Il y a urgence. Le 10 septembre dernier un collectif animé par Thibault Cattelain, président du Comité 38 de la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne, se mobilisait en faveur du rapatriement en Europe d’alpinistes afghanes, particulièrement exposées. Aujourd’hui, c’est un deuxième appel qu’il lance aux élus. Plus pressant encore. Car 3 personnes sont susceptibles d’être rapatriées en France, dont deux membres de l’association d’alpinisme ASCEND, Mina Bakhshi et Raihana Ahmady, accompagnée de son frère Mansoor Ahmady. Actuellement en transit dans un camp de l’armée Américaine, en dehors de l’Afghanistan, leur situation est critique, mais tout pourrait se débloquer très vite si les ministères concernés interviennent.
Leur visage ne vous est pas inconnu. Tout au moins celui de Raihana Ahmady, qui en 2018, intégrait la cordée d’alpinistes afghane féminine partie à l’assaut du mont Noshaw, le point culminant d’Afghanistan (7500 m). Leur aventure extraordinaire, dont nous avions publié un long récit en mai 2018 dans Outside, avait même fait l’objet d’un documentaire de 58 minutes primé dans de nombreux festivals. L’année suivante, en juin 2019, nous avions retrouvé ce groupe d’alpinistes à Chamonix, alors qu’elles se perfectionnaient en escalade. C’est dire si leur sort nous parle. Aussi relayons-nous aujourd’hui le nouvel appel lancé à différentes personnalités politiques pouvant agir pour délivrer des visas à trois jeunes Afghans en danger, dont deux femmes alpinistes, Raihana Ahmady, 22 ans (et son frère Mansoor, 16 ans) et Mina Bakhshi, 19 ans, actuellement en transit dans un camp de l’armée Américaine, en dehors de l’Afghanistan, et dans l’attente de l’accueil d’un pays d’Europe. Une action soutenue notamment par l’association Mountain Wilderness France, le Fond d’Aide au Cinéma de Montagne, la Cinémathèque d’Images de Montagne de Gap, les Clubs Alpins Français de l’Isère, les Comité Hautes-Alpes et Isère, ainsi que le Comité Régional PACA, de la Fédération Française des Clubs Alpins et de Montagne.
« Nous avons monté un dossier de demande exceptionnelle de visas asiles, que nous faisons remonter aux différentes personnalités politiques qui peuvent agir pour les délivrer. A savoir les élus départementaux de l’Isère, des Hautes-Alpes, les élus régionaux d’Auvergne – Rhône-Alpes et de PACA, ainsi que le Secrétaire d’État Joël Giraud et le Ministre des Affaires Étrangères, la Ministre des Sports, et le Délégué Interministériel à l’Intégration», nous explique Thibault Cattelain. « En parallèle, des festivals de renoms ont accepté de soutenir cette opération en programmant une tournée du film « Women Rising », de décembre à janvier. Notamment le festival d’Autrans, le 5 décembre, l’ICE climbing, le 16 janvier, et le cinéma de montagne de Grenoble (date à venir). Si les jeunes femmes sont arrivées en France d’ici là, elles sont invitées par les festivals en question », précise-t-il.
Concrètement, à travers la Fédération FFCAM, et en comptant sur l’aide de l’ensemble des acteurs montagne mobilisés en faveur d’ASCEND, Thibault Cattelain s’est porté garant de l’insertion de ces jeunes afghans dans les Alpes, grâce aux sports de montagne. Un lieu d’accueil à la frontière avec l’Isère et les Hautes-Alpes, ainsi qu’un programme de suivi socio-professionnel et juridico-administratif sont également prévus. Tout pourrait donc se débloquer très vite pour ces deux femmes alpinistes (et le jeune frère d’Ahamdi, Mansoor) dont voici le témoignage intégral, recueilli tel quel, le 10 octobre depuis Doha par leur collectif de soutien français.
Raihana Ahmai, 22 ans : ‘L’alpinisme me donne la sensation de pouvoir affronter les plus grands obstacles»
Née le 1er janvier 1999 à Kaboul, activiste, journaliste, et alpiniste de formation, Raihana a dû fuir l’Afghanistan il y a plusieurs semaines. Bien avant la prise du pouvoir par les Talibans, elle suivait à Kaboul un programme sportif organisé par Ascend Athletics. Un des personnages clefs du documentaire « Ascending Afghanistan : women rising », Raihana est l’une des Afghanes qui porte dans son pays la voix de femmes aspirant à plus de libertés, notamment celle d’exercer ses activités sportives sans crainte d’être emprisonnée par le pouvoir en place. Aussi est-elle très exposée et en danger absolu aujourd’hui. Parlant parfaitement l’anglais, en cours d’apprentissage du français, elle est également très investie bénévolement depuis longtemps dans différentes associations afghanes, notamment l’équivalent de la Croix Rouge française.
