Vous le ressentez cet épuisement collectif que l’on a tous avec notre smartphone ? Il est là, toujours, on n’en peut plus mais on continue, hypnotisés. Et ce n’est pas la désactivation des notifications, la suppression des icônes, ou même un changement de vie radical qui changera quoi que ce soit. Cal Newport, spécialiste des technologies numériques, a en revanche identifié quelques pistes prometteuses pour s’en sortir.
On a tous lu ces histoires. Des gens qui sont accro à leur téléphone et à leur boulot dans le secteur tertiaire. Un jour, ils franchissent le pas (ou grillent un fusible, selon les points de vues), quittent tout, s’installent au plus près de la nature, deviennent ébénistes/cultivateur d’olives/surfeurs. Ensuite, ils nous racontent à quel point ils sont heureux aujourd’hui, loin du monde et de l’asservissement technologique. Et nous, on lit leur récit sur notre smartphone, dans les toilettes du bureau ou dans le métro, à mi-chemin entre la haine et l’envie.
Et si notre ressentiment bien légitime n’était pas tant dû à leur désintoxication couronnée de succès qu’à leur reconnexion épanouie aux moments de loisirs ? Ce qui nous rend fou, c’est qu’eux ont l’air de s’amuser. Qu’ils aient fait de leur vie un terrain de jeu. Parce que le lien que l’on oublie de faire entre tentation des écrans et loisirs, c’est que les premiers nous empêchent de réellement profiter des moments consacrés aux seconds. « Jouer » ne devrait pas être un terme réservé à l’enfance, les adultes en ont un besoin viscéral également, et notre folie numérique nous empêche d’atteindre l’état d’esprit nécessaire à cette pratique.
La naturaliste Diane Ackerman expliquait en 1999 déjà, dans son ouvrage Deep Play, que le jeu intense est fondamental à l’expérience humaine. « C’est intrinsèque à ce que nous sommes, un processus aussi instinctif que la respiration « , écrivait-elle. Un discours auquel adhère l’Américain Mark Sisson, sportif de haut niveau et spécialiste de médecine évolutionniste, qui souligne que nos ancêtres chasseurs-cueilleurs bénéficiaient de séances prolongées de « temps libre pur et inaltéré ». Et pas juste parce que c’était amusant, mais parce que cela représentait « une composante vitale de la vie communautaire et de la cohésion sociale ».
Pour autant, nous ne pouvons pas tous lâcher job, appartement et smartphone pour aller écouter les courges pousser à la campagne. Il existe heureusement une autre option que la résignation, et cela commence par un examen plus approfondi de votre relation avec l’appareil sur lequel vous êtes probablement en train de lire cet article.
Ces dernières années, il est devenu de plus en plus courant que les gens expriment leur malaise vis-à-vis de leurs smartphones. Parallèlement, la littérature scientifiques sur les effets néfastes des écrans n’a cessé d’épaissir. Ainsi, Michel Desmurget, docteur en neurosciences, a sorti récemment un ouvrage, “La Fabrique du crétin digital”, dans lequel il fait une synthèse des études scientifiques sur l’impact des écrans sur les enfants et les adultes de demain. Au-delà des chiffres impressionnants – un lycéen passerait 2 400 heures par an en moyenne devant un écran – il souligne les dangers de l’hyper connexion. D’autres études ont aussi montré qu’il existait un lien entre dépression et temps connecté. Écrivant beaucoup sur l’impact de la technologie sur la culture, j’ai commencé à étudier le sujet plus sérieusement en 2016.
Au début de ce processus, j’ai mis en place une expérience. J’ai envoyé une note aux abonnés de ma newsletter expliquant que je cherchais des volontaires prêts à passer 30 jours sans utiliser ce que j’ai appelé la « technologie personnelle optionnelle », une catégorie incluant les réseaux sociaux, les jeux vidéo, les sites de streaming, les médias en ligne et le zonage sur Internet. 30 jours c’est beaucoup, alors je m’attendais à ce que tout au plus quelques dizaines d’âmes courageuses acceptent d’y participer. Mais j’avais sous-estimé la frustration de mes lecteurs face à leurs appareils : plus de 1 600 personnes se sont inscrites. Il s’agissait d’un groupe diversifié, composé d’étudiants, de parents, de cadres surchargés de travail et de retraités du monde entier. Ce qui les a unis, c’est un épuisement collectif dû à la part de leur vie consacrée aux écrans.
