Tous les deux, trois ans depuis 2018 le Catalan Ignasi López Fàbregas produit un merveilleux film d’animation. Après les excellents « Viacruxis » et « El grand hito », il revient avec « Egoland », un court métrage de 18 minutes racontant la première ascension épique du Great Troll, un sommet tout droit sorti de son imagination, par deux alpinistes imaginaires, Bruno Grassi et Marek Molek. Un court métrage sur le milieu de l’alpinisme tellement drôle et bien vu, qu’à quelques jours des « Piolets d’or », « Oscars de la discipline » décernés le 15 novembre à Briançon, il nous a donné envie de rencontrer son réalisateur, aussi modeste que talentueux. Et on n’a pas été déçus.
« Marek Molek et Bruno Grassi sont sur le point d’atteindre le sommet du Grand Troll, la dernière et la plus difficile des montagnes non escaladées. », explique le synopsis de « Egoland », le dernier film d’ Ignasi López Fàbregas. « Une forte tempête, l’épuisement et des conditions d’enneigement défavorables les empêchent d’atteindre le sommet, pourtant tout proche. Bruno et Marek se demandent s’ils doivent ou non dire la vérité. Au cours de la descente périlleuse, l’un d’eux tentera de persuader l’autre par tous les moyens… vraiment tous les moyens. Pendant ce temps, Mike Bacon, l’envoyé spécial qui couvre l’actualité, tente vainement de les joindre et se morfond au camp de base. »
L’histoire vous rappelle sans doute quelque chose, on a tous à un moment ou un autre croisé un Marek Molek ou un Bruno Grassi, et on ne vous spoilera pas ce film à découvrir en festival cette année qui, avec beaucoup d’humour pose les bonnes questions. A quel point est-il important d’arriver le premier au sommet ? Comment pouvez-vous prouver que vous y étiez ? Quels risques êtes-vous prêt à prendre pour y parvenir ? Quel risque pouvez-vous faire courir à votre partenaire de cordée ? En bref, « Egoland » démontre, s’il le fallait, que le chemin est plus important que le sommet.
Des films couverts de prix
Depuis sa sortie, fin 2022, ce film a reçu 18 prix lors de festivals de films de montagne ou d’animations. A juste titre car il est de la même veine que les deux précédents, « Viacruxis » et « El grand hito », deux grands succès eux aussi, que le réalisateur, le génial Ignasi López Fàbregas, a la gentillesse de partager gratuitement aujourd’hui avec les lecteurs d’Outside pendant toute une semaine. On ne peut que l’en remercier, car ces films là on les avait adorés.
Sorti en 2020, « El gran hito » (13’54’’), est l’histoire d’un alpiniste très ambitieux en quête d’un sommet jugé impossible. Il va s’y atteler, quoi qu’il en coûte. En parallèle, une femme, lassée d’attendre que son mari revienne de ses longues sorties en montagne, décide, elle aussi, de partir à l’aventure et de tenter une ascension plus modeste. En tant que femme, elle devra surmonter des obstacles qui s’avéreront plus difficiles à franchir que d’atteindre le sommet lui-même. Les destins des deux personnages se rejoindront au fur et à mesure qu’ils poursuivront leurs objectifs respectifs.