« Le sport et l’activité physique est l’une des parties les plus importantes de ma vie, car une bonne santé devrait être une priorité pour tout le monde. Pour moi c’est pareil. L’alpinisme est l’une des disciplines qui donne la tranquillité d’esprit aux êtres humains et je l’ai inclue dans ma vie jusqu’à la fin de ma vie. C’est une pratique qui me donne la sensation d’être libre et capable d’affronter les plus grands obstacles de ma vie et actuellement je fais face à un tel obstacle»
« Vivre dans un camp de réfugiés a été l’une des expériences les plus difficiles de ma vie, le sentiment d’être loin de ma famille, la disparition de tous les rêves et d’un futur que j’avais dans mon pays et de tous les projets de travail que nous avions pour nos vies. Dans l’ensemble, l’immigration est un mauvais sentiment. »
Mina Bakhshi, 19 ans : « J’ai l’impression d’être en prison. Qu’est-ce que je paie ? »
Née le 5 mai 2002 à Bamyan, de nationalité afghane, Mina se trouve dans la même situation que Raihana : Adhérente du programme d’Ascend, alpiniste de formation, et activiste très engagée pour la liberté des femmes Afghanes, elle maîtrise également l’anglais.
« Cela fait plus d’un mois que j’ai quitté ma maison, ma famille et tout ce que j’avais. Je ne peux pas croire ce que ma vie a traversé au cours des mois et des jours précédents. Le 14 août 2021, je n’ai jamais pensé à m’échapper de ma patrie, à rester dans un camp et à quitter ma famille, mais tout a été transformé le lendemain. Le jour où les talibans ont pris le contrôle de l’Afghanistan. Cependant, j’ai été évacué avec succès avec tout le soutien et les efforts de l’équipe Ascend et le fait que je sois dans un camp au Qatar maintenant, ma vie ordinaire me manque. Le camp est l’endroit où je peux être en sécurité car il y a des soldats tout autour du camp et ils répondent à certains de mes besoins fondamentaux tels que le logement et la nourriture, mais en tant qu’humain, je veux plus de la vie. Chaque jour, je me réveille, je prends mon petit-déjeuner, j’essaie d’apprendre de nouvelles langues en ligne, je lis le livre incroyable que j’ai apporté de Kaboul, je déjeune, je parle avec les membres de ma famille en Afghanistan. J’essaie de m’occuper toute la journée mais il y a toujours quelque chose qui manque à la fin. J’en ai marre de rester dans une chambre. Je renonce à ignorer les murs qui m’entourent tout autour du camp. J’ai l’impression d’être en prison, où il y a toujours une limite qui vous est imposée pour punir le crime que vous avez commis. Qu’est-ce que je paie ?
Je ne voulais rien d’autre que la vie ordinaire que je ne sois pas mise de côté en tant que fille, la vie que je peux éduquer et améliorer, la vie que je peux avoir et une autre expérience de l’escalade sur les hauts sommets. Est-ce trop exigeant ? » « Autrefois, j’avais des projets pour chaque seconde de ma vie. Maintenant, je ne sais pas où je vais être et ce que je vais faire dans les années à venir. Maintenant, je dois penser si ma famille peut survivre. Je dois réfléchir si je vais un jour reprendre ma vie ordinaire.
En plus du rôle du sport sur ma santé physique, le sport m’a aidée à être forte mentalement. Je me sens puissante en grimpant et je ne peux pas exprimer à quel point les sports d’aventure sont pour moi. Parfois, la vie me met tellement sous pression que je ne trouve pas de meilleur abri que les rochers sur lesquels je grimpe. »
« Le sport m’aide à détendre mon esprit et mon corps. Je me mets toujours au défi de devenir meilleure dans certains sports et ainsi, je peux développer mon potentiel pour avoir plus de succès dans ma vie d’athlète. Les livres que j’ai lus comme « Eat That Frog » de Brian Tracy, « Rich Dad Poor Dad » de Robert Kiyosaki ont joué un rôle important dans ma vie. Cela m’a inspiré à avoir une vie meilleure et plus saine et à toujours consacrer une partie de ma vie au sport et aux soins de santé. »