Il faut être un peu fou ou sacrément gonflé pour entreprendre (et réussir !) une aventure pareille. C’est pourtant ce qu’a fait Paul de Tilly, étudiant parisien, après avoir vu une vidéo sur Youtube d’un Britannique parti de Chine pour rejoindre l’Angleterre à vélo. Preuve que l’audace peut parfois remplacer la technique et l’expérience. Comment s’y est-il pris ? Qu’en a-t-il retiré ? Explications d’un montagnard qui s’est révélé être un redoutable bikepacker jamais aussi heureux que lorsqu’il tape dans le dur sur la Pamir Highway, la route la plus haute du monde.
Ce qu’il y a de bien quand on travaille à Outside c’est qu’on reçoit des messages comme celui qui est tombé sur notre mail la semaine dernière. Paul de Tilly étudiant de master en finances, nous racontait en quelques lignes son dernier périple : « Début 2022, j’ai parcouru à vélo la Route de la soie, un itinéraire dont je rêvais depuis 2 ans dès lors que j’ai regardé une vidéo similaire sur Youtube. Ce voyage de 4 mois et de 12 000 km m’a fait traverser 18 pays entre l’Europe, le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Je suis parti de la porte de mon immeuble à Paris pour finir à la frontière entre la steppe kazakhe et la taïga russe, près de la ville de Semeï. Mon projet initial de rouler jusqu’à Vladivostok a été avorté après avoir été refusé à la frontière russe en raison des restrictions du Covid-19. Durant ce voyage de 4 mois, j’ai traversé les Alpes en hiver, longé les frontières syrienne et irakienne au Kurdistan, je suis entré en Iran pendant le Ramadan et j’ai parcouru à vélo la Pamir Highway, la deuxième route la plus haute du monde (point culminant à 4 655 m). »
Bel exploit, c’est sûr, mais à l’heure où les usagers de la Route de la soie se comptent par milliers, à pied, à cheval, ou à vélo, ce périple est devenu terriblement « banal » diraient les plus blasés. Aussi, n’était la suite du message, nous en serions restés là. Mais, poursuivait Paul, « on peut dire que j’étais un cycliste débutant lorsque j’ai commencé ce voyage de 12 000 km : je n’avais jamais parcouru plus de 40 km à vélo avant mon départ. La seule préparation que j’ai faite avec mon tout nouveau vélo a été de faire 2 km autour du Parc du Luxembourg pour vérifier le fonctionnement de mes pédales automatiques ».
Pas si fréquent cette fois, et même plutôt gonflé vu le niveau de préparation de certains aventuriers dont nous relatons les périples à Outside. La préparation justement, ça ne semble pas être le fort de Paul si l’on en juge par la suite. « En termes d’itinéraire, je n’ai rien planifié à l’avance et n’avais qu’une brève idée des pays que j’allais visiter. J’ai improvisé au jour le jour, adaptant parfois mon itinéraire aux prévisions météorologiques et trouvant très souvent un endroit où dormir après le coucher du soleil. La solitude, les traversées du désert, la rareté de la nourriture, les routes de gravier poussiéreuses, mon budget limité, les forts vents contraires et les températures allant de -15°C à +40°C ont rendu ce voyage très difficile, mais je n’ai jamais oublié quel était mon but ultime : rouler vers l’est ».
Sacré but en effet. Surtout quand on sait que son « plan » se résumait à partir du 5e arrondissement, dans le centre de Paris, le 29 janvier 2022, pour parvenir à Vladivostok. Tout simplement. A ce stade, on laisse tomber les mails et on discute cinq minutes avec un Paul qui s’était décrit en ces simples termes : « je suis un passionné d’aventure en tous genres. Ski de randonnée, trekking, alpinisme, surf, course au large et bikepacking, voici les sports qui m’animent lorsque je trouve le temps de les pratiquer. 18 ans de vie à Lyon m’ont donné le goût de la montagne avec plusieurs ascensions en alpinisme tel que le Mont-Blanc à 15 ans et les Dômes du Miage à 14 ans. Plus récemment, j’ai découvert le vélo lors de mon voyage en solo entre Paris et la Chine. » Alors, forcément, on avait envie d’en savoir plus.
Partir seul à vélo sur la Route de la soie, sans aucune expérience du vélo, c’est un peu dingue non, risqué aussi peut-être ?
