Enfant, il rêvait d’être magicien. Pas assez bluffeur sans doute, trop entier, cet homme réputé pour son exigence est devenu grimpeur pro. Il s’illustre dans le 9a mais n’en fait pas toute une histoire. Sa croisade est ailleurs, dans « les lignes oubliées », ces grandes voies méconnues qu’il explore avec passion. C’est peut-être pour ça que l’italien Karpos, la marque des Dolomites, vient de l’intégrer dans son team, plus convaincue par le poids de ses valeurs que par le nombre de likes de son compte Instagram.
Il n’a que 27 ans, dans son regard parfois encore quelque chose de l’ado rêveur, mais la voix est grave. Et à l’écouter, on lui en donnerait dix de plus. Baptiste Dherbilly n’aime pas la facilité. Son mantra : « on donne tout et on arrête de se trouver des excuses ! ». Pas le meilleur moyen de multiplier ses followers, mais cet athlète hors pair n’en a cure. En quelques années, il s’est bâti un CV en béton, seul. Lui, le gosse du 93, élevé dans la banlieue parisienne qui, à 10 ans connaissait mieux les lignes du RER que celles du Biclop. Parmi ses hauts faits, le 18 septembre 2019, le premier enchainement de la grande voie de « L’Ogre qui chante », dans la petite chaine montagneuse des Dents de Lanfon, au-dessus du lac d’Annecy (8b max, 260m), avec pour compagnon de cordée, Louna Ladevant.
Est-ce la performance qu’on doit retenir de son parcours ? Pas vraiment. « Je n’ai pas la prétention qu’on retienne mes performances » répond-il. « Je suis loin d’être le meilleur. S’il est besoin qu’on retienne quelque chose de moi c’est … mes valeurs. Les cotations ne sont pas importantes. Ce qui compte, c’est le chemin. Consommer pour consommer, dans la vie quotidienne comme en escalade, non ! Consommer des chiffres et ne s’émouvoir qu’à telle ou telle cotation, ça m’agace un peu. L’escalade réunit de plus en plus de pratiquants, et c’est une bonne chose. Les salles se multiplient, les murs aussi, c’est plus facile de s’entraîner, tu peux atteindre plus vite un niveau plus élevé. Et c’est la course à la cotation. Point de salut en dessous du 9a. Là-dessus, l’influence des réseaux sociaux où chaque « record » ou pseudo « record » fait bondir le taux de clics.. Non, ce que j’aimerais qu’on retienne de moi, c’est la passion. »
De la Corse au Népal
La passion pour la montagne n’avait pourtant rien d’évident pour lui. Dans l’arbre généalogique de Baptiste Dherbilly, pas de père guide ou de racine savoyarde. Si l’on doit trouver un fil conducteur, c’est en Corse qu’il faut le chercher. Sa mère y a ses racines, c’est grâce à elle qu’il découvre la rando et la nature, du côté de Bastia. L’émotion des journées passés à randonner dans le maquis ne s’oublie pas. Toujours il cherchera à la retrouver, mais son enfance à Épinay sur Seine, en Seine Saint-Denis, banlieue parisienne peu réputée pour l’outdoor, s’y prête peu.
Le salut viendra du lycée. En sport, deux options : plongée ou escalade. Baptiste a le mal de mer et peur de l’eau, ce sera « escalade » et l’intégration dans un petit club, « pas du tout compétition » dit-il mais visant à développer l’autonomie. Le jeune ado apprécie. Et plus encore quand arrivent les premières sorties en falaises et qu’il fait la découverte de Fontainebleau, fabuleux terrain d’aventure, pas si loin de chez lui après tout. Le début d’une passion ? Pas vraiment. Accident, un bras cassé, quelques mois d’arrêt forcé et un passage dans un triste lycée privé parisien le conduisent droit dans une impasse. Il a alors 14 ans et pour seuls centres d’intérêt, la magie et l’escalade. Devenir magicien ? Pourquoi pas, mais les formations sérieuses ne sont pas légions. L’option ne tient pas face au cursus d’un lycée d’Épinal, dans les Vosges, offrant études et escalade. « Un choc culturel impressionnant », raconte-t-il. « Après les cours, à 16h, c’était VTT, escalade, ski, canyoning ». Résultat : un bac S mention Bien sur lequel il enchaîne un BTS en protection de la nature. La perspective de devenir guide murit en lui, mais c’est surtout l’idée de l’aventure qui l’anime.
L’apprentissage de l’instant présent
Une fois de plus, il faudra un accident pour lui faire prendre un tournant décisif. Quatre vertèbres cassées sur les pistes de ski. On est en 2013, il a 19 ans, et se retrouve à nouveau immobilisé. De quoi lui donner le temps de réfléchir. Il met une croix définitive sur le café, l’alcool et toute forme de drogue, « je suis quelqu’un d’entier, de passionné, alors toucher aux drogues ou au jeu, qui me dit que je ne serais pas tombé dedans ? Direction le Népal, en stage pour son BTS. Un voyage dont il ne reviendra vraiment jamais. Dans ses bagages, au retour, pas de sommets , mais un autre rapport au temps et à l’instant présent.