Un thème qui n’était pas sans rappeler celui de « Viacruxis », film de 12’45’’ sorti deux ans plus tôt, en 2018 : « Marcel et Andrezj forment une équipe d’alpinistes légendaire. Ils ont été les premiers à conquérir les sommets les plus hauts et les plus durs. Malgré leurs tempéraments différents, ils forment un duo formidable. Mais au fil du temps, Marcel a pris la tête et la popularité, tandis qu’Andrezj joue toujours désormais un rôle secondaire. Aujourd’hui, ils sont confrontés au plus grand défi : atteindre le sommet vierge de la plus haute montagne. Pour y parvenir, ils devront surmonter de formidables obstacles, subir des épreuves et se supporter mutuellement pendant longtemps… Mais Andrezj ne veut plus rester dans l’ombre de Marcel… »
« Vivre mes aventures à travers mes marionnettes »
Depuis 2018 Ignasi López Fàbregas arpente donc les cimes, grâce à ses marionnettes, qu’il fabrique et manipule lui-même, ainsi que ses décors, à défaut de pouvoir grimper aussi souvent qu’il l’aimerait, car le Catalan vivant à Barcelone voue une véritable passion à l’alpinisme « à son humble niveau », nous raconte-t-il. « J’adore aller en montagne, et ça depuis l’enfance quand mon père nous y amenait en famille du côté de Montserrat ( dans les environs de Barcelone, ndlr), le week-end, ou en été. On ne faisait rien de bien difficile, mais jusqu’à mes huit ans, ça faisait partie de mes plaisirs. J’en ai gardé des souvenirs très intenses, notamment du bruit du vent dans les forêts qui m’impressionnait beaucoup. Il y avait quelque chose de magique, de surnaturel. Puis mes parents se sont séparés et il a fallu attendre mes 17 ans pour que j’y remonte et fasse des sorties plus engagées avec notamment de l’escalade sur glace. Mais à 25 ans, j’ai eu un gros accident, j’ai dévissé sur plus de 100 mètres dans les Pyrénées. J’ai eu la peur de ma vie et beaucoup de chance d’en sortir vivant. Après ça, je suis passé à l’escalade sportive, plus sûre. Ma passion s’est donc assagie, mais maintenant, à 51 ans,, c’est ma fille de 17 ans qui m’y pousse, c’est fantastique ! »
Cet univers, Ignasi le connaît donc bien, et c’est sans surprise que bien des années plus tard, on va le retrouver dans ses films d’animations les meilleurs. Un art auquel rien ne le prédestinait vraiment.« J’ai étudié l’art et fait pas mal de BD, j’ai beaucoup peint aussi, mais quand à la naissance de ma fille, j’ai acheté une petite caméra vidéo, j’ai commencé à faire de petits films, à monter des histoires amateurs dont les acteurs étaient mes proches. Mais bon, ça a des limites, et ce que j’adore, moi, c’est le film de fiction, ce qui est très compliqué. Le vrai cinéma coûte très cher. Je n’avais pas beaucoup de moyens, alors j’ai essayé de voir ce qu’on pouvait faire avec l’animation, avec des marionnettes et des décors faits maison. Je n’y connaissais rien, mais on peut tout apprendre avec des livres et des tutoriels. C’est ce que j’ai trouvé le plus à ma portée pour créer un monde fantastique qui n’existe pas et raconter des histoires compliquées, car la marionnette t’offre la distance suffisante pour que ça ne t’affecte pas trop. Ce ne sont que des poupées, mais elles peuvent traduire des émotions humaines très complexes.
Le plus dur ? Exprimer des émotions sans paroles
J’avais déjà testé ça dans un film sur le thème de la violence mettant en scène des fruits animées ou des biscuits, ainsi que dans quelques clips très courts de 30 à 40 secondes. Mais avant de m’attaquer à des projets bien plus longs, comme « Egoland » par exemple, il faut que cela murisse et que je sois totalement convaincu qu’il me passionne. Car, considérant mes moyens, je fais tout moi-même, hormis les voix et la musique, je sais que je vais devoir m’y dédier pendant deux ans si je veux sortir un film d’une quinzaine de minutes. C’est beaucoup, et c’est peu à la fois, tu pourrais aussi y passer dix ans ! Il faut savoir que la réalisation se fait image par image. Pour chaque seconde, il te faut 24 photos. Autrement dit, pour réaliser 5 à 6 secondes de film, il me faut au moins une journée complète. Sans parler bien sûr de tout le travail préalable. A savoir écrire le scénario et faire les marionnettes, ce que j’ai fait à 100% pour mes deux premiers courts métrages sur le thème de la montagne. Sur le dernier, « Egoland », j’ai acheté des personnages avec des membres articulés pour donner plus de précisions aux mouvements d’escalade. Dans mes tâches également, les décors et les éclairages. Je ne touche pas aux costumes, j’ai un peu de mal avec ça, je les confie à une couturière. De même avec la musique, un élément très important que je délègue.
