Tous les signaux environnementaux ont beau être au rouge des Alpes aux Pyrénées, les bétonnières continuent de tourner et les prix au m2 de monter. Un drame pour les locaux comme pour les saisonniers qui ne trouvent plus à se loger à des prix décents. En cause : le boom des résidences secondaires et le lancement de projets immobiliers motivés trop souvent par la seule logique du profit à court terme. Une situation qui pourrait s’aggraver encore si était retenue la candidature de la France aux JO d’hiver 2030 dont les grandes lignes sont présentées ce mardi 7 novembre à Paris à l’initiative de Laurent Wauquiez et Renaud Muselier.
En janvier dernier Outside publiait : « Le ski, c’est fini ? Comment les stations françaises s’entêtent… ou se réinventent« . Une enquête qui a fait beaucoup de bruit et qui s’est aussi attiré les foudres de plus d’un montagnard. Pas facile en effet de mettre une croix sur une industrie qui pendant quelques décennies a assuré la prospérité à tant de régions. Hélas, les températures continuent de monter et les chiffres de tomber : les stations ferment les unes après les autres en France, dernière en date, celle de Rouge-Gazon dans les Vosges, et l’avenir ne s’annonce guère plus rose. Si l’on se plonge dans la récente étude de Nature Climate Change, publiée lundi 28 août, on apprend qu’avec trois degrés de plus par rapport à l’ère préindustriel causé par les activités humaines (scénario RCP4.5 du rapport du GIEC, dit « intermédiaire »), la quasi-totalité des stations de ski européennes est hautement menacée par la raréfaction de la neige due au changement climatique. La France serait particulièrement touchée (93% des stations de ski des Alpes et 98% de celles dans les Pyrénées en péril). À savoir qu’en 2022, l’Europe se situait à environ 2,3 degrés au-dessus de la moyenne préindustrielle.
De quoi décourager les promoteurs ? Pas du tout ! Si d’un côté, de plus en plus d’acteurs remettent en question le modèle ‘tout ski’, s’appuyant sur de nombreuses études, la spéculation immobilière continue en montagne. On apprenait ainsi récemment la candidature de l’ex-star du basket reconvertie dans les affaires, Tony Parker, pour l’exploitation du domaine skiable des Gets via sa société Infinity Nine Mountain. Et l’ancien sportif professionnel n’en est pas à son coup d’essai, puisqu’il s’est notamment fait remarquer en reprenant la gestion des remontées mécaniques de Villard-de-Lans et Corrençon, en Isère en 2019, avant de se lancer dans un projet immobilier de grande envergure. Aux pieds des pistes, une résidence hôtelière quatre-étoiles, d’une capacité de 900 lits. Commerces, piscines, salles de séminaires, un programme à 98 millions d’euros. Une perspective qui inquiète les locaux. De tels investissements, parmi d’autres projets d’ampleur qui semblent étonnants quand on sait que l’industrie du ski est en péril…
« Leur souci [des investisseurs, ndlr], ce n’est pas le développement du territoire, ce n’est pas de quoi vivrons les habitants de territoire de montagne demain […] mais de créer des investissements rentables. D’investir du pognon, le leur et celui de leurs partenaires, pour qu’il y ait de la rentabilité. À très court terme. Le reste, ils s’en foutent » estime Guillaume Desmurs, auteur d’« Une histoire des stations de sports d’hiver » paru chez Glénat, en 2022. « Et les grands acteurs du terrain, Tony Parker mais aussi les promoteurs immobiliers qui ont un rôle important, le Club Meb par exemple, sont des acteurs qui investissent de façon structurante dans le territoire. Quand vous coulez du béton pour faire une résidence touristique, c’est structurant. Ces gens-là n’en ont rien à faire du développement du territoire sur le long terme, ce n’est pas leur problème. […] Ils savent que justement parce que l’on va atteindre la fin du modèle. C’est pour ça qu’ils se dépêchent d’investir pour gagner les derniers sous qu’il y a à gagner ». « Et ça, on le voit très clairement, une accélération de la construction immobilière dans toutes les stations de ski, même les plus petites » poursuit-il. « Même une station comme La Grave qui n’est pas une station de ski à proprement parler [c’est une station où l’on pratique le ski hors-pistes, ndlr] est en train de devenir une station de ski avec la construction de résidence touristiques immobilières. On est en 2023 ! S’il y a bien un moment où il ne faut pas investir dans l’immobilier, c’est maintenant. Mais non, on continue parce que c’est du très court terme. Et avec l’assentiment des banques. […] Il y a une sorte de fébrilité à saisir les dernières opportunités, les derniers bouts de terrain. C’est la foire, avec des prix qui montent, qui explosent. Parce que l’on s’approche de la fin. […] Et puis il y a des lois qui arrivent, la loi zéro artificialisation nette des sols, un contexte réglementaire qui se resserre, qui devient plus exigeant. Ils savent que ça va être bien terminé, donc ils se dépêchent ».