Devenir guide ne tient plus, surtout quand il voit disparaitre deux de ses amis en montagne. Dès lors, ce sera l’escalade, là « où je me sens bien », dit-il, et le monitorat. Un rapide passage par la gestion d’une salle d’escalade, dont il restera collaborateur en tant qu’indépendant, et ce sera l’enseignement à Rock Évasion, à Annecy, où il est aujourd’hui salarié. Le terrain idéal pour partager sa philosophie avec de jeunes grimpeurs. « L’escalade, c’est un sport individuel, mais tout seul tu ne vas pas bien loin », explique-t-il. « Et à tous niveaux, tu peux apprendre quelque chose. A commencer par gagner de la confiance en soi, et dans l’autre, le pareur. Des valeurs essentielles dans la vie de tous les jours. Mais il faut être exigeant, ne rien lâcher, ne pas se trouver d’excuses, et grimper pour se faire plaisir. On oublie trop que ça reste un sport. Et un jeu. Voilà, ce sont ces valeurs que je cultive, en passionné.
Mettre en lumière des lignes tombées dans l’oubli
« Quinze ans que je grimpe. Forcément, la pratique a évolué, aujourd’hui, tout est question d’ego. Mais l’ego, au fil des années, tu apprends à le dégonfler. Le rocher ne va pas bouger, mais toi oui. Là où je bute encore moi aussi, c’est quand je cède à l’envie d’avoir de la reconnaissance, de me sentir fort. Au final, t’a aussi besoin d’avoir confiance en toi. C’est là qu’il faut revenir à l’instant présent, à des choses simples, pour pas t’égarer. Revenir au plaisir du mouvement lui-même, c’est ce qui m’intéresse le plus au fond, même si j’adore toutes les facettes de l’escalade. Quand tu découvres une voie, tu es forcément confronté à un moment à l’éventualité d’un échec, à toi de le gérer, de trouver le bon geste, le bon chemin. Comme dans la vie.
Pourquoi je grimpe ? Parce que je pose beaucoup de questions. Et quand je m’élance, elles s’évaporent toutes, et je me sens vraiment bien. C’est aussi un moment de partage et de découverte de l’autre et du monde. J’apprends au jour le jour. Ça relativise sérieusement la notion de réussite ou d’échec. A chacun son Everest.
Moi, ma croisade, je l’ai trouvée dans ce que j’ai appelé « les lignes oubliées ». Pas les plus courues, celles qu’on coche et poste dans la foulée sur Instagram. Non ces petits bijoux, à dénicher tout près de la maison, en Haute Savoie. Ces lignes grimpées il y a quinze ans, tombées dans l’oubli, dans l’ombre de plus prestigieuses, mais pas nulles pour autant. Des voies difficiles à déchiffrer. Là, tu peux sortir de ta zone de confort. Je les partage avec des vidéos et des photos. Mais mon grand projet, c’est d’en faire un topo, un vrai livre sur l’escalade de chez nous, dans la Vallée de l’Arve, l’histoire des lignes oubliées. » Transmettre toujours, donc. Et sur tous les fronts. On voit ainsi le grimpeur s’impliquer dans « Ocean Peak Transmission », un projet soutenant des jeunes plus ou moins en rupture avec le système, immergés dans une itinérance en mer et sur terre, mêlant navigation, escalade et rando. Une approche en demi-teinte et sans bruit pour un athlète qui aimerait bien être un acteur de l’escalade, mais n’écarte pas non plus de vivre en ermite « un an ou deux, pourquoi pas ? ».
Pas de quoi fasciner les sponsors ? Voire. Dans un premier temps, c’est Scarpa qui va le soutenir, à sa grande surprise d’ailleurs. « J’étais le seul à leur proposer un projet en falaise. 90% proposent de la salle. » parait-il. Naturellement, la collaboration avec Karpos, évoluant dans le même univers que Scarpa, a suivi. Karpos, plus orienté montagne jusque-là, voulait développer l’escalade. Cohérent pour une marque dont les valeurs clefs tiennent en trois mots : rapidité, précision et liberté de mouvement comme de pratique. Une philosophie qui trouve immédiatement un écho chez Baptiste : « Je suis loin d’être le meilleur dans cette discipline, mais mon profil est un peu atypique, un peu différent, je pense. Avec eux, j’espère trouver un pantalon qui me fait plus de trois semaines (rires), stretch, mais solide aussi. J’aimerais bien être associé au produit et leur apporter mon expérience. Sans prétention mais sans filtre. Je suis quelqu’un d’honnête et franc. Comme les Haut-Savoyards, je dis ce que je pense. Du coup, au premier abord, j’ai peut-être l’air d’un mec pas cool. Mais cette méprise m’a appris à ne pas juger les autres sur les apparences, mais à aller à l’essentiel. Comme un Patrick Edlinger : un sandwich et un verre d’eau après une grande voie : le bonheur. Ou un Alex Megos qui véhicule les mêmes valeurs. Je me retrouve vachement en lui, à mon niveau. »
Alors, magicien, la voie qu’il n’a pas prise, pas de regrets ? « Non, car pour réussir dans la magie, il faut avoir une bonne confiance en soi. Mais j’y travaille. Et l’escalade y est pour beaucoup.
Pour en savoir plus sur Karpos, visitez karpos-outdoor.com
Photos : Etienne Seppecher (article) / Damien Largeron (en-tête)
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