Au fur et à mesure que l’expérience se déroulait, ces volontaires ont commencé à m’envoyer des rapports sur leur expérience. Pour la plupart d’entre eux, il a fallu environ une semaine pour perdre l’envie de dégainer leur téléphone à chaque instant d’ennui. Passé ce stade, ils ont eu tendance à ne pas regretter ce qui occupait auparavant une si grande partie de leur attention. Car, spoiler alert, vous pouvez continuer à fréquenter vos amis sans scruter les réseaux sociaux de façon compulsive et être au courant de ce qui se passe dans le monde sans avoir à surveiller Twitter. La vraie surprise s’est révélée être le temps libre qu’ils avaient soudainement une fois mis de côté leurs appareils. L’un des participants a admis : » En fait, je me suis senti un peu bizarre les deux premiers jours quand j’ai réalisé que j’avais tellement de temps libre « .
L’ennui est un puissant facteur de motivation
Ces bénévoles avaient involontairement perdu tant de minutes sur leur téléphone qu’ils ont eu du mal, au début, à trouver quoi faire de ces trous récemment découverts dans leur emploi du temps. Certains ont même abandonné, plutôt que de relever le défi de ce temps non distrait. Mais ceux qui ont persévéré après le choc l’ont fait surtout en réanimant la part de leur vie consacrée aux loisirs. L’ennui est un puissant facteur de motivation, et lorsque les distractions numériques sont éliminées, les sources classiques de loisirs jouent à nouveau un rôle important dans l’organisation d’une journée satisfaisante.
Bon nombre de participants ont repris les habitudes de lecture perdues depuis près d’une décennie et ont passé plus de temps à discuter avec leur famille et leurs amis. Certains ont trouvé un épanouissement dans le bricolage quand ils n’avaient rien à faire à la maison, tandis que d’autres ont tenté des passe-temps créatifs comme l’écriture ou la peinture. Un grand nombre d’entre eux a également investi de l’énergie dans des activités de plein air : course à pied, vélo, longues marches.
Cette petite étude de cas illustre à quel point nous avons de la marge pour réinjecter une quantité de loisirs de haute qualité dans nos vies. Pour réussir cette transformation, ignorez votre instinct initial de modifier simplement vos habitudes. Les petits changements comme la désactivation des notifications, le déplacement ou la suppression des icônes sur votre smartphone ne fonctionnent pas longtemps. Choisissez une période de temps pendant laquelle vous ferez une pause de toutes ces « distractions numériques optionnelles », et laissez l’ennui qui en résulte vous motiver à trouver des alternatives de qualité supérieure. L’objectif est de perdre le goût des distractions numériques faciles et d’acquérir à nouveau une attirance pour des activités plus nourrissantes.
Pas glamour mais effiace
Ce qui distingue cette stratégie du concept de plus en plus populaire de désintoxication numérique, c’est qu’il ne s’agit pas seulement de ce que vous devez éviter, mais aussi de déterminer ce que vous devez faire de votre temps à la place. S’éloigner d’une technologie distrayante tout en ne faisant aucun effort pour la remplacer par quelque chose de mieux invite à la régression. La recherche d’alternatives significatives est si cruciale que je suggère d’élaborer des plans de loisirs détaillés pour décomposer des objectifs, tels que battre un record personnel ou se lancer dans un projet manuel, avec des objectifs quotidiens ou hebdomadaires.
Pour beaucoup, l’idée de tels plans structurés peut sembler exagérée. On m’a fait remarquer que la construction même de ces plans « semble être la chose la moins amusante qui soit ». Mais cette réaction sous-estime à quel point nous avons perdu notre capacité d’engagement à long terme à cette époque de gratification instantanée – une petite structure s’avère très utile pour regagner du confort avec une difficulté satisfaisante.
Certes l’approche est moins glamour qu’une démission suivie d’un déménagement vers un lieu exotique. Mais laisser derrière soi des nuits de scrolling insensé pour se lancer dans une course de trail ou un match de frisbee frisbee dans un parc est tout aussi puissant. Les activités exercées sans autre raison que leur valeur intrinsèque jouent un rôle crucial dans l’expérience humaine. Lorsque votre téléphone est votre compagnon constant, ces activités sont repoussées à la périphérie. Il a probablement colonisé beaucoup plus de votre temps libre que vous ne le pensez. Et pour découvrir à quel point, pas d’autre solution que de commencer par s’en passer.
Photo d'en-tête : Ovidiu Gruescu / Unsplash- Thèmes :
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