Le 27 juin dernier, Nourayat Mohamed et ses six camarades de l’association APART atteignaient le toit de l’Afrique (5 896 m). Une cordée de filles soutenue par Arc’teryx, venue des quatre coins de la Seine-Saint-Denis, en banlieue parisienne, que rien ne destinait pourtant à accomplir une telle ascension, Et surtout pas Nourayat, 21 ans, aussi réservée que peu sportive. Cet exploit, car ç’en est un, a pourtant tout changé pour elle, raconte-t-elle.
Pour certains, le « Kili » est devenu une « promenade de santé » presque banale, pour peu qu’on « ait la caisse » et le budget pour gravir le plus haut sommet d’Afrique, culminant à 5 896 mètres, au cœur de la Tanzanie. Pour d’autres c’est un rêve, totalement inaccessible. Faute notamment de pouvoir payer le permis d’accès, 1000 dollars aujourd’hui – presque un détail au regard de tous les autres frais liés à une telle ascension, du billet d’avion aux porteurs, sans parler de l’équipement technique, chaussures, vestes, sac à dos et tentes. Mais faute surtout d’être né au bon endroit, dans un milieu où montagne rime dès l’enfance avec plaisir et goût du dépassement de soi. C’est le cas de Nourayat Mohamed, 21 ans, dont le cœur balance entre les Comores, son pays d’origine, et la Seine Saint Denis (93) – département de la banlieue parisienne trop souvent à la une de BFM, rubrique « violences urbaines », – ou plus précisément Bagnolet, sa ville aujourd’hui. Aussi, lorsqu’à l’issue de huit jours de marche, elle parvient, le 27 juin, au sommet du Kilimandjaro, elle exulte et pleure. De joie. Et avec elles, Rayanne Belhamza et Imane Mansouri, 22 ans ; Abir Aghlimou et Widad Mokdad, 21 ans, Aché Issakha, 23 ans et Wafat Mari, 27 ans, ancienne bénéficiaire de l’association, devenue elle-même éducatrice spécialisée. Sept filles encadrées par Dorothée Lesne, la cordée entière d’APART, association soutenue par Arc’teryx, pour qui le plus court chemin vers un emploi passe par la découverte du sport en pleine nature, notamment via l’alpinisme. Sans faillir, toutes ont atteint un objectif qui était loin d’être gagné. Notamment pour Nourayat, arrivée là par hasard, ou presque.
« Pourquoi pas moi ? »
« Au départ, c’est ma cousine, Wafat, qui m’a parlé du projet. En 2015 elle avait déjà fait avec APART l’ascension du Kalapatar, au Népal. Comme je suis bénévole depuis l’âge de 15 ans dans une association, l’AJDB (Association des jeunes pour le développement à Bagnolet), elle savait que je connaissais pas mal de gens. Elle m’a demandé de présenter le projet du Kilimandjaro et de voir qui, parmi les filles – l’idée était de monter une cordée de féminine, une sorte de défi – pouvaient être intéressées, en fonction de certains critères. Il s’agissait d’une expédition sportive, supposant une préparation assez intensive, ce qui veut dire une certaine disponibilité. Aucune fille ne collait au profil. Je ne suis pas du tout sportive, mais mon emploi du temps – je suis en alternance dans une association – est assez souple. Alors, à un moment, je me suis dit : pourquoi pas moi ? »
« Si tu veux le Kili, il faut que tu t’entraines ! »
« J’avoue que j’ai beaucoup hésité avant de m’engager. Car je doutais de moi physiquement et mentalement. Ces dernières années, j’avais pris beaucoup de poids. Moins d’activité, plus de repas pris dehors… sans m’en rendre compte, je m’étais alourdie de quinze kilos. Alors j’étais un peu pessimiste, mais je me suis dit que je pouvais peut-être y arriver. Même si je n’avais jamais vécu d’épreuves qui montraient que je pouvais atteindre un objectif. J’ai donc décidé de me fixer une ligne de conduite et de m’y tenir. Comme je me sentais un peu désavantagée par rapport aux autres, je me suis forcée à ne manquer aucun entraînement pour me préparer au mieux. Parfois, ça a été très difficile, tout me semblait inaccessible, mais je me suis forcée en me disant : si tu veux le Kili, il faut que tu t’entraines !