Ca n’a pas été facile, j’avoue, d’autant que je suis parti avec un problème de genoux qui ne s’est pas arrangé en route, bien que j’aie fait une infiltration juste avant le début du voyage. Le jour du départ, j’ai déjeuné avec ma famille et vers 14h, j’ai pris la route et fait 60 km tranquille. Le deuxième jour, je suis passé à 120 km et… j’ai fini en marchant ! J’avais tellement mal aux genoux. Là, j’ai eu un gros doute sur la faisabilité de ce projet. Le lendemain, j’ai atteint Strasbourg et fait moins de 100 km, pris une journée de repos avant de partir pour l’Allemagne. Mais mon corps ne s’était pas adapté. Au point qu’arrivée à Munich, je n’arrivais plus à marcher. J’ai acheté une attelle, pris trois jours de repos chez un ami et suis reparti un peu vite, je ne voulais pas m’incruster. C’était trop tôt, mais pour limiter la douleur j’appuyais mon talon sur pédale. J’ai traversé les Alpes comme ça ! Erreur ! Mes genoux n’étaient pas encore prêt et on était en plein mois de février, en montagne. Cette traversée a été très compliquée. Heureusement j’ai passé trois nuits chez deux Autrichiens adorables et me reposer. Au total il m’aura fallu 25 jours pour que ça aille bien physiquement et que je n’aie que du plaisir à vélo.
25 jours, c’est long, tu n’as pas eu envie de tout arrêter à certains moments ?
Non, jamais. J’avais eu plusieurs personnes au téléphone qui m’avaient dit que c’était normal que j’allais avoir super mal pendant les deux premières semaines, puis que ça allait passer. Avec le temps, ça allait mieux au niveau des muscles, ça a été plus long sur les tendons. Alors il faut être fort mentalement.
Mais qu’est-ce qui t’a donné cette envie de partir sur la Route de la Soie ?
C’est la vidéo de cet Anglais (Josh Reid, posté en 2020, ndlr ), parti de Shanghai en Chine pour rentrer chez lui à New Castle en Angleterre, elle a fait 3 millions de vues ( 3 313 303, très exactement à l’heure où nous bouclons notre articles, ndlr). J’ai fait exactement comme lui, mais dans l’autre sens. On le voyait sur la route du Pamir. Les plans étaient très impressionnants. Moi j’aime la montagne, j’ai donc été attiré par cette route. C’est ça qui m’a motivé. Il se filmait seul, avec son téléphone, et devait donc faire des aller-retour pour récupérer son matériel posé là où il le pouvait.
Partir seul, c’était ton idée de départ ?
Non, au début, je n’y étais pas du tout prêt. J’ai essayé de motiver l’un de mes amis mais entre les contraintes de temps et d’argent, j’ai dû partir tout seul. C’était la première fois. Avant, j’avais voyagé, un mois et demi au Pérou, mais en volontariat, avec des jeunes de mon âge. Ca n’a rien à voir.
Dans le film de 30 minutes que tu as tiré de ton aventure, on te voir bivouaquer un peu n’importe où, sans tente…
Oui, après les Balkans, j’ai laissé tomber la tente, trop lourde, pas assez aérodynamique, trop longue à monter tous les soirs et à ranger le matin. Pareil pour la popotte. Avant j’avais fait pas mal de treck, mais en montagne, c’est plus sûr. Sur le route, ça peut être compliqué, comme dans ce port turc près d’Antalia, où faute de mieux, j’ai dormi sous un bateau et vers trois heures du matin, les pêcheurs sont rentrés, il y avait des chiens errants… Mais en ville comme dans les villages, on se rend compte avec le temps qu’en fait ce sont les gens qui ont peur de moi en me voyant dormir dehors. Je n’ai d’ailleurs jamais eu de problème. Au début, j’avais peur, je m’assurais que toutes mes affaires étaient bien rassemblées, cadenassées, mais à la fin j’étais plus confiant. Je dormais bien sûr toujours à côté de mon vélo. Et franchement, quand tu as fait plus de 250 km dans la journée, tu dors sur tes deux oreilles, tu es tellement fatigué ! Dans la vie courante je suis quelqu’un de très positif, très peu méfiant. Quand tu te dis que la grande majorité des gens sont bons et ne te veulent pas de mal, tu as moins de problème je pense que si tu es constamment sur tes gardes.
Avec du recul, quelle est ton expérience au niveau du matériel ?
J’avais déjà fait pas mal de trekking, au Pérou, en Europe de l’Est, dans les Alpes et j’essaie de voyager le plus light possible, c’est dans l’ADN du voyage pour moi. J’ai même renvoyé un tee shirt au bout d’un moment, car deux me suffisaient. J’ai donc emporté le strict nécessaire, sans trop solliciter grand monde pour des conseils, car tu te rends compte que tout le monde dit plus ou moins la même chose. J’ai juste contacté l’Anglais par Instagram pour vérifier le volume de ses sacs.
