Le 4 juillet, deux alpinistes italiennes sont décédées en montagne après avoir gravi le Mont-Rose, dans les Alpes suisses. Les jeunes femmes, âgées de 28 et 29 ans, ont été piégées par un orage sous la « Pyramide Vincent », à 4150 mètres d’altitude. Malgré l’arrivée difficile des secours, elles ont toutes les deux succombé à une hypothermie. Même en été, le temps peut subitement basculer en montagne et entrainer des conséquences tragiques que l’on peut pourtant anticiper. Les conseils de notre expert en survie, David Manise.
Randonner en montagne l’été n’immunise pas contre le risque de neige – et encore moins contre l’hypothermie. Le week-end dernier, Martina Svilpo (29 ans), Paola Viscardi (28 ans) et Valerio Zolla (27 ans) étaient partis gravir le Mont-Rose, dans les Alpes pennines, un sommet qui culmine à 4634 mètres d’altitude. En redescendant de leur ascension, les trois alpinistes italiens se sont retrouvés bloqués sous la « Pyramide Vincent », à 4150 mètres, à cause de la dégradation des conditions météos. Un orage qui a fait chuter les températures, infligeant une hypothermie mortelle à Martina Svilpo et Paola Viscardi.
Piégés par la tempête, les alpinistes ont appelé les secours. « Ils ont été identifiés par un survol en hélicoptère du Secours Alpin Valdostan, mais impossible de les récupérer. Un groupe de guides alpins est donc monté à pied depuis le refuge de Mantoue. Les trois personnes ont été atteintes vers 21 heures : une alpiniste est décédée quelques minutes après l’arrivée des sauveteurs tandis que l’autre a été transportée au refuge de Mantoue où le médecin a tenté en vain de la ranimer », rapporte le média italien La Repubblica. Leur camarade, Valerio Zolla, a été évacué par hélicoptère et souffrait d’engelures, mais son pronostic vital n’était pas engagé et il a heureusement survécu.
Si le mauvais temps semblait annoncé à l’avance, c’est le froid qui a surtout dû surprendre le groupe italien. « À la cabane Reine-Marguerite (un refuge en contre-bas du Mont-Rose, ndlr), le thermomètre indiquait -4°C. L’après-midi, en revanche, le vent soufflait à 80 km/h, explique Valentina Acordon, climatologue de la Société météorologique italienne – faisant ainsi baisser la température ressentie. Il est donc possible qu’en réalité, ils aient pu ressentir environ -15°C. Les jeunes filles étaient bien équipées, mais selon les secouristes, avec des vêtements adaptés à la montagne lorsque les conditions météorologiques sont normales pour la saison, pas comme si elles étaient obligées de passer une nuit dans le froid », précise La Repubblica.
Ce fait-divers est passé presque inaperçu en France, s’étant déroulé en Suisse. Mais ce type d’accident pourrait également se produire dans l’Hexagone. On se souvient que le 5 décembre 2019, la Britannique Audrey Marsh avait été surprise par une tempête de neige durant une traversée des Pyrénées. Résultats, une hypothermie sévère et un arrêt cardiaque – par miracle, la randonneuse a survécu. Plus fiables que les miracles, quelques précautions de base peuvent faire la différence en montagne, rappelle notre expert en survie, David Manise.
Que faire en cas d’hypothermie sévère ?
C’ est une mort douce et agréable. Glisser vers elle peut être vécu comme une libération, un soulagement. Au-delà de notre peur de mourir, l’hypothermie teste réellement notre « envie de vivre»… notre capacité à continuer à lutter et à souffrir plutôt qu’à se laisser glisser. Difficile à traiter sur le terrain, elle est réellement un piège glacé, à prévenir et à éviter à tout prix.
