Au nom de la science participative, nous avons descendu en rappel les intestins de collaborateurs d’Outside et de 7 athlètes de haut niveau.
Chaque jour semble apporter sa nouvelle étude au sujet du microbiote : comment il influence la transformation des aliments en énergie, la réponse aux virus étrangers, aux inflammations… Les chercheurs découvrent que nos bactéries sont à leur tour influencées par ce que nous leur faisons vivre. Les kilomètres que nous enregistrons, ce que nous mangeons, les montagnes que nous grimpons — tout semble concourir à dessiner notre écologie intérieure.
Pas étonnant que les microbiologistes se soient lancés à la course aux athlètes dans le but d’étudier leur vie intérieure. En quoi ces élites de la forme et de la bonne santé se distinguent-elles des amateurs ? Côté tripes, quelles différences entre un skieur et un alpiniste ? Existe-t-il un saint graal de la bactérie que seuls les meilleurs se partagent ? Toutes ces questions restent (pour le moment) sans réponse.
Dans un esprit d’altruisme scientifique, 15 champions du dimanche de l’équipe américaine d’Outside ont à leur tour mis leur échantillon personnel entre les mains de l’American Gut Project (AGP). Nous avons enfin et surtout réuni des athlètes de haut vol qui ont accepté d’envoyer leurs prélèvements au labo. La directrice de projet, Embriette Hyde, et son équipe ont comparé nos microbiotes à ceux des jeunes en sport-études au sein de l’Université de Californie à San Diego, d’une cohorte de surfeurs habitant aux quatre coins du monde et des 10 000 volontaires de l’AGP. Côté Outside – grosse déception – pas de quoi faire une annonce en fanfare. En revanche du côté des athlètes…
Salut, moi c’est microbe !
Petite liste des bactéries les plus courantes chez nos athlètes volontaires.
Bacteroides : genre de la famille des Bacteroidetes principalement composé de microbes bénéfiques qui aident le système immunitaire à éloigner les pathogènes dangereux.
Prevotella : autre genre de la famille des Bacteroidetes. D’après des recherches, se trouve en grande quantité chez les athlètes d’endurance. On en produit notamment à travers un régime alimentaire végétarien.
Lachnospira : famille à laquelle appartiennent les Firmicutes productrices d’acide butyrique — un “ bon ” acide gras qui protège, entre autres, l’imperméabilité intestinale.
Faecalibacterium : appartient aux Firmicutes. Décompose les fibres en butyrate, un acide qui soutient le système immunitaire. La maladie de Crohn et certains diabètes peuvent être liés à un seuil de Faecalibacterium trop bas.
Roseburia : autre genre du phylum Firmicutes qui transforme les fibres en acide butyrique.
Acinetobacter : genre peu étudié du phylum des Proteobacteria. On le trouve en grandes quantités dans la terre. Les scientifiques connaissent mal son rôle. Des risques s’il se répand dans le sang car certains de ses membres sont des pathogènes résistant aux antibiotiques.
Ruminococcaceae : dans cette famille de Firmicutes, certains sont passés experts dans l’art de transformer l’amidon résistant en bons acides gras.
Bacillus : genre peu étudié de la famille des Firmicutes. Chez la souris, il a été prouvé qu’il protège de certains pathogènes.
Clostridium : connu à cause de C. botulinum et C. difficile. La plupart des bactéries de ce genre sont pourtant inoffensives et aident à stabiliser la totalité de la population bactérienne.
Autres : des milliers d’autres lignées de bactéries.
Dis-moi ce que tu manges…
On analyse un microbiote avant tout en recherchant des anomalies. De manière générale, la diversité est toujours une bonne chose. La plupart des volontaires ayant participé à l’AGP, dont les membres de l’équipe américaine d’Outside, ont un tube digestif à peu près homogène. Deux principaux phylums, les Bacteroidetes et les Firmicutes, dominent dans notre flore intestinale. Outre-Atlantique notamment, une proportion de Firmicutes significativement plus élevée que de Bacteroidetes peut être le signe d’un régime alimentaire occidental (trop) riche en gras, et dans certains cas, d’obésité. L’inverse témoigne généralement d’un régime alimentaire riche en fibres, fruits et légumes et d’un physique plus svelte. Mais ces vérités ne s’appliquent en revanche pas nécessairement chez nos athlètes professionnels. Nos sept cobayes volontaires présentent un microbiote très largement différent de celui de l’Américain moyen. Ceux exerçant une même discipline affichent une même flore intestinale, a annoncé Embriette Hyde, enthousiasmée par cette nouvelle. Ces données suggèrent que certains facteurs (tels que les pratiques à haute intensité cardiovasculaire ou le temps passé en mer) peuvent avoir une influence considérable sur le microbiome humain.