Au-delà du défi, qu’attendais-tu de ce long périple ?
L’aventure. Je trouve que c’est super beau d’aller d’un point A à un point B. J’ai fait un peu course au large, et j’aime l’idée de faire une belle trace. En chemin, je n’ai pas fait de zig zag pour aller visiter des temples, par exemple, je traçais tout droit et m’arrêtais si au bord de la routes se présentait quelque chose. Je favorisais plus les rencontres humaines. J’aime aussi l’idée d’avancer à la force de mes jambes, et aussi le dépassement de soi. Depuis l’Asie centrale, je m’étais délesté de ma tente, je n’avais plus de problème physique et je ne roulais presque jamais moins de 200 km par jour, 285 km pour ma plus longue journée. Faire du vélo sur du plat, ce n’est pas trop ma tasse de thé. Me forcer à me dépasser, comme je l’ai fait sur la route du Pamir, avec beaucoup de dénivelé, c’était ce que je recherchais : le Graal, le bonheur ! J’avais déjà un peu ressenti ça assez jeune en ski de randonnée dans le Beaufortain, de refuge en refuge avec mon père, en quête de sommets. Mais au cours de ce voyage j’ai découvert que j’avais des capacités insoupçonnées, que je n’avais même pas imaginées. Je n’ai plus de limites, je peux tout faire ! Et puis aussi, le côté humain, j’ai été émerveillé par l’accueil de gens, partout. Quand tu voyages, comme moi au Brésil auparavant, on te dit de te méfier de tout et de tous. Mais c’est dans les régions les plus risquées que les gens sont les plus accueillants, comme en Turquie, lorsque je longeais la frontière syrienne. Partout les gens sont fondamentalement gentils. En fait, les gens ont peur tout simplement de ce qu’ils ne connaissent pas. Avant ce voyage j’étais déjà d’un naturel confiant, aujourd’hui j’ai encore moins peur de partir. D’ailleurs, je repars pour un nouveau défi à la fin de mon master, le 24 avril avant de commencer un stage le 2 juillet. Ma copine est à Rio et j’ai décidé de la rejoindre depuis Lima, à vélo à nouveau, en ultra cyclisme : 5000 km en 25-30 jours pour voir ce dont je suis capable, mais aussi en donnant du sens à mon voyage. Je pédale cette fois pour lever des fonds pour une association, une école de la favela dans laquelle j’ai habité. L’idée est de générer 1 euro pour 1 km parcouru via la cagnotte que j’ai ouverte. Je suis donc en recherche de sponsor et d’aide matérielle.
Pour bien mesurer le périple de Paul, certains chiffres sont parlants :
- Point de départ : Paris 5ème arrondissement
- Objectif final : Vladivostok (Russie)
- Point d’arrivée : Semey (Kazakhstan) après mettre fait refusé à la frontière Russe
- Date de départ : 29 janvier 2022
- Date d’arrivée : 31 mai 2022
- Nombre de jours : 124 (4 mois)
- Vélo : Cube NuRoad Pro (10.5 kg)
- Poid équipement + vélo : 24 kg
- Pneus : Schwalbe Tubeless 45mm
- Media : Canon 750D + Trépied + Smartphone Samsung S10e
- 18 pays traversés
- Un seul visa : Iran
- Plus long séjour : Turquie (26 jours)
- Plus longue journée (km) : 285 km
- Plus longue journée (dénivelé) : 4,300m D+
- Point culminant : 4,650m alt. (Tajikistan)
- Nombre de kg perdus : 13 kg
- Mon poids au départ : 68 kg
- Mon poids à l’arrivée : 55 kg
Tableau récapitulatif du nombre de Km :
Jours | Jours de repos | Jours de vélo | Km | Moyenne km / jours de vélo | |
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Avant Azerbaïdjan | 75 | 20 | 55 | 6,569 | 119 |
Après Azerbaïdjan | 49 | 20 | 29 | 5,535 | 191 |
Total | 124 | 40 | 84 | 12,104 | 144 |
Tableau récapitulatif du budget :
Buget / jour | Budget / mois | |
---|---|---|
Equipement | 3,00 € | |
Vie sur place (dont vol retour) | 2,00 € | 500 € |
Total | 5,00 € |
Paul a autofinancé la moitié de son voyage. Afin de boucler son budget, il a réalisé une cagnotte GoFundMe qui lui a permis de récolter 3 000 €.
Pour en savoir plus sur le nouveau projet de Paul de Tilly et pourquoi pas, lui donner un cop de pouce, c’est ici. Le gars est sérieux et pas du genre à lâcher comme ça, c’est sûr !
Photo d'en-tête : Paul de Tilly
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