cette étude, il a défini un “indice de risque de déstabilisation” prenant en compte deux facteurs : les aléas et la vulnérabilité (un pylône est plus vulnérable qu’un refuge par exemple, car il a une plus faible emprise au sol). Et les conséquences sont déjà visibles : “Parmi les 148 infrastructures qui présentent un fort risque de déstabilisation, 30 ont déjà connu des dégâts”. Quelques exemples : Le refuge des Cosmiques, dans la vallée de Chamonix, a dû subir des travaux d’aménagements après un éboulement de 600 m3 en 1998. Les fondations ont été renforcées et la paroi instable a été clouée. Le pylône du Funitel de Thorens qui repose sur un glacier rocheux est devenu instable. Des ancrages plus profonds ont donc dû être installés pour assurer sa stabilité. Enfin, pendant l’été, le bivouac des Périades, situé à plus de 3 400 m, dans le Massif du Mont-Blanc, s’est affaissé suite à l’écroulement d’une partie de la plateforme.
Un coût énorme pour les stations
Conséquence directe de ces dégradations, le coût de la maintenance explose, et ce sont les gestionnaires des stations qui payent la facture. La rénovation de la télécabine de Bochard a ainsi coûté un million d’euros au domaine des Grands Montets, soit le budget d’entretien annuel de l’ensemble du domaine.
“Ces coûts ne vont pas cesser de croître dans le futur. C’est pourquoi on conseille aux gestionnaires de bien anticiper en amont, avant de construire une infrastructure, et de réaliser des études précises même si cela suppose des frais supplémentaires. C’est un investissement au départ, mais cela peut permettre de grandes économies derrière”. Des précautions qui relèvent encore des initiatives individuelles, car contrairement à la Suisse, il n’existe pas en France d’obligation de réaliser d’études sur le permafrost avant l’implantation d’infrastructures.
Quel avenir pour les stations de ski ?
Ce contexte n’incite guère à l’optimisme. “C’est la nouvelle étape de mes recherches. Après l’inventaire, je cherche à comprendre les stratégies d’adaptation des gestionnaires face à ces risques”. Anticiper et s’adapter, voilà les enjeux désormais.
Le sujet semble plus que jamais d’actualité. Dans le cadre du Winter Film Festival, à Bourg Saint-Maurice, Samuel Morin, directeur du Centre d’études de la neige (Météo France-CNRS), donnera ainsi le 9 novembre une conférence sur la thématique : “Quel avenir pour le tourisme hivernal avec le changement climatique?” Il viendra en présenter les conclusions et échangera avec Michel Giraudy, maire de Bourg Saint-Maurice, et Frédéric Charlot, directeur de la station des Arcs.
Il y a désormais urgence. En témoigne le communiqué officiel du GIEC accompagnant la sortie du dernier rapport sur les conséquences du réchauffement climatique sur les océans et la cryosphère enfonce le clou : “Les glaciers, la neige, la glace et le pergélisol sont en déclin et continueront de l’être. Selon les projections, ce recul devrait accroître les risques pour les populations […] les glissements de terrain, les avalanches, les chutes de pierres et les inondations.“
Photo d'en-tête : Yann Allegre / Unsplash