Tignasse hirsute, barbe fournie, regard droit et un peu las, il est le visage de l’European Outdoor Film Tour débutant en France le 9 décembre. Celui qui se revendique comme explorateur, ou plutôt comme « ré-explorateur » arrive ici avec son dernier film, primé dans tous les festivals : « Le minimaliste ». Le récit de son périple dans la chaîne himalayenne. Plus de 2 000 kilomètres en quatre mois et demi, avec en toile de fond sa fascination pour le nomadisme.
Eliott Shonfeld arbore encore sa barbe, le jour de notre entretien. “Je vais la couper bientôt”, dit-il. « Je rentre de Guyane, un des lieux les plus beaux qu’il m’ait été donné de voir. Ma tête et mon cœur y sont encore ». Parti 45 jours au plus profond de la jungle, seul et sans moyen de communication, le Parisien de 27 ans s’est glissé dans les pas de l’explorateur français Raymond Maufrais. Disparu en 1950 dans l’enfer vert guyanais, son corps ne fut jamais retrouvé. Eliott, lui, entendait boucler le projet de l’écrivain : « traverser seul toute la Guyane pour rejoindre les légendaires monts Tumuc-Humac, avec l’espoir de rencontrer une tribu d’indiens aux yeux bleus, très grands, vivant à l’âge de pierre comme la rumeur les décrivait ». Dans son sac, l’ouvrage de Maufrais : ‘Aventures en Guyane‘, son « guide » pendant l’expédition qu’il considère aujourd’hui comme la plus éprouvante qu’il ait entreprise à ce jour, tant la progression dans la montagne y fut dure et la solitude profonde. « J’ai eu peur de mourir, de ne jamais y arriver », avoue-t-il. Il en revient avec 15 kg en moins et le sentiment d’avoir « touché à l’origine du vivant » dans la jungle. Un territoire découvert pendant son périple précédent dans l’Himalaya, théâtre de son film, « Le minimaliste ».
« Mon rôle en tant qu’explorateur ? Nous ramener sur terre«
« L’Himalaya marque une étape », raconte Eliott Schonfeld. « C’est ma première expédition planifiée. Imprégné de la lecture de « La marche dans dans le ciel », d’Alexandre Poussin et Sylvain Tesson, et de « La vie secrète de Walter Mitty » de James Thurber, j’ai mis trois ans à murir ce projet avant d’estimer que j’en étais capable, c’est à ce moment-là que j’ai décidé de devenir explorateur. Je sais, à l’heure de Google Earth, le mot est anachronique. On peut se demander si cela a encore du sens, mais je me revendique comme tel, car je suis convaincu qu’il reste des choses à explorer. Notre civilisation nous a rendu presque étranger à notre planète. Mon rôle, mon métier d’explorateur, est de tenter de nous ramener sur terre. Pour être plus juste, plutôt que d’exploration, sans doute faudrait-il parler de « réexploration ». Le mot n’est pas très beau, mais un monde sans exploration est un monde mort, un monde vide. Tant qu’il y a des explorateurs, c’est le signe qu’il y a encore du vivant, du mystère, des secrets. Et donc de l’intérêt à habiter cette planète.
En 2017, quand je pars, seul, pour une traversée de quatre mois et demi dans l’Himalaya avec Robert, mon cheval, je veux aller encore plus loin qu’en Mongolie, ma première expédition montée en 2015, à 22 ans. J’avais alors découvert un autre mode de vie, le nomadisme. Une expérience déterminante pour moi, dont la survie dépend d’un milliard de choses. Coupé de l’origine de l’essentiel, je finissais par oublier que la bouffe ne poussait pas dans les rayons des supermarchés. Avec les nomades, j’ai eu l’impression de revenir sur terre. Par la suite, en Alaska, je me suis intégré plus encore dans le sauvage. Sans sentier, piste ou route, me nourrissant par mes propres moyens.
« Je jette mon sac à dos Décathlon »
L’étape d’après, c’était l’autonomie matérielle. L’Himalaya est un bon endroit où le faire. Des milliers de gens y vivent ainsi. Dans mes voyages précédents, j’étais constamment en contradiction avec moi-même. Je quittais la ville, certes, mais je l’emportais dans mon sac à dos rempli d’objets participant à la destruction de ces lieux sauvages que je parcourais. Mon idée était donc de les remplacer par des alternatives naturelles. Je ne prétends pas y être complètement arrivé, les conditions plutôt rudes des premières semaines ne se prêtant pas à un abandon de ma tente et de mon duvet, mais sur la fin, j’ai réussi à me délester de mon sac à dos Décathlon, remplacé par une besace en bambou, fabriquée avec la technique de nomades rencontrés en chemin, à dormir dans un abri et à produire du feu par friction. J’ai gardé mes pompes et mes fringues. Et mes caméras aussi. Contradictoire ? Possible, mais je suis parvenu à dépasser cette contradiction, car j’essaie de faire passer des messages écologistes. Et ne plus filmer reviendrait à être silencieux.
J’en venais à espérer qu’éclate une guerre
Reste que je suis parti très léger. Je ne prends jamais grand-chose, je me suis lancé à l’assaut des glaciers sans crampons ni piolets. J’avais même oublié les gants. Je croyais que c’était possible d’y arriver sans. Ça fait des milliers d’années que des gens franchissent ces cols sans problème. Mais face au passage le plus abrupt, j’ai commencé l’ascension le matin, mais faute d’équipement, j’ai dû attendre plusieurs heures que le soleil attendrisse un peu la glace.
Mon expérience de la montagne était nulle, inexistante. J’aurais peut-être dû commencer par le Massif Central ! En fait, au départ de cette expédition, j’étais terrorisé. J’en venais à espérer qu’une guerre entre le Pakistan et l’Inde m’oblige à y renoncer. C’était difficile physiquement, parce que je ne fais jamais de sport. Ma préparation à moi : c’est la précédente expédition. J’y apprends un peu plus sur mes limites. Sur ce que mon corps peut encaisser.
Seul sur une île déserte ?
Au retour, ce qui est perturbant, c’est de passer de plusieurs mois de marche en pleine nature à la frénésie urbaine. Mes expéditions durent de trois à six mois. Puis je rentre à Paris, ma ville d’adoption, Porte de Vincennes, avec vue sur le périph. Le temps de voir ma famille, ma copine et mes amis, et de travailler sur le film et le livre issus de mon expédition. J’ai des retours très positifs du public. « Le minimaliste » a été primé sept fois. Il faut croire qu’il parle aux gens. Ça les fait rire, j’adore rire et faire rire. C’est gratifiant de voir que ton travail plait aux gens. Mais le film reste mineur, ce n’est pas l’objectif du voyage.
D’ailleurs, rapidement l’envie de partir et de poursuivre ma quête d’apprentissage auprès des peuples premiers me reprend. Ma prochaine expédition ? Peut-être dans le grand nord en 2020, chez les Inuits. Et à terme : seul sur une ile déserte dans le pacifique Sud. Avec rien. Mais je ne me sens pas encore prêt à le faire. »
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Photo d'en-tête : Eliott Schonfeld- Thèmes :
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- Eliott Schonfeld