Les skateurs ont perdu leur patriarche, l’Américain Paul Van Doren, créateur de Vans, décédé le 6 mai dernier à l’âge de 90 ans. Celui qui, en 1966, imaginait pour eux une chaussure en toile souple dont la semelle de caoutchouc était suffisamment épaisse pour durer, tout en accrochant. Une révolution qui devait faire de la marque aux damiers noirs et blancs un symbole de la pop culture et des sports de glisse.
Le 11 mars 2010, au Prince Charles Cinema de Leicester Square, à Londres, toute la scène skate britannique est au rendez-vous, ainsi que les riders de l’équipe européenne de Vans. Notamment Chris Pfanner, Ross McGouran, Kris Vile, Danny Wainwright, Flo Marfaing, Sam Partaix, et bien d’autres. Aucun ne manquerait la première de « 66 », le doc de 45 minutes de Vans, dont la bande-annonce avait fait le tour de la planète skate suffisamment longtemps pour qu’on trépigne de le voir. Filmé en huit mois l’année précédente, son concept était de parcourir l’histoire du skateboard avec chaque membre du team.
Les skateurs ne seront pas déçus. Une fois de plus, la marque à l’origine de la chaussure culte des riders, aura su trouver le bon ton pour leur parler. Une intuition que Vans doit à son créateur, Paul Van Doren, disparu le 6 mai dernier. Il avait 90 ans et si depuis 1988 il avait décroché de Vans, son nom restera définitivement attachée à l’une des meilleures success story de l’outdoor. Une épopée « à l’américaine » que Paul Van Doren, venait d’ailleurs de raconter dans « Authentic » (« Authentique : mémoires du fondateur de Vans »), paru cette année aux États-Unis peu avant sa mort. Le genre d’histoire qu’on aime bien, tant elle rappelle qu’au-delà des business plans et des études marketing, ce qui fait la différence, et le succès, c’est l’humain. Et ça, Paul Van Doren, l’avait certainement compris.
Le 16 mars 1966, Paul et son frère Jim, associés alors à Gordon Lee et Serge Delia, ouvrent les portes de la Van Doren Rubber Company, petite société installée au 704 E. Broadway à Anaheim, en Californie. Le lieu est unique : on y fafrique des chaussures et on les vend directement au public. Le premier matin, 12 clients achètent des paires, vendues entre 2,29 et 4,49 dollars. Elles sont fabriquées le jour même, prêtes à être retirées dans l’après-midi. Un petit succès qui visiblement étonne les Van Doren eux-mêmes. Ils n’avaient pas prévu de monnaie et, confiants, vont simplement demander à leurs clients de passer les payer le lendemain, raconte Paul dans son livre. Contre toute attente, tous reviendront payer leur dette !
Pour Tony Alva, une chaussure unique
Faire confiance au client et l’écouter sera toujours le point fort de Paul Van Doren. Celui qui propose des « « Canvas Shoes for the Entire Family », des chaussures en toile pour toute la famille, n’hésite pas à les personnaliser, à la demande. Moyennant un petit supplément de quelques cents, il assortit les modèles aux robes des femmes (qui peuvent apporter leur propre tissu !) et aux couleurs des équipes de sport scolaires. Il vend aux clients des chaussures de deux couleurs différentes, voire une seule chaussure aux skateurs qui lui expliquent, que, forcément, c’est toujours le même pied qui s’use plus que l’autre ! (Le message venait de Tony Alva, quand même !). Cette personnalisation fera toute la différence. « Les meilleurs professeurs dans l’art de la vente sont les clients eux-mêmes », écrit Paul dans son autobiographie, expliquant que disposer d’une usine sur place (Vans produit maintenant à l’étranger) leur donnait la flexibilité nécessaire pour offrir une rotation rapide et produire des modèles sur mesure.
Si Paul écoute ses clients, il les observe aussi beaucoup. A une époque où, rappelle-t-il tout le monde chassait les enfants, jugés trop bruyants et agités, des parcs et des piscines, lui comprend leurs codes, les soutient et leur fabrique des chaussures correspondant à leurs besoins, et à leur goût. En 1971, il remarque qu’au lycée d’Huntington Beach les ados dessinent au stylo des damiers sur la bande de caoutchouc de leur chaussure. Il ne lui faudra que quelques jours pour les imprimer sur le caoutchouc, puis sur la toile. La fameux motif à damiers noirs et blancs était né. Il devait devenir l’emblème de la marque.