C’est le premier gros objectif que je n’abandonne pas ! Auparavant, j’en avais essayé d’autres, notamment perdre du poids, sans résultats. Là, le projet global, encadré par APART, m’a aidé. Et au fur et à mesure des entraînements, une fois le choc du commencement passé, je me suis rendue compte que j’y prenais du plaisir. A chaque séance, je voyais que je pouvais aller plus loin. Et chaque fois, j’étais super fière de moi. Tout ce que je fais, j’aimerais le faire avec perfection. Alors j’analysais chaque séance, réfléchissant à pourquoi ça s’était bien, ou mal, passé, pour mieux anticiper la prochaine. Seule, sans aide du coach que je n’osais pas solliciter. Pourquoi ? Je ne sais pas. J’aurais pu, mais face à un homme, je n’étais pas très à l’aise. Je pense que je suis pas très avenante. Finalement je me suis rendue compte que c’était moi qui me fermais.
« On dit que la montagne change une personne, je voulais voir comment »
Un mois avant de partir pour la Tanzanie, lors d’une des dernières séances d’entrainement, le coach nous a mis une nouvelle fois sur le tapis, pour un sprint. Depuis le début, c’était une épreuve pour moi, j’y allais la boule au ventre. Ce jour-là, je me suis dit : c’est toi contre toi ! Tu dois y arriver. Et j’ai réussi à monter à 17 km / heure. Quand je suis revenue du Kili, délestée de quatorze kilos, déjà perdus avant le départ, et de quatre autres éliminés pendant le séjour, j’ai réalisé que courir me manquait. Et, seule, j’ai refait le test du sprint. Cette ascension a libéré une confiance en moi incroyable !
« Strong mind, strong heart », une phrase que nous répétait sans cesse l’un des guides lors de l’ascension pour nous motiver : un mental fort, un cœur fort. Ca m’a marqué. Et chaque fois que je fais du sport maintenant, ou que je fais quelque chose de difficile, je me la répète. Ils – les guides, APART, le groupe – ont cru en moi, donc moi aussi je dois croire en moi. On dit que la montagne change une personne. Je ne voyais pas de quoi les gens parlaient. Mais au retour je voulais voir « l’après moi ». Alors si tu me demandes ce qui a changé ? Le soir de l’ascension, je ne me sentais pas bien, je respirais mal, épuisée au bout de quinze minutes, vidée. Impossible les jours précédents d’avaler quoi que ce soit. Et il nous restait huit heures de marche. Je me suis dit que je n’allais pas y arriver, me suis demandé ce que je faisais là, j’ai tout remis en cause, espérant, sans l’avouer, qu’une fille renonce avant moi, ce qui m’aurait permis de la suivre. Mais malgré tout j’ai réussi à tenir ma parole. C’est une immense satisfaction personnelle ! J’ai réussi à atteindre un objectif que je m’étais fixé, dans la durée. Arrivée au sommet, j’ai fondu en larmes. Des larmes de libération. On s’est dit : c’est fini, on y est arrivées ! On avait réussi. Le groupe avait réussi : là, le moral était quelque chose de collectif. Ca aurait été différent si on n’y était pas toutes arrivées.
Passée l’euphorie du retour, j’ai eu une baisse de moral, car pendant cinq mois ma vie avait tourné autour du sport et du projet, alors j’étais un peu perdue. J’y avais pensé avant le départ et j’avais réfléchi à une autre occupation : courir un marathon ! Et comme je suis fascinée par les Sept merveilles du monde, pourquoi pas celui de la Grande muraille de Chine en 2023 ? Financièrement, ce n’est peut-être pas possible, mais je cours encore avec cet objectif.
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Photo d'en-tête : Arc'teryx / APART