Ne pas mettre les pieds dans l’abîme glacé
Étymologiquement parlant, « hypothermie » signifie « sous-chaleur ». C’est un état dans lequel la température centrale de notre corps diminue sous la normale. Quand on a un peu froid, un peu la chair de poule et les mains froides, notre température centrale est déjà à 36,5°C environ. Les mécanismes de lutte contre le froid (vasoconstriction, sécrétion d’adrénaline, augmentation du métabolisme, etc.) sont déjà en route, et visent à faire remonter la température par deux moyens :
Augmenter la production de chaleur et diminuer les pertes de chaleur. Exactement comme un compte en banque. On est à découvert ? Ok on bosse un peu plus, on dépense un peu moins, le compte remonte.
Bien.
Tant qu’on a des ressources énergétiques pour lutter, on ne tombe généralement pas bien loin dans l’hypothermie : notre corps compense. Le début des vrais ennuis arrive quand notre corps, pour une raison ou une autre – vos vêtements sont trempés, la température a brutalement chuté – cesse de compenser pour les pertes de chaleur. On dit alors qu’il décompense. C’est généralement là qu’on bascule dans l’abîme… Et c’est surtout à ce seuil qu’on ne veut jamais arriver. On veut en rester loin, comme le bord arrondi d’une crevasse de glace vive alors qu’on n’a pas de crampons. Il y a un seuil au-delà duquel ça devient très compliqué de ne pas glisser. Et une fois que quelqu’un est tombé dedans, il faut de gros moyens pour l’en sortir.
Il est dangereux de réchauffer un hypothermique à partir d’un certain stade
Une hypothermie est dite « profonde », à partir, grosso modo, du moment où on constate des troubles de la conscience (désorientation, obnubilation, coma). Elle devient alors un cas extrêmement complexe à gérer sur le terrain. La circulation sanguine étant compartimentée pour protéger les organes nobles (essentiellement le coeur et le cerveau) du sang extrêmement froid contenu dans les extrémités et les membres, il est important de respecter un protocole strict. Typiquement, à ce stade, une hypothermie ne peut pas être prise en charge par de simples secouristes, mais par un médecin spécialement formé, avec du matériel de pointe adapté.
Quelle conduite adopter ?
- Appeler les secours !
- Isoler la personne SANS TROP LA REMUER (éviter de propulser du sang froid des membres vers le cœur) : la faire glisser DOUCEMENT sur un matelas mousse isolant, l’entourer de sacs de couchage / doudounes / isolants.
- Mais NE PAS chercher à la réchauffer (sauf avis contraire du régulateur que vous aurez au téléphone).
Le but est d’abord de ne pas aggraver la situation. Tant que la personne est consciente, il faut lutter agressivement contre le froid.
Comment faire pour ne pas en arriver là ?
- Savoir se vêtir, faire du feu, faire des abris, bien manger, s’acclimater : toutes les connaissances techniques qu’on apprend typiquement en stage de survie au CEETS quoi.
- En résumé, toujours se maintenir dans sa zone de confort thermique. soit, rester sec et avoir plus de solutions que de problèmes : doudounes, bonnets, boissons chaudes, alimentation riche.
A partir du moment où l’on a froid, il faut mettre le paquet et se battre contre le froid comme une hyène jusqu’à ce qu’on ait de nouveau chaud… - Ne rien lâcher : la première chose qui s’engourdit avec le froid c’est notre esprit d’initiative… apprenez à détecter ce moment où vous vous roulez en boule et où vous commencez à subir, et sortez de là activement et agressivement !
L’hypothermie profonde est vraiment un truc qu’il vaut mieux prévenir que guérir sur le terrain. Soyez prudents.
Cette rubrique est réalisée en collaboration avec David Manise, instructeur de survie et de self-protection depuis 2003. Fondateur du forum vie sauvage et survie, il est également à l’origine du CEETS, Centre d’Etude et d’Enseignement des Techniques de Survie.
Formateur, il est aussi conférencier, traducteur et auteur de plusieurs ouvrages, notamment : La vie est injuste, et à la fin tu crèves. « Un petit essai énervé sur la différence entre la théorie et la pratique » et Manuel de [sur]vie en milieu naturel, chez Amphora, en juin 2016.
Photo d'en-tête : (Chirag Saini)