L’apparition de Sean Penn, Vans aux pieds, booste la marque
Mais si le style fait la différence, c’est sans doute la technique qui va convaincre, et fidéliser, une clientèle très exigeante, les skateurs. Massacreurs de baskets, ils seront vite conquis par la fameuse semelle gaufrée, en fait conçue pour corriger un défaut. Les semelles en caoutchouc à motifs de diamants ayant tendance à se fissurer sur la plante du pied après une brève période d’utilisation, Vans a donc fini par mettre au point un motif gaufré plus dense qui, de surcroit, ajoutera à l’adhérence. Elle deviendra vite sa signature.
Signature que Paul Van Doren va vite associer à de grands noms de la glisse. Car depuis les Jeux olympiques de Munich, en 1972, l’homme d’affaires a compris le potentiel marketing de la collaboration avec les athlètes. L’impact médiatique d’un Mark Spitz saluant la foule avec une paire d’Adidas, après avoir remporté sa 7emédaille d’or, ne lui a pas échappé. Voyant le potentiel de collaboration avec ses clients Z-boys, Paul invite alors Stacy Peralta – le premier athlète de la marque qui recevra un salaire mensuel pour porter des Vans – et Tony Alva pour parler de la conception des chaussures et recevoir des baskets gratuites. Ils ont fini par former la Vans skate team, devenue la Vans surf team et la Vans BMX team. Skateurs et surfeurs ont ainsi étoffé la famille Vans, et c’est eux qui l’ont aidée à s’étendre au-delà du marché des baskets. Alva a d’ailleurs prêté sa voix à la version audio de l’autobiographie de Pau Van Doren, « Authentic ».
C’est ce même Stacy Peralta qui en 1976 crée, avec Tony Alva, la mythique #95 de Vans, rebaptisée par la suite Era. Un modèle qui devient vite la référence pour toute une génération de skateurs. A cette époque, la société ne se positionne plus depuis longtemps comme le fournisseur « de toute la famille ». Et c’est « Off The Wall » qui est devenu son slogan universel, en référence aux figures de skateboard. Mais il faudra attendre les années 80 et l’apparition des baskets Vans aux pieds de Sean Penn, dans « Fast Times at Ridgemont High » (« Ça chauffe au lycée Ridgemont ») en 1982 pour que Vans devienne un emblème pour les jeunes. Après ce film, mettant en scène un surfeur et sa passion pour l’adrénaline, la culture de la jeunesse californienne et les Classic Slip deviendront un phénomène mondial. Du jour au lendemain, le motif « checkerboard » est immédiatement identifiable et l’entreprise qui pesait alors 20 millions de dollars s’envole à 40 millions de dollars.
La favorite de Paul Van Doren ? L’ « UltraRange »
Mais les affaires ne vont pas bien pour autant. Vans s’éparpille, sa gamme est trop large, la marque tente de concurrencer Nike et Adidas sur leurs terrains. Et 1984, la société dépose une demande de protection en vertu du chapitre 11 de la loi sur les faillites américaine. Il faudra le retour de Paul Van Doren – parti une première fois à la retraite en 1980- à la présidence de la société pour la remettre sur les rails avant qu’il la quitte définitivement en 1988. Non sans prendre soin d’y installer quelques membres de sa famille : La petite-fille Kristy Van Doren est directrice principale du marketing de Vans pour les Amériques du Nord ; la petite-fille Jenny Battiest est directrice du merchandising pour les Amériques, et la fille Cheryl Van Doren est vice-présidente des ressources humaines, selon le magazine américain WWD.
Aujourd’hui, la marque – vendue en 2004 au groupe VF Corporation, propriétaire notamment de The North Face et de Supreme – pèse 4 milliards de dollars et continue d’occuper le terrain sur tous les fronts de la culture jeune. Via des événement musicaux, tels que le Vans Warped Tour qui a tourné pendant 25 ans, devenant un tremplin pour Katy Perry, Green Day, Eminem, Black Eyed Peas et bien d’autres. La collaboration avec Karl Lagerfeld, Marc Jacobs et surtout avec Supreme, en 1996, très médiatisée. Et bien sûr l’ouverture de skate parks partout dans le monde, sans parler de la création d’événements de la glisse. A commencer par le Vans US Open of Surfing, le Vans Duct Tape Festival, évènement de longboard classic et le Vans Triple Crown. De quoi consolider ses bases dans le milieu de surf, du skate et du snowboard. En France, le team Vans est large. Côté surf, on compte Lee-Ann Curren, Margaux Arramon-Tucoo, Clovis Donizetti, Adrien Toyon, Titouan Boyer, Kepa et Gaizka Housset ou encore Jules Lepecheux. Côté skate : Victor Pellegrin, Sam Partaix et Valentin Bauer, pour ne citer qu’eux.
A leurs pieds, des vans. Peu avant sa mort, Paul Van Doren en portait lui aussi, à 90 ans. Des « UltraRange » avec une bande blanche. Ses préférées, expliquait-il volontiers.
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