Alex Honnold
- Grimpeur, 32 ans
- Habite :un van Ram ProMaster de 2016
- Son lunchbag : “ Je dirais à 95% végétarien, et végan hard core 50% du temps. J’avale des quantités astronomiques de fibres végétales. ”
- Vie intérieure :prédominance de Bacteroidetes
- Analyse top chrono : chez Alex Honnold, la Prevotella est bien plus présente que parmi le commun des mortels. Certaines recherches ont fait le lien entre un taux élevé de Bacteroidetes et l’exercice physique intense, mais Embriette Hyde pense plutôt que le régime alimentaire végétarien du sportif profite à cette bactérie — qui transforme les glucides complexes en énergie.
Emily Harrington
- Grimpeuse et alpiniste, 31 ans
- Habite : Squaw Valley en California
- Son lunchbag : “ J’essaie de manger paléo. Pas de pain, très peu de glucides et de sucres, une tonne de légumes, fruits et des lipides avec de la noix de coco, de l’avocat et des noix en tous genres. ”
- Vie intérieure : prédominance de Firmicutes
- Analyse top chrono :pas mal de Clostridium, chez Emily Harrington. Ce gène complexe contient à la fois des pathogènes dangereux et des bactéries utiles qui assurent le bon fonctionnement des intestins. L’alpiniste Adrian Ballinger, avec qui elle vit et s’entraîne, présente la même composition bactérienne. L’environnement est un facteur-clé dans la composition du microbiote.
Adrian Ballinger
- Alpiniste, 41 ans
- Habite : Squaw Valley en Californie
- Son lunchbag : “ Je mange à peu près la même chose qu’Emily, si ce n’est en plus grosses quantités. Nous buvons du café tous les jours et un verre ou deux de vin rouge le soir. ”
- Vie intérieure : prédominance de Firmicutes
- Analyse top chrono : niveaux élevés de Clostridium, à l’instar de sa compagne, mais aussi de Roseburia et Faecalibacterium. Toutes deux produisent du butyrate, qui réduit les inflammations.
Rob Krar
- Ultra-trailer, 41 ans
- Habite : Flagstaff dans l’Arizona
- Son lunchbag: “ Je dirais qu’il est principalement à base de légumes et céréales. Je mange sainement mais je ne prive pas du plaisir d’une bière le soir et d’un dessert. Très peu de viande pour moi, mais en revanche des œufs, des produits laitiers et du poisson. ”
- Vie intérieure : prédominance de Bacteroidetes
- Analyse top chrono :Rob Krar affiche bien plus de Bacillus que les 6 autres athlètes. Cette bactérie, qu’on ne trouve que chez très peu de gens, est assez méconnue. On sait que, chez la souris, elle protège de certains pathogènes.
Amelia Boone
- Coureuse de course à obstacles, 34 ans
- Habite :San Jose en Californie
- Son lunchbag : “ Assez classique, association traditionnelle protéines + lipides + glucides. Mais j’avoue que je ne suis pas super organisée, et que j’avale beaucoup trop de glaces. ”
- Vie intérieure : prédominance de Bacteroides
- Analyse top chrono : le tube digestif d’Amelia Boone abrite davantage d’Acinetobacter que ce que les chercheurs de l’AGP sont habitués à voir. On en trouve généralement dans la terre — que notre sportive, finaliste de Mud Runs, taquine de près.
Cody Townsend
- Skieur, 34 ans
- Habite : Tahoe City en Californie
- Son lunchbag : “ Pas beaucoup de céréales parce que je suis allergique au gluten. Je choisis plutôt des aliments non transformés. Quand je suis en déplacement, impossible de me dire “Oh j’ai faim, tiens si je me prenais un bon hotdog.” Je dois planifier mes repas et les articuler autour de fruits à coque, fruits et légumes. Cela modifie toutes mes habitudes alimentaires. ”
- Vie intérieure : prédominance de Bacteroides
- Analyse trop chrono :chez notre skieur, presque 4 fois plus de Parabacteroides que chez les autres athlètes. Leur expertise ? Transformer les fibres végétales en énergie. Généralement présentes chez les personnes consommant de grandes quantités d’amidon résistant (avoine, pommes de terre froides, riz froid…), dont les bactéries ne se régalent qu’une fois qu’il est dans le côlon.
Fergal Smith
- Surfeur, 30 ans
- Habite :Lahinch en Irlande
- Son lunchbag : “ Je pense que je mange bien, principalement les légumes de mon potager. Et je ne bois que de l’eau de source. ”
- Vie intérieure : prédominance de Bacteroides
- Analyse top chrono : Fergal Smith, qui vit sur une ferme bio, a un microbiote à faire rougir tous les microbiologistes. Riche en Bifidobacterium et Ruminococcaceae (anti-inflammatoires) ET en Prevotella, il reflète son alimentation à base de légumes et, par sa diversité, le quotidien du sportif entre terre et mer.