En dehors de jobs alimentaires, Ignasi dédie donc une grande partie de son temps, de son énergie et de ses fonds propres aussi (il n’est soutenu par aucune maison de production), à ses films d’animation concentrés depuis cinq ans maintenant sur le thème de la montagne.
« Avec « Viacruxis « mon premier film sur ce thème, j’ai été animé par un désir très fort, l’envie de montrer ce que peut être une expérience vitale, comment on met tout dans un objectif, combien l’idée de l’effort est importante. En résumé, montrer comment une expédition en montagne peut-être une métaphore de la vie. Mais, quand j’ai été invité à le montrer dans des festivals de montagne, ce à.quoi je ne m’attendais pas, j’avoue que j’avais un peu honte de le montrer à de vrais alpinistes, moi qui arrivais avec mes marionnettes en bois. Mais il a été très bien accueilli, peut-être parce que je cassais les codes du récit, et que sans vouloir me moquer des alpinistes, parce que j’ai beaucoup de respects pour ces ascensions extraordinaires, j’y apportais un peu d’humour. Peut-être aussi est-ce dû au fait que mes histoires ne sont pas seulement des histoires d’action, mais aussi des histoires humaines. «
Ce thème de l’alpinisme est-il difficile à traduire avec des marionnettes sur le plan technique ? « Non, pas du tout, j’ai quelques connaissances en alpinisme et ces marionnettes réalisent en fait les aventures que je n’ai plus le courage de faire, alors pour les reproduire, je regarde beaucoup de films d’archives et jusqu’à présent je n’ai jamais eu de commentaires négatifs sur les gestes strictement techniques. Le plus dur en fait est de raconter l’histoire sans dialogue parlé, sans paroles en fait, par des gestes (soutenus par des grognements, ndlr). Les dialogues ne sont pas mon fort, j’ai toujours eu un peu de mal avec la parole. Les doublages s’appuient sur une trame de mots qui ne sont pas intelligibles, ils sont assurés par trois personnes, dont ma femme, Ana Vega, et deux amis. Ce sont eux qui produisent ces sons et travaillent les intonations, très importantes. Après, intervient la synchronisation et c’est moi qui donne le dernier mot. Bien sûr le film pourrait presque fonctionner sans le son, en muet, c’est d’ailleurs comme ça que je les imagine au départ dans ma tête. J’aime beaucoup ça, car cela veut dire qu’il peut être compris partout, dans tous les pays du monde. » Objectif atteint visiblement, au regard du nombre de prix que glane chacun de ses films. On attend donc avec impatience le prochain. Ignasi López Fàbregas aimerait bien, dit-il, sortir de l’univers de la montagne, « pour ne pas se répéter, mais happé par sa passion, il est remonté dans les cimes avec son dernier projet » « Kronoshock », toujours en recherches de fonds.
Aidez Ignasi López Fàbregas à réaliser son prochain film sur la montagne : « Kronoshock »
Le réalisateur Ignasi López Fàbregas n’a pas encore terminé de faire tourner « Egoland, son dernier film d’animation déjà multiprimé dans les festivals les plus prestigieux, qu’avec son équipe il planche sur un nouveau court métrage situé, une fois de plus, en montagne : « Kronoshock ». Un film qui devrait nous faire voyager dans le temps et montrer combien l’alpinisme a évolué depuis ses débuts. Et ce, toujours avec l’humour qui caractérise le travail du Catalan. Afin de financer cette œuvre, il vient de relancer sa campagne de crowdfunding. Avec votre aide, « Kronoshock » sortira en octobre 2024. Pour y participer – chaque euro compte, Ignasi López Fàbregas produisant à compte d’auteur – rendez-vous ici. Pour suivre son activité, voir son compte Instagram ou son site.
Et en attendant, voici un avant-goût du film :
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