Mieux, nous explique Stéphane Passeron, membre du Collectif NO JO, moniteur de ski dans les Alpes du Sud, » comme à Paris cette année, les prix pourraient encore exploser dans les Alpes si se concrétisait le projet d’accueillir dans nos montagnes les JO d’hiver en 2030. Un projet porté par deux présidents de région, Laurent Wauquiez et Renaud Muselier, et dont les détails sont dévoilés aujourd’hui à Paris lors de la conférence de presse organisée en présence du président de Comité National Olympique et Sportif Français David Lappartient.
Dans un monde à + 2°C : la montagne devient le nouvel eldorado des résidences secondaires
La pression de l’immobilier, on la ressent déjà, nous explique Pierre Leroy, président du Pays du Grand Briançonnais regroupant 36 communes alpines. La faute, entre autres, au changement climatique, faisant des montagnes de véritables îlots de fraîcheur. « Il y a 20/30 ans, les Briançonnais avaient, une fois la retraite venue, tendance à quitter le territoire. Parce que l’hiver était rude, il y avait du déneigement à faire, etc. Aujourd’hui, ce n’est plus du tout la même situation » explique l’élu. « Mais ce qui pose particulièrement problème, c’est la pression des résidences secondaires. C’est une catastrophe sur les territoires. Et malheureusement, la France est totalement en retard sur ses sujets-là. Nos voisins [les Suisses et les Autrichiens, ndlr] ont pris des décisions assez radicales. Avec des quotas sur le nombre de résidences secondaires, qui d’ailleurs sont complètement décorrélées du tourisme. Souvent, on résume la situation en disant : ‘Vous êtes contre les résidences secondaires donc vous êtes contre le tourisme. Mais c’est beaucoup plus compliqué que cela. Par exemple, il y a, en Autriche, des stations de ski où il y a des hôtels, des résidences de tourisme et des gîtes. Mais pas de résidences secondaires. Et en plus, avec la loi sur l’artificialisation des sols [qui demande aux territoires, communes, départements, régions de réduire de 50 % le rythme d’artificialisation et de la consommation des espaces naturels, agricoles et forestiers d’ici 2030 par rapport à la consommation mesurée entre 2011 et 2020, ndlr], la pression va s’accélérer partout. Il va y avoir de moins en moins de terrains constructibles. Il va falloir habiter autrement ».
« Quand vous êtes à plus de 80% de résidences secondaires, il n’y a plus de vie, plus de village » déplore Pierre Leroy. « Ça veut dire que des communes sont en train de mourir parce qu’il n’y a plus d’école, plus de commerces. Et là, évidemment, c’est catastrophique ». Hélas en effet, les élus locaux ont très peu de pouvoir par rapport à cela : ils ne peuvent pas empêcher une résidence secondaire de s’installer, ne peuvent pas interdire à quelqu’un à vendre son terrain à quelqu’un qui va en faire une résidence secondaire. « C’est pour ça que l’on attend, au niveau national, des décisions courageuses, telles que nos voisins l’ont fait. Pour que l’on puisse réguler petit à petit. Que les gens puissent décemment se loger sur leurs territoires ».
Photo d'en-tête : Ananda Resort